Les Colchiques

Apollinaire



Introduction

      Dans ce poème Les Colchiques, la femme est associée à une fleur, la colchique. Mais cette fleur est vénéneuse, c’est un poison. C’est donc l’inverse du mythe de la femme fleur. Ce poème a été pour la première fois publié le 15 novembre 1907 dans le journal la Phalange.
      C’est un poème d’inspiration allemande rédigé en 1901 qui vient après les poèmes de la chanson du mal aimé. On est face à un échec amoureux. A la même époque, il rencontre Annie Playden. Chez Apollinaire, le sentiment d’être mal aimé est constitutif de sa nature même.

Problématique : Comment Apollinaire réutilise-t-il un mythe ancien à travers une forme poétique nouvelle ?



Lecture du poème


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Lu par Coralie Galmiche - source : litteratureaudio.com

Les colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s'empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la
Violatres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne

Les enfants de l'école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne

Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)




Annonce des axes

Etude

I- L’utilisation d’un mythe

Pour dire que l’amour est un poison dont il faut s’éloigner, Apollinaire réutilise le mythe de la femme fleur déjà utilisé par Ronsard. Mais dans cette comparaison, l’amour de la femme est toujours une souffrance.

A- La fleur présentée comme un poison

Les colchiques sont des plantes des prés qui sont un poison violent pour les hommes et les animaux. Le verbe « s’empoisonne » revient deux fois dans le poème. Une correspondance s’établit entre les vaches et le poète. Il existe un autre point de comparaison : c’est la notion de temps pour symboliser la conséquence qui peut être la mort (lentement, tout doucement). La relation se fait autour du verbe empoisonner et de l’adverbe lentement pour insister sur la lenteur des animaux et de la mort. On a un sentiment d’étirement de quelque chose dont on ne voit pas la fin, de délitement. L’amour ne va-t-il pas se défaire avec le temps ?

B- La présence de la femme et l’inversion du mythe

C’est étonnant que la femme soit présente. La présence du regard qui tue et fascine est récurrente chez Apollinaire. La femme est présentée à travers le regard (yeux, paupières). C’est un dialogue à une seule voix, la parole du poète qui s’adresse à la femme aimée. Il y a une construction en miroir : les animaux s’empoisonnent par la fleur et le poète s’empoisonne aussi. Il y a un étiolement de l’amour qui devient un faux-amour .

Adieux faux amour confondu
Avec la femme qui s’éloigne
Avec celle que j’ai perdue
L’année dernière en Allemagne
Et que je ne reverrai plus
La chanson du mal aimé
L’autre élément féminin, c’est les mères filles de leurs filles : au printemps, le colchique donne des fruits et des fleurs en automne, il y a inversion du temps et de la logique par un retour paradoxal. Les yeux sont comme des fleurs, les fleurs sont des mères filles de leurs filles. Les vers 10-11-12 sont des vers libres à 14 pieds : c’est l’extension maximale de l’alexandrin qui permet d’introduire une autre comparaison : les paupières sont comparées aux fleurs. Donc les paupières et les fleurs vont se flétrir puisqu’elles battent. Le vers s’étire comme l’amour s’étire, comme la fleur flétrit par le battement du vent. Aux vers 5-6, la comparaison est faite entre la fleur et les yeux. Les yeux sont comme la fleur qui est violette comme les cernes des yeux et comme l’automne. Le suffixe –âtre (violâtres) est péjoratif mais le pluriel –s apparente les yeux aux cernes.
La couleur concerne plus les yeux. Au vers 4, le colchique couleur de cerne et de lilas répond en chiasme à violâtre comme leur cerne. Il y a une superposition. La comparaison tourne en rond. Cette superposition de comparaisons permet l’expression d’un amour qui se perd dans un dialogue avec un être qui est absent. Il y a construction d’une image de la femme avec inversion du mythe de la femme fleur. Donc il vaut mieux quitter les yeux de la femme bien-aimée car elle peut empoisonner.


II- Un cadre de chanson rustique

Le cadre construit une image négative de la femme. Il va inscrire ce thème dans un cadre bucolique qui malgré tout construit une inquiétude.

A- Les lieux

Tout d’abord, on a le pré qui va évoluer entre le premier et le dernier vers du poème. Vénéneux sous entend dangereux, mais il est contrecarré par mais joli. Ainsi, le pré est gai. Le sentiment d’abandon n’est pas encore marqué car les vaches y sont paissant. A la fin, il devient grand car il est vide. Ensuite, il devient mal fleuri. Au début, en automne est une explication alors qu’à la fin, c’est la faute de l’automne. Ce lieu construit le sentiment d’une fin d’amour.

B- Les personnages

Ce sont les animaux, les vaches, les enfants de l’école, le gardien qui ont des caractéristiques de mouvement, de musique (avec fracas, joue de l’harmonica). Le gardien du troupeau renvoie à Orphée. La musique se transforme en sonorités désagréables qui renvoient au coté campagnard inscrit dans le poème renforcé par le mot « hoqueton ». Le poète place le mythe inversé de la femme fleur dans une chanson rustique.

Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux
Et son bœuf lentement dans le brouillard d’automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux

Et s’en allant là-bas le paysan chantonne
Une chanson d’amour et d’infidélité
Qui parle d’une bague et d’un cœur que l’on brise

Oh ! l’automne l’automne a fait mourir l’été
Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises
Automne

III- Une forme sens

7 vers   |                    les vers deux et trois forment un
5 vers   | étirement     alexandrin coupé à la césure.
3 vers   |

A- Le thème de l’éloignement et de l’effacement

On ne peut pas considérer ce poème comme un sonnet car il y a un découpage décroissant qui construit l’effacement des yeux de la femme aimée mais dangereuse. A la fin, il reste simplement le poète dans sa douleur, dans un monde où tout s’éloigne. Le poète dit sa mélancolie en construisant une forme qui se superpose à un sens. C’est donc une attitude moderne.

B- Les événements transcendés par la magie de l’art

C’est l’écriture de la modernité d’une fin d’amour. Le poème naît des sentiments vécus et de l’imagination, des souvenirs du poète. Il y a l’écriture d’un sentiment malheureux.



Conclusion

      Dans le poème Les Colchiques, Apollinaire affirme son pouvoir créateur. En disant sa mélancolie, il la maîtrise ; mais il se complaît tout de même dans cet état. Par contre, il y a une transcendance de cette mélancolie en superposant les images de l’automne à un amour qui finit. Ce qui importe ce n’est pas l’aspect biographique du poème mais le pouvoir créateur du poète. Je me souviens d’une autre année
C’était l’aube d’un jour d’avril
J’ai chanté ma joie bien aimée
Chanté l’amour à voix virile
Au moment d’amour de l’année
La chanson du mal aimé
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