La Curée

Emile Zola

Chapitre 5 - Renée devant Phèdre

De "Un soir, ils allèrent ensemble au Théâtre-Italien." à "Cette plaisanterie glaça la jeune femme."





Plan de la fiche sur le chapitre 5 de La Curée de Emile Zola :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Dans la suite des vingt romans des Rougon-Macquart, La Curée (1872) décrit l'assaut de Paris par les spéculateurs de 1850, au lendemain du Second Empire. Emile Zola (1840 - 1902) assimile une vision naturaliste à l'histoire naturelle et sociale de la famille des Rougon-Macquart.

    L'extrait étudié se situe au milieu du chapitre 5. Maxime cherche un prétexte pour rompre avec Renée. La représentation de Phèdre à laquelle ils assistent illustre le malentendu qui ronge leur couple.

La Curée - Zola


Texte étudié


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Lu par Pomme - source : litteratureaudio.com


Un soir, ils allèrent ensemble au Théâtre-Italien. Ils n'avaient seulement pas regardé l'affiche. Ils voulaient voir une grande tragédienne italienne, la Ristori, qui faisait alors courir tout Paris, et à laquelle la mode leur commandait de s'intéresser. On donnait Phèdre . Il se rappelait assez son répertoire classique, elle savait assez l'italien pour suivre la pièce. Et même ce drame leur causa une émotion particulière, dans cette langue étrangère dont les sonorités leur semblaient, par moments, un simple accompagnement d'orchestre soutenant la mimique des acteurs. Hippolyte était un grand garçon pâle, très médiocre, qui pleurait son rôle.
- Quel godiche ! murmurait Maxime.
Mais la Ristori, avec ses fortes épaules secouées par les sanglots, avec sa face tragique et ses gros bras, remuait profondément Renée. Phèdre était du sang de Pasiphaé, et elle se demandait de quel sang elle pouvait être, elle, l'incestueuse des temps nouveaux. Elle ne voyait de la pièce que cette grande femme traînant sur les planches le crime antique. Au premier acte, quand Phèdre fait Oenone la confidence de sa tendresse criminelle ; au second, lorsqu'elle se déclare, toute brûlante, à Hippolyte ; et, plus tard, au quatrième, lorsque le retour de Thésée l'accable, et qu'elle se maudit, dans une crise de fureur sombre, elle emplissait la salle d'un tel cri de passion fauve, d'un tel besoin de volupté surhumaine que la jeune femme sentait passer sur sa chair chaque frisson de son désir et de ses remords.
- Attends, murmurait Maxime à son oreille, tu vas entendre le récit de Théramène. Il a une bonne tête, le vieux !
Et il murmura d'une voix creuse :
A peine nous sortions des portes de Trézène, Il était sur son char...
Mais Renée, quand le vieux parla, ne regarda plus, n'écouta plus. Le lustre l'aveuglait, les chaleurs étouffantes lui venaient de toutes ses faces pâles tendues vers la scène. Le monologue continuait, interminable. Elle était dans la serre, sous les feuillages ardents, et elle rêvait que son mari entrait, la surprenait aux bras de son fils. Elle souffrait horriblement, elle perdait connaissance, quand le dernier râle de Phèdre, repentante et mourant dans les convulsions du poison, lui fit rouvrir les yeux. La toile tombait. Aurait-elle la force de s'empoisonner, un jour ? Comme son drame était mesquin et honteux à côté de l'épopée antique ! et tandis que Maxime lui nouait sous le menton sa sortie de théâtre, elle entendait encore gronder derrière elle cette rude voix de la Ristori, à laquelle répondait le murmure complaisant d'Oenone.
Dans le coupé, le jeune homme causa tout seul, il trouvait en général la tragédie « assommante », et préférait les pièces des Bouffes. Cependant Phèdre était « corsée ». Il s'y était intéressé, parce que... Et il serra la main de Renée, pour compléter sa pensée. Puis une idée drôle lui passa par la tête, et il céda à l'envie de faire un mot :
- C'est moi, murmura-t-il, qui avais raison de ne pas m'approcher de la mer, à Trouville.
Renée, perdue au fond de son rêve douloureux, se taisait. Il fallut qu'il répétât sa phrase.
- Pourquoi ? lui demanda-t-elle étonnée, ne comprenant pas.
- Mais le monstre...
Et il eut un petit ricanement. Cette plaisanterie glaça la jeune femme.

