Au Bonheur des dames

Emile Zola

Incipit


Du début du roman à "...arrêtaient les clientes au passage."




Plan de la fiche sur l'incipit de Au Bonheur des Dames de Emile Zola :
Introduction
Texte de l'incipit
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Ce premier passage de Au Bonheur des dames, d'Emile Zola, illustre la vocation première d'un incipit : renseigner le lecteur et susciter son intérêt, afin que d’établir un pacte de lecture qui permette de cerner les principales caractéristiques de l’esthétique du roman.


Texte de l'incipit


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Lu par Nicole Delage - source : litteratureaudio.com


    Denise était venue à pied de la gare Saint-Lazare, où un train de Cherbourg l'avait débarquée avec ses deux frères, après une nuit passée sur la dure banquette d'un wagon de troisième classe. Elle tenait par la main Pépé, et Jean la suivait, tous les trois brisés du voyage, effarés et perdus, au milieu du vaste Paris, le nez levé sur les maisons, demandant à chaque carrefour la rue de la Michodière, dans laquelle leur oncle Baudu demeurait. Mais, comme elle débouchait enfin sur la place Gaillon, la jeune fille s'arrêta net de surprise.
    - Oh ! dit-elle, regarde un peu, Jean ! Et ils restèrent plantés, serrés les uns contre les autres, tout en noir, achevant les vieux vêtements du deuil de leur père.
    Elle, chétive pour ses vingt ans, l'air pauvre, portait un léger paquet ; tandis que, de l'autre côté, le petit frère, âgé de cinq ans, se pendait à son bras, et que, derrière son épaule, le grand frère, dont les seize ans superbes florissaient, était debout, les mains ballantes.
    - Ah bien ! reprit-elle après un silence, en voilà un magasin ! C'était, à l'encoignure de la rue de la Michodière et de la rue Neuve-Saint-Augustin, un magasin de nouveautés dont les étalages éclataient en notes vives, dans la douce et pâle journée d'octobre. Huit heures sonnaient à Saint-Roch, il n'y avait sur les trottoirs que le Paris matinal, les employés filant à leur à bureaux et les ménagères courant les boutiques. Devant la porte, deux commis, montés sur une échelle double, finissaient de pendre des lainages, tandis que, dans une vitrine de la rue Neuve-Saint-Augustin, un autre commis, agenouillé et le dos tourné, plissait délicatement une pièce de soie bleue. Le magasin, vide encore de clientes, et où le personnel arrivait à peine, bourdonnait à l'intérieur comme une ruche qui s'éveille.
    - Fichtre ! dit Jean. Ça enfonce Valognes... Le tien n'était pas si beau. Denise hocha la tête. Elle avait passé deux ans là-bas, chez Cornaille, le premier marchand de nouveautés de la ville ; et ce magasin, rencontré brusquement, cette maison énorme pour elle, lui gonflait le cœur, la retenait, émue, intéressée, oublieuse du reste. Dans le pan coupé donnant sur la place Gaillon, la haute porte, toute en glace, montait jusqu'à l'entresol, au milieu d'une complication d'ornements, chargés de dorures.
    Deux figures allégoriques, deux femmes riantes, la gorge nue et renversée, déroulaient l'enseigne : Au Bonheur des Dames. Puis, les vitrines s'enfonçaient, longeaient la rue de la Michodière et la rue Neuve-Saint-Augustin, où elles occupaient, outre la maison d'angle, quatre autres maisons, deux à gauche, deux à droite, achetées et aménagées récemment. C'était un développement qui lui semblait sans fin, dans la fuite de la perspective, avec les étalages du rez-de-chaussée et les glaces sans tain de l'entresol, derrière lesquelles on voyait toute la vie intérieure des comptoirs. En haut, une demoiselle, habillée de soie, taillait un crayon, pendant que, près d'elle, deux autres dépliaient des manteaux de velours.
    - Au Bonheur des Dames, lut Jean avec son rire tendre de bel adolescent, qui avait eu déjà une histoire de femme à Valognes. Hein ? c'est gentil, c'est ça qui doit faire courir le monde ! Mais Denise demeurait absorbée, devant l'étalage de la porte centrale. Il y avait là, au plein air de la rue, sur le trottoir même, un éboulement de marchandises à bon marché, la tentation de la porte, les occasions qui arrêtaient les clientes au passage.

