Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.
- Te souvient-il de notre extase ancienne ?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?
- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non.
Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.
- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
- Le dialogue est encadré par les rimes AA et BB (décor). Ce cadre est connoté par la tristesse, le froid, l’abandon. (vers 1) « vieux, solitaire, glacé » => cela retrace la mort et la souffrance.
- Verlaine est hanté par les fantômes et il se sent abandonné « avoine folle »
- La répétition du vers 1 au vers 5 est l’image d’un enfermement
- Il y a une opposition fantastique qui disparaît au vers 15 et dont
on se demande si l’on a réellement entendu les paroles.
2. Le temps à fait son œuvre
- Le début du poème est au passé composé donc
un passé proche évoqué par le complément « tout à l’heure » (les
présents « sont molles » « sont mort » ont
un caractère intemporel)
- Au vers 6, le passé semble s’éloigner. Au vers 15, après l’imparfait, on a une rupture avec le passé simple qui nous montre la fin définitive du poème (vers 16) => il correspond à la fin des paroles, la fin du rêve d’un des interlocuteurs. C’est un passé qui ne peut être ravivé. Le dialogue cesse mais a-t-il existé ou provient-il de l’imagination du poète ?
- Verlaine fait un effort pour revivre le passé (vers 7) mais il va être
arrêté par le présent (vers 8) qui est désenchanté
par rapport au passé magnifique (vers 13).
3. Les deux personnages
Les deux personnages sont deux interlocuteurs anonymes qui ont une absence de vie.
Vers 2 : « deux formes », vers 6 : « deux spectres »,
vers 3 : « leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles » => absence de réalité physique
Vers 16 : « Et la nuit seule entendit leur parole » => leurs paroles ne s’accordent pas
II. L’impossible dialogue
1. L’échange dissymétrique
- On remarque une opposition du tutoiement pressant (vers 7-9-10-12), de la complicité (nous => intimité)
et du vouvoiement pour mettre la distance (vers 8 puis plus de référence à l’autre
dans les réponses).
- Répliques longues exprimant une vision idéale de l’amour,
avec des mots hyperboliques : « extase », « ton cœur », « mon âme », « bonheur
indicible » => exalté. Ces répliques sont différentes
aux réponses froides ou
l’interlocuteur est maître de lui => négation de l’amour,
désenchantement (vers 14)
2. Le refus de communication
Il y a une accumulation de questions (vers 7-9-10) et d’exclamation (vers
11-12-13) auxquelles l’interlocuteur répond en monosyllabes ou
en phrases très brèves, très sèches. Il fait une
interrogation rhétorique qui est une fin de non recevoir.
- 1er interlocuteur :
Il essaie de raviver l’amour et recherche une alliance
=> Il utilise des pronoms personnels et des adjectifs possessifs de la 2ème personne du singulier et de la 1ère personne du singulier et du pluriel « je + tu = nous »
=> Vers 9-10, il recherche une réunion et montre la volonté d’abolir la fuite du temps. Emploie du présent et de l’adverbe toujours qui insistent sur la continuité. Les « ? » ont une valeur affective et seront remplacés par des exclamations.
Le 1er interlocuteur trouve son bonheur dans le passé (présent remplacé par l’imparfait)
- 2ème interlocuteur :
Il refuse de se souvenir de l’amour. Sa 1ère réplique est une interrogation, un refus. L’interlocuteur répond aux sentiments (extase) par la raison (pourquoi… donc). Ce sont des réponses laconiques qui stoppent le 1er interlocuteur (vers 9-10, il reste un monosyllabe pour la réplique du second. Pareil vers 12 : 3 syllabes)
- Dans le dernier distique du dialogue, le deuxième interlocuteur répond de façon pessimiste
Ces deux vers sont construits en chiasme (adjectif
valorisant + nom + adjectif postposé +
nom). Le vers 13 est l’axe de symétrie.