Bel-Ami

Guy de Maupassant

Deuxième partie, chapitre 2

De "Tu ne sais pas..." à "...plus de force que s'il l'eût affirmé."





Plan de la fiche sur Bel-Ami - Deuxième partie, chapitre 2 - de Maupassant :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Georges et Madeleine sont rentrés de Normandie depuis 2 jours, et avant que Georges n'ait le temps de s'emparer définitivement des fonctions de Forestier, les "affaires" reprennent le dessus : Un soir, après le départ du conte de Vaudrec, Madeleine lui apprend qu'elle détient des informations qui permettent de renverser le Ministère en place, et l'invite à rédiger un article à sensation, qui n'est pas le premier article écrit en commun. Ici, Duroy va occuper le rôle de Forestier, celui là même qui lui a appris quelques ficelles du métier.


Lecture du texte

"Tu ne sais pas, nous avons à travailler, ce soir, avant de nous coucher. Je n'ai pas eu le temps de te parler de ça avant le dîner, parce que Vaudrec est arrivé tout de suite. On m'a apporté des nouvelles graves, tantôt, des nouvelles du Maroc. C'est Laroche-Mathieu le député, le futur ministre, qui me les a données. Il faut que nous fassions un grand article, un article à sensation. J'ai des faits et des chiffres. Nous allons nous mettre à la besogne immédiatement. Tiens, prends la lampe."
Il la prit et ils passèrent dans le cabinet de travail.
Les mêmes livres s'alignaient dans la bibliothèque qui portait maintenant sur son faîte les trois vases achetés au golfe Juan par Forestier, la veille de son dernier jour. Sous la table, la chancelière du mort attendait les pieds de Du Roy, qui s'empara, après s'être assis, du porte-plume d'ivoire, un peu mâché au bout par la dent de l'autre.
Madeleine s'appuya à la cheminée, et ayant allumé une cigarette, elle raconta ses nouvelles, puis exposa ses idées, et le plan de l'article qu'elle rêvait.
Il l'écoutait avec attention, tout en griffonnant des notes, et quand il eut fini il souleva des objections, reprit la question, l'agrandit, développa à son tour non plus un plan d'article, mais un plan de campagne contre le ministère actuel. Cette attaque serait le début. Sa femme avait cessé de fumer, tant son intérêt s'éveillait, tant elle voyait large et loin en suivant la pensée de Georges.
Elle murmurait de temps en temps :
"Oui... oui... C'est très bon... C'est excellent... C'est très fort..."
Et quand il eut achevé, à son tour, de parler :
"Maintenant écrivons", dit-elle.
Mais il avait toujours le début difficile et il cherchait ses mots avec peine. Alors elle vint doucement se pencher sur son épaule et elle se mit à lui souffler ses phrases tout bas, dans l'oreille.
De temps en temps elle hésitait et demandait :
"Est-ce bien ça que tu veux dire ?"
Il répondait :
"Oui, parfaitement."
Elle avait des traits piquants, des traits venimeux de femme pour blesser le chef du Conseil, et elle mêlait des railleries sur son visage à celles sur sa politique, d'une façon drôle qui faisait rire et saisissait en même temps par la justesse de l'observation.
Du Roy, parfois, ajoutait quelques lignes qui rendaient plus profonde et plus puissante la portée d'une attaque. Il savait, en outre, l'art des sous-entendus perfides, qu'il avait appris en aiguisant des échos, et quand un fait donné pour certain par Madeleine lui paraissait douteux ou compromettant, il excellait à le faire deviner et à l'imposer à l'esprit avec plus de force que s'il l'eût affirmé.

Extrait du chapitre 2 de la partie 2 - Bel-Ami - Maupassant




Annonce des axes

I. La complémentarité du couple
1. Madeleine
2.Georges

II. Le journalisme et la politique
1. La presse
2. Les informations
3. Le réseau lexical de la violence



Commentaire littéraire

I. La complémentarité du couple

1. Madeleine

- Elle dirige : ton autoritaire, péremptoire : "je, m', on, il faut que" et les impératifs "tiens, prends".
- Elle intrigue en faveur de Laroche-Mathieu, le député, le futur ministre des affaires étrangères.
- Elle est brillante sur le plan intellectuel : "Elle exposa ses idées, et le plan de l'article qu'elle rêvait", "Elle se mit à lui souffler ses phrases tout bas dans l'oreille."
- Elle est anticonformiste : elle fume (c'était interdit aux femmes au XIXème Siècle), elle écrit dans un journal par procuration : elle a été l'inspiratrice de Forestier et celle de Duroy, car elle n'avait pas le droit de signer ses articles.


2.Georges

- Le fantôme de Forestier rode autour de lui : "les vases achetés au golfe Juan", rapporté par Madeleine, "La chancelière, le porte plume un peu mâché au bout par la dent de l'autre" : c'est une atmosphère lugubre, malgré l'euphémisme "La veille de son dernier jour."
- Bel Ami retrouve son double et il exprime son hostilité en s'emparant du porte plume. Celui-ci est désigné successivement par "Forestier", "Le mort", puis "L'autre".
- Bel Ami hérite de la place de Forestier.
- Bel Ami est moins brillant que Madeleine : "Il avait toujours le début difficile et il cherchait ses mots". Mais il est ambitieux : "Il souleva des objections, reprit la question, l'agrandit, développa à son tour non plus un plan d'article mais un plan de campagne contre le ministère actuel."
- Bel Ami nous dévoile ici sa face arriviste.

Conclusion partielle : Le couple est très complémentaire, comme si Georges Du Roy s'était moulé dans Forestier. Leur admiration bilatérale est montrée dans le dernier paragraphe avec l'usage des verbes pronominaux de sens réciproque. Cependant leur amour semble beaucoup plus platonique que charnel, et est lié par le travail, la rédaction de l'article.


II. Le journalisme et la politique

1. La presse

Voir annexe La presse dans Bel Ami.


2. Les informations

C'est Madeleine qui prend l'initiative de se servir de la presse à des fins politiques. L'origine de ces informations est imprécise : "on m'a apporté" et ces informations sont elles-mêmes, dans leur contenu, assez vagues : "Des nouvelles du Maroc" se rapporte en réalité à la Tunisie, et le "on" se trouve identifié avec Laroche Mathieu. Madeleine possède "des faits et des chiffres", mais ceux-ci restent flous.
- Ces informations vont servir de matière première à un article destiné à renverser le ministère.


3. Le réseau lexical de la violence

- Champ lexical de la violence et de la guerre : "Plan de campagne", "cette attaque", "elle voyait large et loin", "elle avait des traits piquants, des traits venimeux", "des railleries", "la portée d'une attaque", "perfides", "en aiguisant".
- L'humour caustique, le sarcasme, l'insinuation sont à la base de l'écriture du journalisme politique.





Conclusion

    Ce passage de Bel-Ami nous permet de découvrir un nouveau portrait de Madeleine, journaliste inspirée, une Madeleine de plus en plus mystérieuse, auprès de laquelle le deuxième mari joue le même rôle que le premier. Georges, quant à lui, a acquis certaines ficelles du métier, auprès de son double et fait sienne la devise citée dans ce chapitre "Le monde est aux forts, il faut être fort, il faut être au dessus de tout".

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Merci à Rémi pour cette analyse sur Bel-Ami - Deuxième partie, chapitre 2 - de Maupassant