Plan de la fiche sur
De l'Esclavage des Nègres de Montesquieu :
Introduction
De l'esclavage des nègres, de
Montesquieu, est un extrait de
De l'Esprit des Lois.
AUTEUR :
Montesquieu (1689-1755), grand savant et philosophe du siècle des Lumières, magistrat et écrivain français que les études destinaient à être parlementaire. Il voyage beaucoup. Il est l'auteur de nombreux mémoires, de romans parmi lesquels :
Les Lettres persanes (1721), de Pensées et d'ouvrages d'analyse tel que
De l'Esprit des Lois.
ŒUVRE :
De l'Esprit des Lois, publié en 1748, est un ouvrage d'analyse qui est constitué de 31 livres. Montesquieu dans cet ouvrage étudie les régimes politiques, les types de société, il s'intéresse à de nombreux thèmes comme la religion et le droit. Il conteste certains aspects de la société du 18ème siècle puis avance des idées : pour une monarchie libérée, le respect des lois et de la liberté individuelle, il condamne l'esclavage et la torture.
EXTRAIT :
De l'esclavage des nègres cet extrait du livre 15. Ce textet est une prise de position de Montesquieu contre l'esclavage où l'auteur feint de se trouver du côté des défendeurs de l'esclavage. Il propose ainsi en neuf paragraphes bien séparés, neuf arguments. Cependant une lecture plus attentive permet de distinguer quelques vices de forme dans le raisonnement proposé… Ce texte est très ironique.
Texte de De l'Esclavage des Nègres
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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com
De l'esclavage des Nègres
Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres
esclaves, voici ce que je dirais :
Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils
ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher
tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le
produit par des esclaves.
Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu'il est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très
sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.
Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence
de l'humanité, que les peuples d'Asie, qui font des eunuques, privent
toujours les noirs du rapport qu'ils ont avec nous d'une manière plus
marquée.
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui chez les Égyptiens,
les meilleurs philosophes du monde, était d'une si grande conséquence,
qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.
Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font
plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui chez des nations policées,
est d'une si grande conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes,
parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire
que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.
Des petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains : car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions
inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié.
Montesquieu
Scène d'esclavagisme - George Morland (1763 - 1804)
Annonce des axes
I. Une apparence de plaidoyer pour l'esclavage
1. Un texte structuré
2. Une argumentation en apparence logique
3. La déshumanisation des esclaves
II. La dénonciation de l'esclavage
1. Les procédés utilisés
2. Chaque argument se détruit lui-même
Commentaire littéraire
I. Une apparence de plaidoyer pour l'esclavage
1. Un texte structuré
Le fait que le texte soit structuré en un paragraphe introductif puis en 9 paragraphes donnant 9 arguments donnent
l'impression d'un raisonnement implacable, et logique.
Premier paragraphe : présentation de la situation de communication, mais
Montesquieu présente son projet forme d'hypothèse : "Si j'avais à soutenir".
Si + imparfait + conditionnel = entretient une ambiguïté puisque cette tournure peut exprimer à la fois l'hypothèse qu'il ait à soutenir l'esclavage ou qu'il imagine qu'il doive le soutenir.
OBJECTIF : donner le signal que ce texte est à lire comme une pure hypothèse et que le plaidoyer annoncé est en fait un réquisitoire.
"le droit" : ce mot indique une justification de l'esclavage en montrant que
la loi permet l'esclavage. Le commerce triangulaire des esclaves après la découverte de l'Amérique très répandu : abolition avec Guerre de cessecion au 19ème siècle.
Paragraphes suivants : dans la logique de ce qui est annoncé, Montesquieu développe en neuf parties, les arguments du pseudo-plaidoyer :
- 2 arguments historiques et économiques situant le problème au niveau du travail : les 2 premiers paragraphes
- 2 arguments d'ordre racial : les 2 paragraphes suivants
- 2 arguments fondés sur un raisonnement par analogie liés à la sagesse des nations : les 2 paragraphes suivants
- 1 argument sociologique : paragraphe suivant
- 2 arguments religieux et politiques faisant culminer la thèse des esclavagistes et l'indignation de Montesquieu : les 2 derniers paragraphes.
