Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau

Le concert de Lausanne - Livre quatrième

De "On s'assemble..." à "...je la méritais bien"





Plan de la fiche sur Le concert de Lausanne - Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Cet extrait se situe dans le livre 4 qui relate beaucoup de voyages à pieds, c'est une époque heureuse de la vie de Jean-Jacques Rousseau.
 
    En 1730, Rousseau a 18 ans. Seul et sans argent, il séjourne quelque temps à Lausanne pour se procurer des ressources, et bien qu'il ignore la musique, il se fait passer pour un maître de musique du nom de Vaussore (anagramme de Rousseau) de Villeneuve. Il va même jusqu'à organiser un concert où sera jouée une de ses "œuvres".
 
    Le récit de ce concert est comique, en effet, l'auteur utilise l'ironie qu'il exerce sur lui-même. Le passage n'est toutefois pas anodin, en effet, Jean-Jacques l'utilise à son profit pour en faire une "confession".
Jean-Jacques Rousseau adolescent
Jean-Jacques Rousseau adolescent, artiste inconnu

Lecture du texte


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Lu par Pomme - source : litteratureaudio.com

    On s'assemble pour exécuter ma pièce. J'explique à chacun le genre du mouvement, le goût de l'exécution, les renvois des parties ; j'étais fort affairé. On s'accorde pendant cinq ou six minutes, qui furent pour moi cinq ou six siècles. Enfin tout étant prêt, je frappe avec un beau rouleau de papier sur mon pupitre magistral les cinq ou six coups du Prenez garde à vous. On fait silence ; je me mets gravement à battre la mesure, on commence... Non, depuis qu'il existe des opéras français, de la vie on n'ouït un semblable charivari. Quoi qu'on eût pu penser de mon prétendu talent, l'effet fut pire que tout ce qu'on semblait attendre. Les musiciens étouffaient de rire ; les auditeurs ouvraient de grands yeux et auraient bien voulu fermer les oreilles ; mais il n'y avait pas moyen. Mes bourreaux de symphonistes, qui voulaient s'égayer, raclaient à percer le tympan d'un quinze-vingt. J'eus la constance d'aller toujours mon train, suant il est vrai à grosses gouttes, mais retenu par la honte, n'osant m'enfuir et tout planter là. Pour ma consolation, j'entendais autour de moi les assistants se dire à leur oreille, ou plutôt à la mienne, l'un, il n'y a rien là de supportable ; un autre, quelle musique enragée ! un autre, quel diable de sabbat ! Pauvre Jean-Jacques, dans ce cruel moment tu n'espérais guère qu'un jour, devant le roi de France et toute sa cour, tes sons exciteraient des murmures de surprise et d'applaudissement, et que, dans toutes les loges autour de toi, les plus aimables femmes se diraient à demi-voix : quels sons charmants ! quelle musique enchanteresse ! tous ces chants-là vont au cœur !

    Mais ce qui mit tout le monde de bonne humeur fut le menuet. A peine en eut-on joué quelques mesures, que j'entendis partir de toutes parts les éclats de rire. Chacun me félicitait sur mon joli goût de chant ; on m'assurait que ce menuet ferait parler de moi, et que je méritais d'être chanté partout. Je n'ai pas besoin de dépeindre mon angoisse, ni d'avouer que je la méritais bien.

    Jean-Jacques Rousseau - Les Confessions, livre 4




Annonce des axes

I. Un récit comique
1. Les moqueries des assistants
2. L'auto-dérision

II. La confession
1. L'aveu
2. Échec et triomphe



Commentaire littéraire

I. Un récit comique

1. Les moqueries des assistants

La raillerie a une tonalité de gaieté. En effet, le rire est très présent dans ce texte :
- Il est introduit par les musiciens, les premiers à avoir jugé l'extravagance de la partition.
- Puis la surprise passée, les "éclats de rire" du public se font entendre.
- Pour renforcer la force de l'hilarité générale, l'auteur adopte le point de vue du narrateur omniscient :
* il décrit les réactions intérieures des auditeurs : ils "auraient bien voulu fermer leurs oreilles".
* il éclaire les motivations des instrumentalistes jouant de toutes leurs forces car ils "voulaient s'égayer".