Emile Zola - La Curée - Chapitre V (extrait)




Annonce des axes

I. Une scène de malentendu
1. L'opposition du théâtre et de la société
2. La divergence entre Maxime et Renée

II. Identité et identification : le piège des apparences
1. L'inclusion scénique de Renée
2. Le théâtre intérieur
3. Les limites de l'identification

III. La cruauté burlesque
1. Une description burlesque
2. Renée, Phèdre dérisoire
3. Une métaphore du Second Empire



Commentaire littéraire

I. Une scène de malentendu

1. L'opposition du théâtre et de la société

La structure de l'extrait est binaire : le texte alterne la description des personnages assistant au spectacle et la description de la représentation théâtrale.
Le spectacle est une nécessité liée, non pas à la valeur de la pièce, mais au conformisme social ("ils voulaient voir [...] la Ristori, qui faisait alors courir tout Paris, et à laquelle la mode leur commandait de s'intéresser"). Au terme de la représentation, Maxime avoue s'être intéressé à la pièce "parce que...", les trois points de suspension montrant que Maxime n'a pas compris ce qui devait être retenu de la pièce de théâtre.


2. La divergence entre Maxime et Renée

Tandis que Renée s'intéresse aux personnages, sait "assez l'italien pour suivre la pièce" et s'identifie au personnage de Phèdre, Maxime s'intéresse aux acteurs, n'a de la pièce qu'une approche scolaire ("il se rappelait assez son répertoire classique") et fait preuve de distanciation. Tandis qu'elle s'identifie, tout entière dans la vision, il fait preuve de distance, monopolisant la parole.


II. Identité et identification : le piège des apparences

1. L'inclusion scénique de Renée

Une série de propositions négatives (Renée "ne regarda plus, n'écouta plus"), brièvement justifiées par des notations concernant les sens (aveuglement, étouffement), s'achève sur une rupture dans le récit : Renée cesse de regarder la pièce et ferme les yeux (plus tard la fin de la pièce "lui fit rouvrir les yeux") pour entrer dans un univers onirique.


2. Le théâtre intérieur

Renée transpose le canevas de Phèdre dans sa propre vie (les personnages, les lieux, les situations, et même les sensations et sentiments qu'elle imagine être ceux de l'héroïne tragique).


3. Les limites de l'identification

Grâce au discours indirect libre, Zola donne accès aux réflexions de Renée suscitées par le retour à la réalité (elle doit "rouvrir les yeux"). Les adjectifs péjoratifs qui caractérisent la liaison de Renée ("mesquin et honteux") font de la question qui précède ("Aurait-elle la force de s'empoisonner, un jour ?") une question rhétorique : le "drame" de Renée n'est que la version burlesque de la tragédie de Racine.


III. La cruauté burlesque

1. Une description burlesque

À travers les remarques de Maxime et la description de la pièce transparaît le burlesque du passage : la représentation de Phèdre, référent culturellement considéré, est décrite par des termes péjoratifs qui la rabaissent (l'acteur "pleurait son rôle", l'actrice a de "fortes épaules" et de "gros bras"). Par contrecoup, c'est l'existence de Renée qui apparaît burlesque et dérisoire.


2. Renée, Phèdre dérisoire

Le malentendu entre Renée et Maxime (le jeune homme fait une "plaisanterie" à propos du rapport entre leur relation et la pièce) révèle le fossé qui sépare les amants : Maxime adopte une attitude de distanciation tandis que Renée s'identifie, sans la médiation d'un jugement critique. D'où, lorsqu'elle s'en aperçoit, la contamination burlesque de son rêve.


3. Une métaphore du Second Empire

Cette scène révèle le mauvais goût et l'inculture du régime, incapable de soutenir la comparaison avec les siècles classiques, et préférant les "Bouffes" et les spectacles tragi-comiques d'Offenbach.





Conclusion

    Dans La Curée, Zola projetait d'adapter Phèdre dans le contexte du Second Empire. S'il en reprend le canevas, à travers le drame de Renée, c'est sur un mode burlesque qu'il en décrit les sentiments afférents, les personnages étant incapables de s'élever à la grandeur tragique qu'impose leur acte incestueux.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse du chapitre 5 de La Curée de Emile Zola