Avec le temps

Léo Ferré




Plan de la fiche sur Avec le temps de Léo Ferré :
Introduction
Paroles
Vidéo
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion




Léo Ferré : Léo Albert Charles Antoine Ferré, né le 24 août 1916 à Monaco et mort le 14 juillet 1993 à Castellina in Chianti (Toscane), est un poète, musicien et chanteur franco-monégasque.
En mettant en musique ses modèles et ses affinités (Apollinaire, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Villon, Jean-Roger Caussimon, Aragon, Rutebeuf, Cesare Pavese et quelques autres), il contribue à les faire connaître et aimer d'un public élargi.


Introduction

Léo Ferré est considéré comme un poète marquant de la deuxième moitié du XXème siècle, avec une expression riche et profonde, où l'influence du surréalisme se fait sentir notamment dans la deuxième moitié de son œuvre.
Il est une des références incontournables de la chanson française. Mêlant le lyrique et le populaire, la tradition et l'utopie, l'amour et l'anarchie. Il dépeint des états d'âmes plus qu'il ne raconte des histoires. Il secoue plus qu'il ne flatte.

La chanson « Avec le temps » sorti en 1970, est une chanson tragique inspirée de ses propres désillusions et devient l'un des plus grand succès de Ferré, qui ne cesse d'être repris en France.

Nous verrons dans une première partie que ce texte symbolise la fuite du temps et ses effets sur l'amour. Dans une seconde partie, nous analyserons les sentiments de Léo Ferré sur l'amour : révolte ou résignation.

Problématique : Quelle relation entre la poésie et la chanson ? Il s'agit de mettre en évidence le lien entre les deux et particulièrement les effets musicaux dans la poésie.


Paroles de la chanson

Avec le temps - Léo Ferré


Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
On oublie le visage et l'on oublie la voix
Le cœur, quand ça bat plus, c'est pas la peine d'aller
Chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien

Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
L'autre qu'on adorait, qu'on cherchait sous la pluie
L'autre qu'on devinait au détour d'un regard
Entre les mots, entre les lignes et sous le fard
D'un serment maquillé qui s'en va faire sa nuit
Avec le temps tout s'évanouit

Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
Même les plus chouettes souv'nirs ça t'as une de ces gueules
A la gal'rie j'farfouille dans les rayons d'la mort
Le samedi soir quand la tendresse s'en va toute seule

Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
L'autre à qui l'on croyait pour un rhume, pour un rien
L'autre à qui l'on donnait du vent et des bijoux
Pour qui l'on eût vendu son âme pour quelques sous
Devant quoi l'on s'traînait comme traînent les chiens
Avec le temps, va, tout va bien

Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
On oublie les passions et l'on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid

Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
Et l'on se sent blanchi comme un cheval fourbu
Et l'on se sent glacé dans un lit de hasard
Et l'on se sent tout seul peut-être mais peinard
Et l'on se sent floué par les années perdues
Alors vraiment... avec le temps... on n'aime plus



Avec le temps, chanté par Léo Ferré :




Annonce des axes

I. La fuite du temps : thème classique revu sous l'angle de la chanson « réaliste »
1. Le verbe « aller »
2. Généralisation

II. Entre révolte et résignation : condamnation implicite du couple et mélancolie paradoxale
1. Une vision pessimiste du couple
2. L'autre Ferré « anarchiste »



Commentaire littéraire

I. La fuite du temps : thème classique revu sous l'angle de la chanson « réaliste »

Dans cette chanson, Léo Ferré aborde un thème classique dans la poésie : l'action du temps qui passe sur l'amour.
Pour cela, il utilise un vocabulaire étendu et des champs lexicaux récurrents. Il joue avec la connotation usuelle des mots, forge des néologismes, crée des images complexes avec de nombreux changements de registre et de rythme.

1. Le verbe « aller »

- Multiplicité du verbe aller : idée de consolation : « avec le temps va… » comme « ça va aller, va ! ».
- Mouvement, idée de départ, de fuite : « tout s'en va » et « quand la tendresse s'en va toute seule ».
- Avec une nuance populaire, familière : « qui s'en va faire sa nuit » <= indique un futur proche.
- Effort, peine : « c'est pas la peine d'aller chercher plus loin ».
- Aisance, satisfaction, être bien : « tout va bien ».

La répétition du verbe aller donne une unité à la chanson et suggère une fuite inéluctable du temps (cf. le titre). Cela fait du temps le thème central de la chanson.

La rythmique image les secondes qui tombent, imperturbablement, sans que quiconque n'y puisse rien. Il s'agit d'une fuite, celle du temps, et dont la victime est l'amour. Il y a un début, une passion, qui plus tard ne sera plus qu'une ombre, un souvenir.