Au Bonheur des Dames - Emile Zola - Extrait du chapitre 1


Scène d'une rue parisienne au XIXème siècle
Scène d'une rue parisienne au XIXème siècle
L'avenue de l'Opéra - Pissaro, 1898 (détail)


Annonce des axes

I. La fonction d'exposition de l'incipit
1. La structure du texte
2. Le jeu des points de vue
3. Les renseignements fournis par le texte

II. Portrait des personnages et du magasin
1. Des personnages pathétiques
2. Un grand magasin opulent, en opposition avec les personnages
3. Un sentiment ambivalent

III. Un roman d’initiation et une fresque sociale
1. Un roman d’initiation
2. Une esthétique naturaliste



Commentaire littéraire

I. La fonction d'exposition de l'incipit

1. La structure du texte

Cet extrait se fonde sur l’alternance de passages descriptifs et d’exclamations en style direct. => découverte progressive des lieux avec effet de suspens, que les exclamations des personnages traduisent dans le registre psychologique de la surprise.

2. Le jeu des points de vue

Mouvement d’intériorisation du point de vue. Les premier, deuxième et troisième paragraphes sont en focalisation omnisciente, le quatrième paragraphe en focalisation interne. Cela permet une présentation globale des personnages et du contexte.

3. Les renseignements fournis par le texte

- Personnages : noms, liens de parenté, âges, apparences physiques
- Lieux : le départ de Valognes (Normandie), l’arrivée à Paris, le quartier en chantier des grands magasins
- Cet incipit nous donne la date et l'heure : octobre 1864, 8 heures du matin, avant l’ouverture du magasin
- Raisons du voyage : mort du père, pauvreté (et une raison implicite : le scandale causé par Jean et son "histoire de femme à Valognes").


II. Portrait des personnages et du magasin

1. Des personnages pathétiques

- Thème des orphelins contraints à l’exode économique.
- Signes de pauvreté (les "vieux vêtements", "la dure banquette d’un wagon de troisième classe", "l'air pauvre").
- Errance "effarés et perdus" dans le "vaste Paris".

2. Un grand magasin opulent, en opposition avec les personnages

A la pauvreté des personnages s’oppose l’opulence du magasin.
A leurs habits de deuil, les vêtements aux couleurs éclatantes
A la mort et à la misère qu’ils fuient, la vie foisonnante de l’activité économique du magasin.
A la petite ville de Valognes, l’expansion de l’univers urbain ("Ça enfonce Valognes").

L’activité du magasin est comparée à "une ruche qui s’éveille". Son pouvoir de séduction est évoquée par le biais de "Deux figures allégoriques, deux femmes riantes, la gorge nue et renversée, déroulaient l’enseigne : Au Bonheur des Dames".

3. Un sentiment ambivalent

Ce faisceau de contrastes suscite chez Denise une réaction ambiguë. On la sent fascinée (comme le suggère la suite d’adjectifs "émue, intéressée, oublieuse du reste", "absorbée"), mais également quelque peu apeurée.


III. Un roman d’initiation et une fresque sociale

1. Un roman d’initiation

Présence des indices du genre : le mode de narration adopté (centrée sur un personnage principal), les thèmes privilégiés (déracinement, pauvreté, univers inconnu, confrontation de différentes couches sociales), les éléments classiques de la structure narrative (l’idée d’étapes à venir, dont l’enjeu constitue un futur savoir relatif au magasin).

2. Une esthétique naturaliste

=> rôle des descriptions, abondance du lexique, précision sémantique et technique, repères spatio-temporels détaillés, focalisation le plus souvent omnisciente, structure énonciative (système du récit : narration à la troisième personne et au passé).

-> Lien interne : fiche sur Zola et le naturalisme.




Conclusion

   Dans cet incipit de Au Bonheur des Dames, à travers le regard fasciné d’une jeune provinciale montée à Paris, le lecteur assiste à la mise en place d’une intrigue romanesque qui va se dérouler sur deux plans : sentimental et social.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur l'incipit de Au Bonheur des Dames de Zola