Plan de la fiche sur Le voyage vers Paris -
Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau :
Introduction
Jean-Jacques Rousseau publie au XVIIème siècle un livre intitulé
Les Confessions (titre faisant références aux Confessions de Saint Augustin) dans lequel il fonde le genre autobiographique. Son oeuvre représente donc une démarche novatrice à l'époque : celle qui consiste à expliquer la construction de sa personnalité.
L'extrait que nous étudierons décrit le voyage de Rousseau vers Paris où il espère rencontrer Mme de Warens. Plus que le simple récit de ses pérégrinations, Rousseau nous livre ici ses pensées.
Question possible à l'oral : Comment, à travers un voyage intérieur, Rousseau nous livre-t-il des pensées constitutives de sa personnalité et de son être ?
Jean-Jacques Rousseau adolescent, artiste inconnu
Lecture du texte
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Lu par Pomme - source : litteratureaudio.com
Je mis à ce voyage une quinzaine de jours, que je peux compter parmi les
heureux de ma vie. J'étais jeune, je me portais bien, j'avais assez d'argent,
beaucoup d'espérance, je voyageais à pied, et je voyageais seul.
On serait étonné de me voir compter un pareil avantage, si déjà l'on
n'avait dû se familiariser avec mon humeur. Mes douces chimères
me tenaient compagnie, et jamais la chaleur de mon imagination n'en enfanta de
plus magnifiques. Quand on m'offrait quelque place vide dans une voiture, ou
que quelqu'un m'accostait en route, je rechignais de voir renverser la fortune
dont je bâtissais l'édifice en marchant. Cette fois mes idées étaient
martiales. J'allais m'attacher à un militaire et devenir militaire moi-même ; car on avait arrangé que je commencerais par être cadet. Je croyais
déjà me voir en habit d'officier, avec un beau plumet blanc. Mon
coeur s'enflait à cette noble idée. J'avais quelque teinture de
géométrie et de fortifications ; j'avais un oncle ingénieur ;
j'étais en quelque sorte enfant de la balle. Ma vue courte offrait un
peu d'obstacle, mais qui ne m'embarrassait pas ; et je comptais bien, à force
de sang-froid et d'intrépidité, suppléer à ce défaut.
J'avais lu que le maréchal Schomberg avait la vue très courte;
pourquoi le maréchal Rousseau ne l'aurait-il pas ? Je m'échauffais
tellement sur ces folies, que je ne voyais plus que troupes, remparts, gabions,
batteries, et moi, au milieu du feu et de la fumée, donnant tranquillement
mes ordres la lorgnette à la main. Cependant, quand je passais dans des
campagnes agréables, que je voyais des bocages et des ruisseaux, ce touchant
aspect me faisait soupirer de regret ; je sentais au milieu de ma gloire que
mon coeur n'était pas fait pour tant de fracas, et bientôt, sans
savoir comment, je me retrouvais au milieu de mes chères bergeries, renonçant
pour jamais aux travaux de Mars.
Les Confessions - Jean-Jacques Rousseau - Le voyage vers Paris
Annonce des axes
Nous étudierons d'abord le thème du voyage, puis les rêves abordés dans l'extrait et enfin le regard amusé de Rousseau sur le jeune Jean-Jacques.
I. Le thème du voyage
1. Un voyage sans contrainte
2. Voyager = rêver ?
3. Le voyage intérieur
II. Les rêves de Rousseau
1. Le rêve militaire
2. Le rêve pastoral
III. Le regard moqueur de Rousseau sur Jean-Jacques
1. Rousseau peu dupe des illusions de Jean-Jacques
2. Rousseau se moque de la fugacité des rêves de Jean-Jacques
Commentaire littéraire
I. Le thème du voyage
1. Un voyage sans contrainte
- « j'étais jeune, je me portais bien, j'avais assez d'argent »,
Jean-Jacques se trouve hors des contraintes matérielles et donc hors
du temps (cf. le rêve).
- « les heureux », « je me portais bien », « beaucoup
d'espérance », « magnifique » = vocabulaire valorisant
hyperbolique.
- « seul » hors des contraintes sociales.
=> Le voyage de Rousseau s'annonce comme un voyage plaisant et sans
contrainte, c'est de plus un moment d'exception comme nous le montre la formule « jamais
ne plus ».
2. Voyager = rêver ?
- Rousseau marque sa préférence à voyager seul, son refus
de la compagnie « je rechignais », de plus l'utilisation du pronom « on » et
de l'appellation « quelqu'un » créent une mise à distance.
