Plan de la fiche sur
Le Bonheur dans le crime de Jules Barbey d'Aurévilly :
Introduction
Bien que n'ayant jamais connu la notoriété d'écrivain de la même époque comme Maupassant, Jules Barbey d'Aurévilly (1808 - 1889) réussit avec
LES DIABOLIQUES un bijou de littérature à l'intersection entre le romantisme le plus exacerbé des sentiments, le réalisme social et humain le plus implacable, et le fantastique du milieu du XIX
ème siècle, si loin du merveilleux ou de la science fiction.
Le bonheur dans le crime est l'une des nouvelles de ce recueil, dans lequel sont dépeints les vices es plus monstrueux à travers l'évocation de quelques destins individuels et extraordinaires. L'histoire est narrée en partie en focalisation externe, puisque le narrateur est le témoin de l'action principale, et que nous la connaissons par lui. Mais ce narrateur est lui aussi un personnage, et nous la connaissons par lui. Mais ce narrateur est lui aussi un personnage, et nous connaissons ses sentiments par une focalisation interne : les types de narrations sont donc enchâssés. Dans le début de la nouvelle, le narrateur entreprend d'évoquer à la première personne une scène dont il a été témoin au zoo, alors qu'il se promenait avec son ami, le docteur Torty : une femme et une panthère se font face et, contrairement à toute attente des deux belles, c'est la plus humaine qui a le dessus sur l'autre.
Texte étudié
Je ne la voyais alors que de profil ; mais, le profil, c'est l'écueil de la beauté ou son attestation la plus éclatante. Jamais, je crois, je n'en avais vu de plus pur et de plus altier. Quant à ses yeux, je n'en pouvais juger, fixés qu'ils étaient sur la panthère, laquelle, sans doute, en recevait une impression magnétique et désagréable, car, immobile déjà, elle sembla s'enfoncer de plus en plus dans cette immobilité rigide, à mesure que la femme, venue pour la voir, la regardait ; et - comme les chats à la lumière qui les éblouit - sans que sa tête bougeât d'une ligne, sans que la fine extrémité de sa moustache, seulement, frémît, la panthère, après avoir clignoté quelque temps, et comme n'en pouvant pas supporter davantage, rentra lentement, sous les coulisses tirées de ses paupières, les deux étoiles vertes de ses regards. Elle se claquemurait.
- Eh ! eh ! panthère contre panthère ! - fit le docteur à mon oreille ; - mais le satin est plus fort que le velours.
Le satin, c'était la femme, qui avait une robe de cette étoffe miroitante - une robe à longue traîne. Et il avait vu juste, le docteur ! Noire, souple, d'articulation aussi puissante, aussi royale d'attitude, - dans son espèce, d'une beauté égale, et d'un charme encore plus inquiétant, - la femme, l'inconnue, était comme une panthère humaine, dressée devant la panthère animale qu'elle éclipsait ; et la bête venait de le sentir, sans doute, quand elle avait fermé les yeux. Mais la femme - si c'en était un - ne se contenta pas de ce triomphe. Elle manqua de générosité. Elle voulut que sa rivale la vît qui l'humiliait, et rouvrît les yeux pour la voir. Aussi, défaisant sans mot dire les douze boutons du gant violet qui moulait son magnifique avant-bras, elle ôta ce gant, et, passant audacieusement sa main entre les barreaux de la cage, elle en fouetta le museau court de la panthère, qui ne fit qu'un mouvement... mais quel mouvement ! ... et d'un coup de dents, rapide comme l'éclair ! ... Un cri partit du groupe où nous étions. Nous avions cru le poignet emporté : Ce n'était que le gant. La panthère l'avait englouti. La formidable bête outragée avait rouvert des yeux affreusement dilatés, et ses naseaux froncés vibraient encore...
Le Bonheur dans le crime - Jules Barbey d'Aurévilly
Annonce des axes
I. Une anecdote saisissante
1. Un spectacle frappant
2. Le poids des regards
3. La dramatisation du récit
II. Le parallèle entre la femme et la panthère
1. La situation dans l'espace
2. La panthère-femme
3. La femme-panthère
III. La supériorité de la femme : un épisode fantastique et révélateur
1. La double victoire de la femme
2. Un pouvoir surnaturel ou fantastique
3. Un événement qui révèle le caractère inquiétant du personnage
Commentaire littéraire
I. Une anecdote saisissante
1. Un spectacle frappant
De la description de la femme et de la panthère ressort le caractère remarquable et superbe de ces deux personnages.
-> Elles sont toutes les deux muettes et n'existent
que par leur apparence et quelques rares et menus gestes.
* La présence de la panthère est inattendue et riche en connotations extraordinaires. Le texte insiste sur son caractère félin et instinctivement sauvage. Finalement on n'a pas le sentiment de voir une bête en cage, à l'instinct dénaturé, mais, alors qu'on est au zoo, on croit voir un fauve à peine retenu par ces barreaux.
* A cela s'ajoute la beauté et l'élégance exceptionnelle de la femme qui lui fait face (beaucoup d'hyperboles).
-> Le geste spectaculaire et dangereux de cette
femme, qui risque sa main vient donc presque naturellement compléter ce spectacle stupéfiant.