Le ton ironique s'exprime aussi par la série d'antiphrases du dernier paragraphe. Dans ce contexte de moquerie générale, le faux musicien doit subir les félicitations sarcastique sur son "joli goût du chant" et s'entendre dire ironiquement qu'il mérite d'être "chanter partout".

Beaucoup de "je" qui représentent Jean-Jacques et de "on" qui représentent le reste de la salle, ces deux pronoms s'opposent dans l'alternance : le pauvre Jean-Jacques est donc isolé de ses persécuteurs, qui sont des groupes alors que Jean-Jacques n'aime pas les groupes => tous les effets sont concentrés sur Jean-Jacques.


2. L'auto-dérision

Moqué par l'assistance le "pauvre Jean-Jacques" l'est aussi par le narrateur.

On peut noter le décalage entre le comportement du personnage dont les gestes sont rendus avec le présent de narration (qui crée un effet d'attente) "j'explique", "je frappe", "je me mets", et son angoisse intérieure avouée dans l'impression que les "cinq ou six minutes" lui paraissent "cinq ou six siècles".

Avec le recul Rousseau voit bien que l'adolescent qu'il fut se donne surtout la comédie à lui-même en jouant au compositeur devant le public, c'est pour cela que certains détails prennent une charge ironique : pour tenir son rôle, le jeune imposteur a besoin d'accessoires : le "beau rouleau de papier", "le pupitre magistral". Il prend des attitudes de maestro : "je me met gravement à battre la mesure".

Le contraste avec la cacophonie qui suit n'en est que plus drôle et que plus ironique.


II. La confession

1. L'aveu

Le titre de l'œuvre, Les Confessions, suppose de la part de l'auteur qu'il reconnaisse ses fautes et qu'il les regrette.

C'est ce qu'il fait dans cet extrait : la faute est pleinement avouée : Rousseau n'hésite pas à parler de son "prétendu talent", de plus il approuve le public lorsqu'il qualifie sa musique de "charivari" dont "l'effet fut pire que tout ce qu'on semblait attendre".

Toutefois, Rousseau s'attarde moins sur la faute que sur les tourments qu'elle inflige au coupable :
- elle occasionne des manifestations physiologiques : la sueur "à grosse gouttes",
- mais surtout, Rousseau insiste sur les souffrances morales qu'il a dû endurer :
* appréhension durant les préparatifs,
* pendant l'exécution : la honte, exprimée par l'antiphrase "pour ma consolation",
* enfin, sanction à cause du rire général.

Dans cet extrait, contrairement à sa démarche habituelle, Rousseau assume seul et pleinement ses torts : cette "angoisse", écrit-il "je la méritait bien".

La sincérité de l'aveu et la mise en valeur des tourments qui ont valeur d'expiation sont les moyens à l'aide desquels Rousseau demande le pardon implicitement mais efficacement.


2. Échec et triomphe

Insérée dans la narration, une apostrophe adressée à lui-même permet à l'auteur de voyager dans deux époques du passé : sur le cruel moment vécu dans l'adolescence, Jean-Jacques nous explique le triomphe remporté bien plus tard, au temps de la maturité : la création, le 18 octobre 1872 de son opéra Le Devin de village à Fontainebleau, devant le roi Louis XV.

Chaque détail de de l'échec de jeunesse devient le présage du succès futur : les "auditeurs" provinciaux de Lausanne céderont la place au plus brillant des publics : "le roi de France et toute sa cour", aux rires railleurs des musiciens et de l'assistance se substituent les "murmures de surprise et d'applaudissement", plus de "charivari" mais une "musique enchanteresse".

Les plus aimables femmes seront touchées par ces "chants qui vont au cœur".

Celui qui ignorait la musique sera devenu un compositeur de talent.

L'anticipation exerce une fonction de compensation.

Rousseau mémorialiste semble s'apitoyer sur le "pauvre Jean-Jacques", mais en réalité il se décerne à lui-même le plus gratifiant des éloges.


Conclusion

    Ce passage des confessions de Rousseau illustre le savoir-faire de l'auteur : d'une mésaventure de jeunesse où il a en apparence le mauvais rôle, Rousseau tire un récit plein de verve et d'humour qui suscite bien moins la réprobation que la sympathie amusée du lecteur.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur le concert de Lausanne - Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau