Plan de la fiche sur le chapitre 1 de
Candide de Voltaire :
Introduction
Dans ce
début de chapitre 1 de Candide, Voltaire donne l'image du
meilleur des mondes possibles, avec des préjugés
sur l'innocence (cf. Eden), et plein d'illusions sur la réalité.
C'est l'incipit du conte, et il a pour fonction de présenter les
personnages, le contexte, la situation initiale. Cela se fait par petits
paragraphes successifs, correspondant à peu près chacun à un
personnage; le chapitre est clôt par le départ de Candide et sa découverte du monde.
Tout semble aller pour le mieux, mais des indices indiquent au lecteur qu'il
faut prendre le récit au second degré, et le ton ironique
est déjà présent dès le premier chapitre.
La description qui ressemble à un conte de fée contribue à dénoncer
un univers fondé sur l'illusion. La perspective critique et philosophique est
donc déjà présente dès le début de l'œuvre.
Texte étudié
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Lu par Laeticia - source : litteratureaudio.com
CHAPITRE PREMIER
COMMENT CANDIDE FUT ÉLEVÉ DANS UN BEAU CHÂTEAU, ET COMMENT IL FUT CHASSÉ D'ICELUI
Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh,
un jeune garçon à qui la nature avait donné les moeurs
les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le
jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple ; c'est, je crois, pour
cette raison qu'on le nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison
soupçonnaient qu'il était fils de la soeur de monsieur le baron
et d'un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle
ne voulut jamais épouser parce qu'il n'avait pu prouver que soixante
et onze quartiers, et que le reste de son arbre généalogique
avait été perdu par l'injure du temps.
Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie,
car son château avait une porte et des fenêtres. Sa grande salle
même était ornée d'une tapisserie. Tous les chiens de
ses basses-cours composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient
ses piqueurs ; le vicaire du village était son grand aumônier.
Ils l'appelaient tous monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes.
Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s'attirait
par là une très grande considération, et faisait les
honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus
respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était
haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante. Le fils du
baron paraissait en tout digne de son père. Le précepteur Pangloss était
l'oracle de la maison, et le petit Candide écoutait ses leçons
avec toute la bonne foi de son âge et de son caractère.
Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie.
Il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans cause, et que, dans
ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était
le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles.
« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être
autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement
pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits
pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont
visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons
des chausses. Les pierres ont été formées pour être
taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a
un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être
le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être
mangés, nous mangeons du porc toute l'année : par conséquent,
ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait
dire que tout est au mieux. »
Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment ; car il trouvait
Mlle Cunégonde extrêmement belle, quoiqu'il ne prît jamais
la hardiesse de le lui dire. Il concluait qu'après le bonheur d'être
né baron de Thunder-ten-tronckh, le second degré de bonheur était
d'être Mlle Cunégonde ; le troisième, de la voir tous
les jours ; et le quatrième, d'entendre maître Pangloss, le
plus grand philosophe de la province, et par conséquent de toute la
terre.
[...]
Extrait du chapitre 1 de Candide - Voltaire
Annonce des axes
I. La présentation des personnages
II. Les caractéristiques du conte
III. Une satire
Commentaire littéraire
I. La présentation des personnages
Ce chapîptre premier est un incipit. Les personnages sont présentés successivement selon l'ordre d'entrée en scène.
Tout d'abord, Candide est un élément important du premier paragraphe. Le narrateur établit une relation entre sa physionomie et son caractère : « esprit simple », « sa physionomie annonçant son caractère ». Il décrit ses origines généalogiques : c'est un enfant naturel. Candide est un personnage naïf, incapable de duplication ni de dissimulation. Toutefois, il est ingénu mais pas sot : « il avait le jugement assez droit ». Cela laisse une perspective d'évolution, et montre qu'il est capable d'éducation et de progrès.
Candide est en porte-à-faux au château, car il est discrédité et il n'appartient pas à la caste représentée
par le fils du baron. C'est un personnage central plus que principal.
La présentation du baron se fait par petites étapes, des phrases brèves font le tour de tout ses biens. Son pouvoir est mis en relief : « un des plus puissants » avec des signes extérieurs de richesse : « tapisserie », « grand aumônier » :
cette apparence de richesse fait de lui un personnage important.
La baronne est évoquée en premier lieu par sa masse. Elle apparaît comme l'image traditionnelle d'une maîtresse
de maison et digne de respect dont elle profite.
Puis Cunégonde est décrite par trois adjectifs : « fraîche, grasse, appétissante ». Elle représente la sensualité.
