Plan de la fiche sur
le chapitre 1 de La Curée de Emile Zola :
Introduction
Dans la suite des vingt romans des Rougon-Macquart,
La Curée décrit l'assaut de Paris par les spéculateurs de 1850, au lendemain du Second Empire.
Emile Zola (1840-1902) assimile une vision naturaliste à l'histoire naturelle et sociale de la famille des Rougon-Macquart.
En effet, nous assistons ici à une description très réaliste et révélatrice de l'hôtel Saccard, au retour de Maxime et Renée dans leur propriété. Mais l'auteur n'envisage-t-il qu'une description méticuleuse et naturaliste ?
Texte étudié
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Lu par Pomme - source : litteratureaudio.com
La calèche entra et vint s'arrêter devant le perron.
Ce perron, aux marches larges et basses, était abrité par une vaste marquise vitrée, bordée d'un lambrequin à franges et à glands d'or. Les deux étages de l'hôtel s'élevaient sur des offices, dont on apercevait, presque au ras du sol, les soupiraux carrés garnis de vitres dépolies. En haut du perron, la porte du vestibule avançait, flanquée de maigres colonnes prises dans le mur, formant ainsi une sorte d'avant-corps percé à chaque étage d'une baie arrondie, et montant jusqu'au toit, où il se terminait par un delta. De chaque côté, les étages avaient cinq fenêtres, régulièrement alignées sur la façade, entourées d'un simple cadre de pierre. Le toit, mansardé, était taillé carrément, à larges pans presque droits.
Mais, du côté du jardin, la façade était autrement somptueuse. Un perron royal conduisait à une étroite terrasse qui régnait tout le long du rez-de- chaussée ; la rampe de cette terrasse, dans le style des grilles du parc Monceau, était encore plus chargée d'or que la marquise et les lanternes de la cour. Puis l'hôtel se dressait, ayant aux angles deux pavillons, deux sortes de tours engagées à demi dans le corps du bâtiment, et qui ménageaient à l'intérieur des pièces rondes. Au milieu, une autre tourelle plus enfoncée, se renflait légèrement. Les fenêtres, hautes et minces pour les pavillons, espacées davantage et presque carrées sur les parties plates de la façade, avaient, au rez- de-chaussée, des balustrades de pierre, et des rampes de fer forgé et doré aux étages supérieurs. C'était un étalage, une profusion, un écrasement de richesses. L'hôtel disparaissait sous les sculptures. Autour des fenêtres, le long des corniches, couraient des enroulements de rameaux et de fleurs ; il y avait des balcons pareils à des corbeilles de verdure, que soutenaient de grandes femmes nues, les hanches tordues, les pointes des seins en avant ; puis, çà et là, étaient collés des écussons de fantaisie, des grappes, des roses, toutes les efflorescences possibles de la pierre et du marbre. A mesure que l'oeil montait, l'hôtel fleurissait davantage. Autour du toit, régnait une balustrade sur laquelle étaient posées, de distance en distance, des urnes où des flammes de pierre flambaient. Et là, entre les oeils-de-boeuf des mansardes, qui s'ouvraient dans un fouillis incroyable de fruits et de feuillages, s'épanouissaient les pièces capitales de cette décoration étonnante, les frontons des pavillons, au milieu desquels reparaissaient les grandes femmes nues, jouant avec des pommes, prenant des poses, parmi des poignées de jonc. Le toit, chargé de ces ornements, surmonté encore de galeries de plomb découpées, de deux paratonnerres et de quatre énormes cheminées symétriques, sculptées comme le reste, semblait être le bouquet de ce feu d'artifice architectural.
A droite, se trouvait une vaste serre, scellée au flanc même de l'hôtel, communiquant avec le rez-de-chaussée par la porte-fenêtre d'un salon. Le jardin, qu'une grille basse, masquée par une haie, séparait du parc Monceau, avait une pente assez forte. Trop petit pour l'habitation, si étroit qu'une pelouse et quelques massifs d'arbres verts l'emplissaient, il était simplement comme une butte, comme un socle de verdure, sur lequel se campait fièrement l'hôtel en toilette de gala. A la voir du parc, au-dessus de ce gazon propre, de ces arbustes dont les feuillages vernis luisaient, cette grande bâtisse, neuve encore et toute blafarde, avait la face blême, l'importance riche et sotte d'une parvenue, avec son lourd chapeau d'ardoises, ses rampes dorées, son ruissellement de sculptures. C'était une réduction du nouveau Louvre, un des échantillons les plus caractéristiques du style Napoléon III, ce bâtard opulent de tous les styles. Les soirs d'été, lorsque le soleil oblique allumait l'or des rampes sur la façade blanche, les promeneurs du parc s'arrêtaient, regardaient les rideaux de soie rouge drapés aux fenêtres du rez- de-chaussée ; et, au travers des glaces si larges et si claires qu'elles semblaient, comme les glaces des grands magasins modernes, mises là pour étaler au- dehors le faste intérieur, ces familles de petits bourgeois apercevaient des coins de meubles, des bouts d'étoffes, des morceaux de plafonds d'une richesse éclatante, dont la vue les clouait d'admiration et d'envie au beau milieu des allées.
