Autorité Politique

Denis Diderot - L'Encyclopédie





Plan de la fiche sur l'article Autorité Politique de Diderot :
Introduction
Texte de l'article Autorité Politique
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Denis Diderot (1713-1784) est un des philosophes des Lumières à l’origine et directeur de l’Encyclopédie. Il a élaboré le drame au théâtre. Il a été condamné par le parlement pour impiété. Il a écrit : Le rêve de d’Alembert, Lettres sur les aveugles et Paradoxe sur le comédien entre autres.

    L’Encyclopédie est un ouvrage de 28 volumes dans lequel est rassemblé toutes les idées nouvelles du 18ème siècle. Les hommes les plus compétents dans chaque domaine y ont travaillé dont ses fondateurs : Diderot et d’Alembert mais aussi Holbach, Rousseau ou Voltaire. L’Encyclopédie se présente comme un dictionnaire des connaissances du XVIIIème siècle. Mais elle a également une portée politique et critique, par certains articles sur la monarchie absolue, la pensée dominante et l’organisation sociale.

    L'article Autorité politique, paru en 1751, qui conteste et s’interroge sur la notion d’autorité et qui met en cause la monarchie absolue de droit divin en France. Le texte est bâti comme une démonstration, très logique, il part de la notion d’autorité pour en arriver à une critique du pouvoir royal.

Denis Diderot
Denis Diderot




Texte de l'article Autorité politique

Autorité Politique

(début de l'article)


    Aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d'en jouir aussitôt qu'il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c'est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l'état de nature, elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d'une autre origine que la nature. Qu'on examine bien et on la fera toujours remonter à l'une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s'en est emparé ; ou le consentement de ceux qui y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils ont déféré l'autorité.

    La puissance qui s'acquiert par la violence n'est qu'une usurpation et ne dure qu'autant que la force de celui qui commande l'emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que, si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts, et qu'ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l'autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l'autorité la défait alors : c'est la loi du plus fort.

    Quelque fois l'autorité qui s'établit par la violence change de nature ; c'est lorsqu'elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu'on a soumis : mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler et celui qui se l'était arrogée devenant alors prince cesse d'être tyran.

    La puissance, qui vient du consentement des peuples, suppose nécessairement des conditions qui en rendent l'usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l'homme ne doit ni ne peut se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu'il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C'est Dieu, dont le pouvoir est, toujours immédiat sur la créature, maître aussi jaloux qu'absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu'ils obéissent à l'un d'eux ; mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve, afin que la créature ne s'arroge pas les droits du Créateur. Tout autre soumission est le véritable crime de l'idolâtrie. Fléchir le genou devant un homme ou devant une image n'est qu'une cérémonie extérieure, dont le vrai Dieu qui demande le coeur et l'esprit ne se soucie guère et qu'il abandonne à l'institution des hommes pour en faire, comme il leur conviendra, des marques d'un culte civil et politique, ou d'un culte de religion. Ainsi ce ne sont point ces cérémonies en elles-mêmes, mais l'esprit de leur établissement, qui en rend la pratique innocente ou criminelle. Un Anglais n'a point de scrupule à servir le roi le genou en terre ; le cérémonial ne signifie que ce qu'on a voulu qu'il signifiât , mais livrer son coeur, son esprit et sa conduite sans aucune réserve à la volonté et au caprice d'une pure créature, en faire l'unique et le dernier motif de ses actions, c'est assurément un crime de lèse-majesté divine au premier chef.

    [...]

L'Encyclopédie - Denis Diderot



L'Encyclopédie
L'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert



Annonce des axes

I. L'autorité selon Diderot
1. Autorité et liberté
2. Les différents types d'autorité

II. La critique de la royauté et la proposition d'un autre système
1. Par une argumentation rigoureuse
2. La dénonciation de la monarchie absolue
3. L'humanisme de Diderot



Commentaire littéraire

I. L'autorité selon Diderot

1. Autorité et liberté

L'article se présente sous la forme d'un article d'encyclopédie, avec le titre "Autorité Politique" qui présente ce dont va parler le texte, pourtant le texte est bien un texte argumentatif au contraire d'un article d'encyclopédie qui se voudrait neutre.

L'article commence par une négation "Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres" qui présente d'emblée la thèse de Diderot : aucun pouvoir ne saurait être légitime s'il ne provient de l'abandon librement consenti de tout ou partie de la liberté attachée à la nature humaine.

Puis Diderot continue sa thèse en affirmant que chaque homme a droit à la liberté "chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir", notion qui n'allait pas de soi au XVIIIème siècle, par exemple l'esclavage n'était pas aboli.
Le mot "chaque" montre que la liberté est pour tous. Utilisation du mot "droit" avec une valeur juridique.
Parallélisme de construction entre la première et la deuxième phrase : "Aucun homme" / "chaque individu" - "n’a reçu" / "a le droit" => Ces deux phrases à la construction similaire expriment la même idée => Insistance de Diderot.

Ainsi Diderot pose les bases de l'article premier des droits de l'homme parus en 1789 : Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

Le ton du texte est très affirmatif, voire péremptoire (= contre quoi il n’y a rien à répliquer), avec par exemple l'utilisation du présent de vérité générale.


2. Les différents types d'autorité

Diderot fait la distinction entre deux types d'autorité :
- l'autorité naturelle,
- l'autorité non naturelle
.

L'autorité naturelle est l'autorité paternelle. Cependant cette autorité a des limites : "bornes". Diderot lui donne une limite nette dans le temps : "elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire".
L’emploi de l'adjectif "quelque" minimise l’importance de cette autorité : Diderot pense en effet que l’autorité naturelle n’existe pas.

L'autorité non naturelle peut être acquise par la force ou le consentement.

Par la force - illégitime :
Champ lexical de la force : "force", "violence", "puissance",
Champ lexical de l'asservissement : "joug", "commande", "obéissent", "tyran"

Diderot parle d'une "usurpation" pour l'autorité acquise par la force, ce qui montre bien qu'il la désapprouve.

Mise en évidence d’un rapport de force entre l’individu qui domine tous les autres et ceux qui sont dominés : "celui qui" s’oppose à "ceux qui".

Cette autorité est régie par "la loi du plus fort". Diderot montre que cette loi n'a pas de sens puisque le rapport de force peut s’inverser : "La même loi qui a fait l’autorité la défait alors" ; ainsi une même loi peut donner l'autorité aux uns ou aux autres. Diderot évoque une situation de renversement politique.

Par le consentement - légitime :
Champ lexical juridique ("consentement", "déféré", "contrat") montrant un cadre clair et bien défini de cette autorité, et sa légitimité.
Plus loin, Diderot emploie des termes élogieux pour parler de cette autorité : "légitime", "utile", "avantageux"…

L'autorité par le consentement est régie par un contrat, supposant l'approbation des deux parties.


II. La critique de la royauté et la proposition d'un autre système

1. Par une argumentation rigoureuse

Dans cet article, Diderot emploie une argumentation rigoureuse. De nombreux connecteurs logiques ("mais", "en sorte que", "donc", "car"…) sont la marque de la rigueur de la pensée de Diderot. D'autre part, l'auteur ne marque absolument pas sa présence dans le système d'énonciation, utilise le pronom indéfini "on", qui traduit la distance de l'auteur par rapport à son propos, son souci d'objectivité et le "on" invite le lecteur à vérifier ce qui est dit.
Utilisation répétée du terme "homme" dans le but de généraliser son propos.

Diderot emploie le présent de vérité générale.

Bien qu'athée, Diderot recourt à des arguments de type religieux. Au XVIIIème siècle, la religion est très importante en France et Diderot s'appuie donc sur des arguments religieux pour donner du poids et de la légitimité à son raisonnement.

L'article est bien structuré :
Premier paragraphe : définitions des différentes autorités
Deuxième paragraphe: autorité par la force.
Troisième paragraphe: transition entre l’autorité par la force et celle par le consentement
Quatrième paragraphe: comparaison de l’autorité par la force et celle par le consentement des peuples

Cet article a pour but de dresser une argumentation universelle et irréfutable.