Le fils du baron est décrit très brièvement: « en tout digne de son père »; il n'a pas de caractère.
Enfin Pangloss est décrit en dernier, le ton est administratif, il est assimilé à un « oracle ». « admirablement » => présentation
dans le discours de Pangloss.
L'évocation de ce contexte s'apparente donc beaucoup à celle du conte.
II. Les caractéristiques du conte
La description du lieu en fait un microcosme, un endroit merveilleux
et coupé du monde et de la réalité.
On retrouve la formule traditionnelle « il y avait », les personnages sont mis en scène dans un lieu imprécis, « en Westphalie », qui est un pays peu connu et qui a la réputation d'être arriéré, le nom de château: « Thunder-ten-tronckh » a des sonorités abruptes relevant de l'imagination. De même, l'époque
est intemporelle.
On se situe donc dans un monde qui semble lointain,
voire imaginaire : le monde d'un conte.
On retrouve également les personnages et le milieu traditionnels : le contexte aristocratique, « le château », ainsi quelle pouvoir, les richesses, et un monde fixé dans des codifications sociales rigides. Tout est sous le signe de la richesse et de la beauté, les termes employés sont valorisants et élogieux : tout va bien. Ainsi on trouve beaucoup de superlatifs : « le plus beau ».
Le lecteur est donc entraîné dans un univers merveilleux où tout va pour le mieux ; mais quelques éléments inattendus le mettent sur la voie d'une distorsion dans l'harmonie générale et montre l'esprit satirique de Voltaire.
III. Une satire
Voltaire réalise une satire de la noblesse :
Les effets de décalage et de distorsion sont des indices pour le lecteur, montrant qu'il s'agit ici d'une satire. Ainsi, on note de nombreux rapprochements faussement logiques, comme la relation entre la puissance du baron et la présence de « portes » et de « fenêtres » à son château ; de même le rapport entre la masse de la Comtesse et le respect dont elle jouit.
Le pouvoir et la considération des personnages relèvent donc de l'illusion, et non d'une réalité.
La noblesse est présentée comme pédante : patronyme du baron ridicule (Thunder-ten-tronckh - L'allitération en [t] souligne le ridicule du nom), il n'admet pas sa pauvreté.
Il y a une confusion et une distorsion dans la description, et le narrateur
souligne implicitement que chez le baron tout est faux, par exemple « chiens de basse-cour » complètent « la meute », « palefreniers » sont ici « piqueurs », « vicaire du village » <=> « grand aumônier ».
Il y a donc une confusion entre la réalité et l'apparence. On a dans un premier temps l'impression d'un noble qui mène grand train, alors qu'il ne s'agit que d'un petit seigneur de province.
Voltaire réalise une satire de la philosophie optimiste :
De même, le raisonnement de Pangloss est totalement décalé (Pangloss = « tout en langue »). Pour le montrer, le narrateur lui donne la parole au discours direct. Les exemples qu'il prend reposent sur une démonstration soi-disant logique : « donc », « par conséquent ». Mais en réalité elle ne comporte aucune logique :
la conclusion qu'il formule est donc totalement inacceptable.
Pangloss enseigne une matière au nom ridicule : « la métaphysico-théologo-cosmolonigologie ». La répétition du son [o] dans le nom de cette matière montre la pédanterie de la science. Voltaire a habilement glissé le mot nigaud dans « cosmolonigologie ».
Pangloss réalise des raisonnements faux sur la finalité des choses (« les nez ont été faits pour porter des lunettes », « Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussée », « Les pierres ont été formées pour être taillées »...).
L’accumulation de tels exemples, avec des phrases construites sur un schéma identique, crée un effet comique, qui culmine avec :« le plus grand baron de la province doit être le mieux logé », le château du baron étant quelconque (il ne se distingue des chaumières environnantes que par des portes et des fenêtres).
Ainsi, avec le personnage de Pangloss, Voltaire critique la
philosophie optimiste du philosophe Leibniz.
Conclusion
Dès le chapitre 1 de Candide, Voltaire place des indices dans le texte qui attirent l'attention du lecteur, soulignant l'illusion de la richesse et de connaissance dans laquelle vivent les personnages. Il n'y a aucune référence au monde extérieur, et Candide ne connaît que ce qui l'entoure; c'est un monde fermé sur lui-même, basé sur des valeurs fausses. A partir du chapitre suivant, il comparera le monde réel à l'enseignement de Pangloss => double
plan du conte et de l'enseignement philosophique.