2. Le poids des regards
Le jeu des regards et leur mise en abîme contribue également à l'effet dramatique
de la scène.
-> Il est au cœur de la scène puisque c'est l'arme
du duel qui oppose la femme et la panthère.
-> Le regard est aussi redouté par celui des spectateurs
de la scène : narrateur et groupe des gens.
-> Au bout de la chaîne des regards, on trouve enfin
celui du lecteur à qui on
donne une image à voir à travers la description, et une scène à observer à travers
la narration.
-> Il y a donc un jeu de miroir, au centre duquel se trouve la femme qui focalise
tous les regard sur elle.
3. La dramatisation du récit
Elle est intensifiée par la structure du texte et les procédés narratifs
-> Dilatation du temps qui donne plus de force à ce
court instant. Obtenu grâce aux longues extensions descriptives, qui arrêtent
l'image sur la femme et la panthère tour à tour et font monter le suspense dramatique.
-> L'action centrale est très condensée.
-> Insistance sur la rapidité qui accompagne l'idée
de surprise et de danger évoquée
par le raccourcissement des propositions, leur syntaxe incomplète et les points
de suspensions et d'exclamation, qui les rapprochent de l'expression orale et
actualise le récit. On peut remarquer la concordance entre le champ lexical de
la brièveté et de la rapidité, et des procédés de styles, et les rythmes saccadés
ou abrégés par la ponctuation et les petits groupes syntaxiques ou la présence
de plus en plus fréquente de termes mono ou dissyllabiques.
II. Le parallèle entre la femme et la panthère
1. La situation dans l'espace
La situation et l'espace mettent symboliquement en parallèle la femme et la panthère.
Toutes deux se font face sans parler, presque sans bouger, seulement séparées
par 'les barreaux de la cage', frontière réversible, et elles s'affrontent du
regard, tout en étant exposées au regard des autres. Dans ce zoo, la femme comme
la panthère ne peuvent échapper à leurs spectateurs. On a plutôt l'impression
qu'elles sont toutes deux en cage, comme le dompteur et son animal, et qu'elles
sont isolées du reste du public.
2. La panthère-femme
Elle est dotée d'une grande animalité et d'une féminité certaine. Il faut remarquer
d'abord que le nom de cet animal, quel que soit son sexe, est féminin, ce qui
les rend d'emblée semblables, notamment dans les pronoms qui leur correspondent
dans la grammaire de la phrase. Réputation de beauté et d'élégance renvoi l'image
d'une femme. On parle même de velours qui est un tissu féminin, de fourrure,
de robe. Dans le deuxième paragraphe, c'est à travers les sentiments qu'il prête à la
femme que l'auteur humanise la panthère.
3. La femme-panthère
Mais le but de cette analogie est avant tout de faire de la femme une vraie panthère,
de la revêtir des spécificités habituellement propres à ce type de fauve.
-> Elle a le même regard.
-> Un des spectateurs la traite de panthère (termes
de comparaisons et vocabulaire
réservé à la description de ce type d'animal)
-> Geste final digne d'un félin.
III. La supériorité de la femme : un épisode fantastique et révélateur
1. La double victoire de la femme
-> La femme l'obtient sans bouger et par le regard.
Elle oblige le félin à fermer les yeux.
-> Le geste final de la femme que l'animal ne parvient
pas réellement à punir résultat dérisoire.
2. Un pouvoir surnaturel ou fantastique
Cette dernière victoire est étrange et privilégie l'interprétation fantastique. Cette scène aurait pu avoir lieu un jour et endroit banals or la présentation subjective de l'anecdote, à travers la vision du narrateur, nous place devant une hésitation rationnelle ou surnaturelle d'un événement placé dans un contexte réaliste et vraisemblable. Le noir rapproche de la sorcellerie et du diable.
3. Un événement qui révèle le caractère inquiétant du personnage
On ne sait ni son nom ni son histoire et n'en semble que plus mystérieuse et énigmatique.
Apparemment rien ne lui résiste, ni homme ni bête, car elle a la puissance, la beauté et
l'instinct d'un animal royal, associé à la séduction et à l'intelligence d'une femme.
Conclusion
Ce passage de
Le Bonheur dans le crime nous régale à la fois d'une anecdote passionnante, à l'atmosphère étrange
et fantastique, mais aussi d'un portrait à la fois physique, moral et symbolique
d'un personnage-clef pour le récit. C'est avec un art consommé que l'auteur
attire notre attention et retient notre intérêt sur cette femme mystérieuse,
et nous donne envie de lire la suite pour comprendre qui elle est. Or,
Le Bonheur dans le crime confirme bien cette impression, puisque le personnage féminin se nomme 'Hauteclaire', est une bretteuse hors pair, et accepte de se
cacher dans la domesticité de son amant, pour mieux attendre ou préparer la
mort de sa femme légitime. Enfin heureux, le couple jouit dons de son impunité monstrueuse,
lorsque le narrateur de passage les rencontre, et c'est son ami le docteur Torty
qui lui révélera leur histoire. Pour le lecteur, ce texte fonctionne donc comme
un incipit un peu retardé, et justifie le retour en arrière de la narration
sur ce personnage au statut d'héroïne.