Emile Zola, La Curée, extrait du chapitre I
Annonce des axes
I. Une description naturaliste
1. Une visite méthodique de l'extérieur du bâtiment
2. Bâtiment hétérogène : mélange plus ou moins harmonieux de styles d'influences diverses
II. Un hôtel à l'image de son propriétaire et de ses occupants
1. Un bâtiment imposant
2. Un style impossible à identifier
3. Le bâtiment affiche une épatante réussite matérielle
III. Asile ou piège ?
1. Un trompe-l'œil
2. Une tentation douteuse
Commentaire littéraire
I. Une description naturaliste
1. Une visite méthodique de l'extérieur du bâtiment
Opposition entre ce qui est vu par tous (« les promeneurs du parc [...] regardaient les rideaux... ces familles de petits bourgeois apercevaient des coins de meubles... ») et ce qui reste privé (« Le jardin, qu’une grille basse, masquée par une haie, séparait du parc Monceau »).
Sorte de visite guidée puisque orientée avec de nombreux connecteurs spatiaux : « perron », « cour », « jardin », « parc Monceau », « rez-de-chaussée »...
Description organisée autour de deux façades existentielles : côté cour, relativement simple et dépouillé, puis côté jardin surchargé de décors (champ lexical des matériaux nobles : « fer forgé », « or », « pierre », « verre »).
2. Bâtiment hétérogène : mélange plus ou moins harmonieux de styles d'influences diverses
Comparaison générale avec « un des échantillons les plus caractéristiques du style Napoléon III ».
Toutefois, Zola exprime de nombreuses oppositions à l'aide de
métaphores et d'
antithèses, aussi bien entre les deux façades que d'un même côté : « socle de verdure »/« hôtel en toilette de gala » (
personnification) ; « Mais, du côté du jardin, la façade était autrement somptueuse »/« C’était un étalage, une profusion, un écrasement de richesses ».
Il est alors difficile de discerner la réelle pensée de l'auteur qui joue entre l'admiration sincère et les pointes d'ironie. Là où nous pourrions nous attendre à un éloge de la part de l'auteur (« C’était une réduction du nouveau Louvre, un des échantillons les plus caractéristiques du style Napoléon III » par exemple), l'opinion de l'écrivain nous apparaît crûment (« ce bâtard opulent de tous les styles »).
II. Un hôtel à l'image de son propriétaire et de ses occupants
1. Un bâtiment imposant
À allure surchargée et compliquée (dix à douze fenêtres – trois tourelles – d’innombrables sculptures).
Avec une hétérogénéité des matériaux puisque le mélange des architectures en fait un « Louvre réduit » et un « bâtard opulent de tous les styles ».
Utilisation systématique des pluriels (corbeilles, galeries, richesses).
2. Un style impossible à identifier
Le goût est incertain car il s'agit d'un fouillis incroyable :
D'une part, une première façade triste (« maigres colonnes »), neutre et symétrique (« soupiraux carrés », « delta », « régulièrement alignées », « pans presque droits ») qui laisse les passants indifférents.
D'autre part, une seconde façade baignée dans la beauté de la nature et des fleurs (« enroulements de rameaux et de fleurs », « l’hôtel fleurissait davantage ») qui suscite l'émerveillement des observateurs curieux.
3. Le bâtiment affiche une épatante réussite matérielle
De nombreux indices nous le révèle, tels que les nombreuses références à l'or et la situation de l’hôtel à côté du Parc Monceau.
Intention de la famille Saccard de s'afficher : si l'extérieur reste modeste pour dissimuler (de manière grotesque) la réussite sociale de la famille, la façade côté cour et le jardin ne cachent en aucun cas « l'étalage, la profusion, l'écrasement de richesses » (gradation croissante) dont la famille dispose.
III. Asile ou piège ?
1. Un trompe-l'œil
Le jardin, aussi petit qu'il soit, est « masqué par une haie » elle-même protégée par une grille : cela marque la limite entre le paradis inaccessible et superflu d'un jardin « sur lequel se campait fièrement l’hôtel en toilette de gala » et un jardin naturel fréquenté au quotidien par des promeneurs.
2. Une tentation douteuse
Bâtiment vénal, « prêt à se vendre » (« Cette grande bâtisse […], l’importance riche et sotte d’une parvenue ») : ne serait-ce pas un reflet de la personnalité de Renée Saccard (découverte ultérieurement) ?
Admiration des spectateurs à la fois naturelle et forcée (« mises là pour étaler au dehors le faste intérieur ») : tentative de provocation.
Conclusion
Au delà d'une observation rigoureuse et naturaliste d'un bâtiment gorgé de richesses, ce chapitre d'exposition renferme toutes les turpitudes de la famille et laisse une interprétation réaliste qui interpelle le lecteur en lui donnant des pistes de réflexion pour les chapitres suivants. Nous pouvons alors lire cet extrait comme une étude sociologique afin de nous demander si cette bâtisse, dans un premier temps symbole d'un refuge luxueux, resplendissant et confortable, ne représente finalement pas une trappe, peut-être admirée par les étrangers, mais dans laquelle la famille s'emprisonne elle-même.