2. La dénonciation de la monarchie absolue

Diderot condamne un système dans lequel un seul homme regroupe tous les pouvoirs : "car l’homme ne doit ni ne peut se donner entièrement sans réserve a un autre homme". La double négation "ne doit ni ne peut" insiste sur son idée.

Diderot recourt ici habilement à la religion et expose que seul Dieu a tous les pouvoirs ("maître […] absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point.").

Par antithèse, Diderot dénonce la monarchie absolue dite de droit divin :
"[Dieu] veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve, afin que la créature ne s'arroge pas les droits du Créateur."
Le roi de France ayant tous les pouvoirs, c'est de lui dont Diderot parle lorsqu'il dit "s'arroge […] les droits du Créateur." Le verbe "s'arroger" est très péjoratif, et signifie que le roi s'attribue un pouvoir sans y avoir le droit.
Ainsi, Diderot qualifie l'asservissement au roi par "aveuglément et sans réserve", alors qu'il devrait être "par raison et avec mesure". Notons le parallélisme de construction de ces deux groupes.

Utilisation de termes péjoratifs pour désigner le pouvoir royal : "crime de idolâtrie", "culte", "caprice"…

L'extrait se termine sur une expression très péjorative de Diderot pour désigner le pouvoir royal : "un crime de lèse-majesté divine au premier chef."
Diderot prend ainsi à contre-pied le pouvoir royal dit de droit divin et affirme au contraire que toute soumission totale à un homme serait un crime contre Dieu.

Diderot condamne l'attitude physique (prosternation) à tenir devant le roi qui est une double condamnation : l’attitude devrait être réservée à Dieu et non à l’homme, de plus, même pour lui, Dieu ne souhaite pas ces signes de soumission (sans importance) : "n’est qu’une cérémonie extérieure". Ici Diderot critique très fortement l’étiquette (le cérémonial) de la cour qui était en vigueur à l’époque en France.


3. L'humanisme de Diderot

Dans cet article, Diderot prône une autorité par consentement. Diderot ne pense pas à la révolution mais plutôt à une évolution : "Quelque fois l'autorité qui s'établit par la violence change de nature".
Pour Diderot, le tyran est celui qui tient son autorité de la force, alors que le prince a un pouvoir légitimé par le consentement du peuple et respecte un contrat avec celui-ci. Cette autorité ne doit agir que par raison et avec mesure.

Diderot réalise un plaidoyer pour l'autorité par le consentement : elle est "légitime", "utile à la société", "avantageux à la République". Elle doit avoir des limites (des lois par exemple) pour qu’elle puisse fonctionner "qui la fixent et la restreignent entre des limites". Le terme "nécessairement" indique que ces conditions sont indispensables.
Diderot justifie l’autorité par le consentement par un argument de type religieux : on ne peut pas se soumettre entièrement à un autre homme car seul Dieu a le droit de recevoir cette soumission ("l'homme ne doit ni ne peut se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu'il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier").

A la différence de l'autorité par la force qui "ne dure qu'autant que la force de celui qui commande l'emporte sur celle de ceux qui obéissent", l'autorité par consentement est durable : "elle continue et se maintient".

Diderot prend en exemple le modèle anglais : "Un Anglais n’a point de scrupule à servir le roi le genou en terre" est une concession avec une allusion à l’Angleterre. Le fait de fléchir le genou en Angleterre devant le roi est acceptable parce que ce n’est qu’un "cérémonial". Le régime monarchique parlementaire anglais qui protège les individus est pris en exemple à suivre.





Conclusion

    Autorité politique est un article de Diderot de L'Encyclopédie qui définit l'autorité mais qui est aussi une critique de la monarchie absolue de droit divin. Le postulat de Diderot est que l'autorité n'est pas naturelle. Il existe deux sortes d'autorité : celle qui émane de la force et celle qui émane du consentement. C'est à cette dernière que Diderot donne le plus d'importance de manière à critiquer la monarchie française de l'époque. Cet article est construit très rigoureusement.

    Cette critique du pouvoir est également faite dans Les Lettres persanes de Montesquieu.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur l'article Autorité politique de Diderot