Bel-Ami

Guy de Maupassant

Deuxième partie, chapitre 10

De "Duroy l'écoutait ivre d'orgueil ..." à "... se métamorphosait en un monde."





Plan de la fiche sur Bel-Ami - Deuxième partie, chapitre 10 - de Maupassant :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Cet extrait de Bel-Ami, de Guy de Maupassant, évoque le mariage de Georges Du Roy De Cantel avec Suzanne Walter (fille du directeur de la vie française). Cette cérémonie est menée en grande pompe à la Madeleine. Ce passage met en valeur la promotion finale qui clôt le parcours du héros.


Lecture du texte

      Du Roy l'écoutait, ivre d'orgueil. Un prélat de l'Église romaine lui parlait ainsi, à lui. Et il sentait, derrière son dos, une foule, une foule illustre venue pour lui. Il lui semblait qu'une force le poussait, le soulevait. Il devenait un des maîtres de la terre, lui, lui, le fils des deux pauvres paysans de Canteleu.
      Il les vit tout à coup dans leur humble cabaret, au sommet de la côte, au-dessus de la grande vallée de Rouen, son père et sa mère, donnant à boire aux campagnards du pays. Il leur avait envoyé cinq mille francs en héritant du comte de Vaudrec. Il allait maintenant leur en envoyer cinquante mille ; et ils achèteraient un petit bien. Ils seraient contents, heureux.
      L'évêque avait terminé sa harangue. Un prêtre vêtu d'une étole dorée montait à l'autel. Et les orgues recommencèrent à célébrer la gloire des nouveaux époux.
      Tantôt elles jetaient des clameurs prolongées, énormes, enflées comme des vagues, si sonores et si puissantes, qu'il semblait qu'elles dussent soulever et faire sauter le toit pour se répandre dans le ciel bleu. Leur bruit vibrant emplissait toute l'église, faisait frissonner la chair et les âmes. Puis tout à coup elles se calmaient ; et des notes fines, alertes, couraient dans l'air, effleuraient l'oreille comme des souffles légers ; c'étaient de petits chants gracieux, menus, sautillants, qui voletaient ainsi que des oiseaux ; et soudain, cette coquette musique s'élargissait de nouveau, redevenant effrayante de force et d'ampleur, comme si un grain de sable se métamorphosait en un monde.

Extrait du chapitre 10 de la partie 2 - Bel-Ami - Maupassant




Annonce des axes

    Nous analyserons l'art de Maupassant à présenter une cérémonie grandiose puis nous verrons comment s'exprime le bonheur de la réussite.

I. Une cérémonie grandiose
1. Les lieux, les personnages
2. Une scène d'apothéose

II. Le bonheur de la réussite
1. Les sentiments d'orgueil et de domination
2. Le bonheur des sens



Commentaire littéraire

I. Une cérémonie grandiose

1. Les lieux, les personnages

    Le cadre est prestigieux car le mariage se déroule dans l'église de la Madeleine (quartier de l'opéra VIIIème arrondissement). C'est un des édifices magnifiques ayant un surprenant aspect de temple avec au bout l'une des perspectives de la Concorde. L'église peut donc contenir "une foule" et de vastes orgues. L'impression de faste est aussi rendue par les personnages.

    La périphrase qui désigne l'évêque "un prélat de l'Eglise Romaine", insiste sur sa dignité comme si le Vatican en personne assistait au mariage. Le prêtre est magnifié par un détail du costume: "une étole dorée". La foule est illustre, tout le beau monde (banquier, journaliste...) est rassemblé pour "lui". La foule est éblouie. Les personnages confèrent au mariage une tonalité quasi royale.


2. Une scène d'apothéose

    Si on analyse la structure du texte, on distingue un phénomène d'élargissement, la narration présente d'abord le héros, l'Evêque et enfin les orques dans une amplification progressive. L'écrivain utilise la comparaison qui assimile la musique des orgues au mouvement des vagues et à l'élévation ("Tantôt elles jetaient des clameurs prolongées, énormes, enflées comme des vagues [...] faisait frissonner la chair et les âmes."). Tout un réseau lexicale est mis en place pour l'exprimer "monter", "soulever", "faire sauter le toit et se répandre dans le ciel".
    La comparaison finale avec l'antithèse de deux thèmes symboliques rend bien ce mouvement ascensionnel "comme si un grain de sable se métamorphosait en un monde".

    On peut donc découvrir maintenant que tout ce faste (cette splendeur) traduit l'extraordinaire promotion du héros.


II. Le bonheur de la réussite

1. Les sentiments d'orgueil et de domination

    L'orgueil peut s'analyser à travers les pronoms personnels de la troisième personne du singulier dans le premier paragraphe, le pronom de rappel "lui" est placé en relief à la fin des phrases 2 et 3 "à lui", pour "lui" ou bien il est répété dans la même phrase. Il culmine dans la dernière phrase du paragraphe "il devenait...lui, lui, le fils...", cette insistance traduit la joie d'avoir gagné, d'être arrivé.

    L'orgueil se renforce avec l'esprit de domination, très fier que l'Evêque prononce un discours solennel "la harangue" en sa faveur, Du Roy stimulé par l'importance de son public exprime sa soif de pouvoir : "il devenait un des maîtres de la terre". L'image du grain de sable est le symbole de l'ascension fulgurante. Le rappel de son origine modeste ne vient que renforcer la promotion sociale. Du Roy a pu sortir ses parents de la misère, c'est une réussite mémorable ; de 5000 frs à 50000 frs, l'argent ne peut qu'apporter le bonheur : "ils seraient contents, heureux".


2. Le bonheur des sens

    D'abord le héros ému se trouve comme dans un rêve, l'imparfait dans le premier paragraphe suspend l'action : "il écoutait ; il lui parlait ; il sentait ; lui semblait ; le poussait ; le soulevait", il savoure sa réussite. Ensuite la musique s'impose comme une résonance de son enthousiasme, de sa griserie, la musique s'empare de ses sens et de son âme : "leur bruit vibrant emplissait toute l'église, faisait frissonner la chair et les âmes.". La musique devient humaine, mélodieuse et caressante : "elles se calmaient ; et des notes fines, alertes, couraient dans l'air, effleuraient l'oreille comme des souffles légers; c'étaient de petits chants gracieux, menus, sautillants, qui voletaient ainsi que des oiseaux". Plusieurs adjectifs appartiennent à la grâce féminine. Le vocabulaire de la sensibilité et de la sensualité rappelle son goût de vivre intensément selon ses désirs.





Conclusion

    Ainsi le mariage est bien traité comme une scène d'apparat qui installe le héros en pleine gloire. C'est la revanche du fils du peuple vécue avec orgueil et sensibilité.
    Mais la revanche sociale de Bel-Ami s'est faite à coup d'adaptation successive et d'opportunisme, c'est donc la réussite de la ruse et de la médiocrité dans une cérémonie collective.

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Merci à Christophe pour cette analyse sur Bel-Ami - Deuxième partie, chapitre 10 - de Maupassant