- Le paysage est ici relégué au rang de prédicat, il est
anecdotique et anonyme.
=> Rousseau crée donc les conditions d'un voyage solitaire propice à la
réflexion ou aux rêves, ce que nous montre le mot « douce
chimère ».
3. Le voyage intérieur
- « mes idées », « chimère », « imagination », « noble
idée », « croyais », « folies », « enfant »,
vocabulaire montrant la vivacité de l'imagination et son pouvoir créateur.
- Les paysages évoqués sont liés à l'affectivité,
ce qui nous pousse à classer Rousseau parmi les préromantiques.
=> Le voyage que nous narre Rousseau est plus un voyage intérieur,
un voyage à travers ses pensées qu'un simple voyage d'un point à un
autre, nous allons donc étudier ses rêves.
II. Les rêves de Rousseau
1. Le rêve militaire
- Dans la narration de son rêve, Rousseau nie les difficultés,
aussi bien physiques (telle que sa vue courte) que sa montée en grade. « j'allais
m'attacher à un militaire et devenir militaire moi-même »,
sa promotion est donnée comme une évidence.
- « Je me voyais déjà » négation du temps,
une fois encore.
- Le rêve de Rousseau est aussi un rêve de gloire, « et moi » montre
que Jean-Jacques Rousseau est au milieu du tableau qui se dessine, il considère
le combat avec aisance, domine la situation, en opposition au lexique guerrier
qui met en valeur l'idée de danger. La lorgnette, donne l'idée
de bravoure, d'aisance et de commandement.
=> Construit l'image d'un Jean-Jacques puissant, renforcée par la
comparaison doublement valorisante au Maréchal Schonberg.
2. Le rêve pastoral
- L’aspect pastoral de la personnalité de Rousseau est évoqué brièvement
avec le champ lexical de la nature « campagne », « ruisseau »,
ce qui crée une opposition avec le premier rêve.
- Rousseau semble proche du rêve bucolique car en se livrant à son
imagination et à ses émotions, il est plus proche de sa nature.
- Lexique de l'affectivité « touchant » « sentais » « chères » « soupirer ».
- « je me retrouvais », l'emploi de ce verbe indique le retour
de Jean-Jacques vers ce qui est constitutif de sa personnalité.
=> Le second rêve semble plus proche de la personnalité de
Rousseau que le premier, mais la transition entre les deux est très
rapide (« cependant » indique une quasi simultanéité,
voir une superposition), on peut donc penser que ces rêves ne sont pas
pris aux sérieux par Rousseau, ce qui nous amène à étudier
le regard de Rousseau sur le jeune Jean-Jacques.
III. Le regard moqueur de Rousseau sur Jean-Jacques
1. Rousseau peu dupe des illusions de Jean-Jacques
- « Pourquoi le maréchal Rousseau ne l'aurait-il pas ? » le
ton de cette phrase est humoristique.
- « avec son beau plumet blanc » cliché.
- Lorsque Jean-Jacques se dit « enfant de la balle », il plie le
réel à ses illusions.
- Les lectures que son père faisait à Jean-Jacques quand il était
plus jeune parlent de « grands héros romains ».
=> Rousseau montre par son ton ironique, et les ambitions débordantes
de Jean-Jacques qu'il n'est pas dupe des illusions de sa jeunesse, pas dupe
non plus des rêves en eux-mêmes.
2. Rousseau se moque de la fugacité des rêves de Jean-Jacques
- « cette fois, mes idées étaient martiales » la
locution adverbiale temporelle « cette fois » montre que ce n'est
pas le premier rêve de Jean-Jacques, et suggère même que
beaucoup l'ont précédé.
- Rousseau se moque aussi du fait que Jean Jacques se présente comme
un héros picaresque, un Don Quichotte.
- « renonçant pour jamais » l'emploi du mot jamais relève
d'une forme d'ironie.
=>
Rousseau se moque des rêves de Jean-Jacques, aussi vite arrivés que repartis.
Conclusion
Dans l'extrait des Confessions que nous venons d'étudier, Rousseau évoque donc le thème du voyage, mais celui du voyage intérieur et non de la
description de paysages. Cette introspection se traduit par le récit de deux rêves : l'un guerrier, l'autre pastoral. A travers cela, on sent poindre
le regard moqueur de Rousseau sur son passé, sur ses rêves qui font partie de sa personnalité, et de sa capacité à rêver
qui est constitutive de son être.