Cette chanson fait partie des chansons réalistes comme celles d'Edith Piaf par exemple.

2. Généralisation

-> Dépersonnalisation et généralisation : car aucun indice personnel et tout peut se généraliser.
-> Vision assez noire de l'amour.

- « On » (pronom indéfini) récurant, ce n'est pas un « je » qui parle : Léo ferré s'inclut dans une généralité.
La chanson se veut de portée générale. Ce n'est pas seulement une histoire personnelle. Au fond, c'est un thème classique dans la poésie : le temps tue l'amour.

Au début, « on oublie le visage et l'on oublie la voix » puis devient « l'autre », « les voix » et enfin la marque de l'être aimé disparaît dans l'emploi intransitif du verbe aimer : « avec le temps on n'aime plus » pas d'objet à ce verbe, il a été totalement gommé.

Mais la dénomination « l'autre » donne aussi un caractère plus dur à la dénonciation. L'autre, en français, c'est aussi l'étranger voir l'ennemi. Idée que dans l'amour, les êtres sont toujours plus ou moins étrangers l'un à l'autre.

- Cette idée est renforcée par les pluriels, qui rendent l'être aimé indéterminé, par exemple : « on oublie les passions et l'on oublie les voix » ou les « neutres » comme « [l'autre] devant quoi on se traînait ».

- De nombreux indices d'impersonnel : « Le cœur, quand ça bat plus », « A la Gal ‘rie j'farfouille » <= images désignant les souvenirs.

C'est une vision pessimiste du poète. Léo Ferré sera parfois mal à l'aise pour interpréter cette chanson. Il n'hésitera pas parfois à la massacrer sur scène, comme s'il figurait un combat contre l'évidence ou une destinée toute tracée, et ainsi de ne pas être le complice du temps.


II. Entre révolte et résignation : condamnation implicite du couple et mélancolie paradoxale

1. Une vision pessimiste du couple

- Registre de l'élégie (plainte amoureuse)
La dépression : récurrence du verbe « oublier », isotopie amoureuse : champ lexical de l'amour : « cœur », « serment », « tendresse », « [vendre] son âme »...

- Registre de la polémique : révolte
Idée que dans l'amour il y a toujours des mensonges : « d'un serment maquillé qui s'en va faire sa nuit » => référence à la prostitution = l'humanité tout entière ment comme peuvent le faire les prostitués.
=> idée de prostitution des sentiments renforcé par les rimes : « regard/ fard », « bijoux/ sous », « fourbu/ perdues »...

« Les mots des pauvres gens » = compare les gens amoureux à des pauvres gens. Et du fait de l'enjambement décrit un rejet.
« Glacé », « floué » = trompé
Effets de sonorité qui montre la décadence :
Euphonie = plaisant à l'oreille
Exemple : « Avec le temps va (ton qui monte), tout s'en va (ton qui descend) » = rythme déclinant
Montre qu'avec le temps, l'amour, la passion chute.

- Originalité du registre adopté. Il s'agit d'une sorte de révolte contre la fuite du temps et de l'amour mais aussi d'une consolation (« va »). Idée que « ce n'est pas grave » : « et l'on se sent tout seul peut-être mais peinard »...
- L'autre : être pour qui on a tous sacrifié sans rien en retour
           Ennemi
           Etranger total (amour fusionnel n'existe pas).
=> On est toujours tout seul.

2. L'autre Ferré « anarchiste »

- Une certaine forme d'anarchisme.
- Société = farce = on est toujours tout seul tout au long de notre vie.
- Léo Ferré pensait que le couple comme institution (fait de vivre en couple) est voué à l'échec.  Il partageait ces idées avec Brel et Brassens.
Dénonciation d'une société marchande : « l'autre à qui l'on donnait du vent et des bijoux », « l'autre à qui l'on eût vendu son âme pour quelques sous ».

Et l'on se sent floué par les années perdues
Alors vraiment... avec le temps... on n'aime plus.


Conclusion

Avec le temps est un monument de la chanson française car c'est une chanson qui s'adresse à chacun d'entre nous, dans des termes simples pour exprimer une réalité bien cruelle : le temps tue l'amour.

Fin 1990, Léo Ferré donne une série de 25 concerts, terminant chacun d'eux par Avec le temps, et exigeant de son public de le laisser quitter la scène en silence, sans applaudissement ni rappel. On imagine alors cette chanson superbe à laquelle succède un silence de mort, une absence, le néant...



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Merci à Sylvie pour cette fiche sur Avec le temps - Léo Ferré