2. Une argumentation en apparence logique
Tous les arguments de Montesquieu semblent suivre une logique : une cause exposée dans la première partie de l'argument, entraîne ensuite sa conséquence : l'esclavage ou la dévalorisation des "nègres".
Champ lexical de la justice : "juger", "preuve".
3. La déshumanisation des esclaves
Pour justifier l'esclavage, un argument répandu était que les noirs n'avaient pas d'âmes, et n'étaient donc en somme pas des êtres humains.
Montesquieu essaie en apparence de déshumaniser les esclaves : "nez si écrasé" (le "si" montre que Montesquieu veut faire passer cela pour une tare), ils n'auraient pas d'âme (argument 4), "ils n'ont pas le sens commun"…
"Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes" (argument 8), suivi de "parce que" pour montrer qu'il va démontrer cet argument.
Montesquieu dévalorise également ceux qui voudraient l'abolition de l'esclavage : "des petits esprits" (dernier paragraphe).
II. La dénonciation de l'esclavage
1. Les procédés utilisés
Montesquieu montre ici qu'il maitrise à merveille le pamphlet (pamphlet = cour extrait satirique qui attaque avec violence les institutions).
Tous les arguments texte sont des antiphrases, c'est-à-dire que Montesquieu dit l'inverse de ce qu'il pense.
L'ironie, voire le burlesque, est également omniprésente dans ce texte. Elle apparait dans la présentation comme d'irréfutables arguments qui ne résistent pas à l'analyse.
Exemple d'ironie : l'emploi de la tournure emphatique "d'une si grande conséquence"…
Montesquieu utilise des raisonnements par l'absurde.
2. Chaque argument se détruit lui-même
Argument 1 : de type économique et historique. Il y a une logique apparente grâce au lien de cause à conséquence et une idée de nécessité avec le verbe devoir. En apparence argument inattaquable.
En réalité la logique est fausse : exploiter des terres ne nécessite pas de rendre des hommes esclaves. Montesquieu rappelle le massacre perpétué par les Européens contre le peuple d'Amérique.
Argument 2 : de type économique, logique exprimée par le système hypothétique.
Réfutation de l'argument : le sucre est un produit de luxe et non de première nécessité. Il n'est donc pas acceptable qu'on maltraite des hommes pour la gourmandise d'autres. De plus, l'esclavage a pour but de réaliser un profit pour les Européens.
Argument 3 : physique ou esthétique. Logique dans le rapport cause / conséquence : "si... que" et dans l'affirmation péremptoire : "Il est presque impossible de".
Argument inacceptable car on ne peut juger quelqu'un d'après son apparence physique. C'est comme si les Européens se considéraient comme le modèle esthétique unique. Montesquieu dénonce l'intolérance physique.
Argument 4 : de type religieux (= théologique) et esthétique. Logique apparente dans l'expression péremptoire : "on ne peut se mettre dans l'esprit que". Il renforce l'argument par l'évocation de Dieu qui sert de caution mais les esclavagistes lui font dire ce qui les arrange, ils transforment la sagesse divine. Selon eux, Dieu ne considère pas les noirs comme porteurs d'une âme bonne.
En réalité la sagesse divine véritable est que tous les hommes naissent égaux. Montesquieu dénonce le fait que les esclavagistes se déchargent de leurs responsabilités sur Dieu. Ce sont des manipulateurs.
Arguments 5 et 6 : ils utilisent des comparaisons avec d'autres peuples :
Argument 5 : La couleur de la peau est bien quelque chose d'important puisqu'il y a d'autres peuples que les occidentaux qui maltraitent les noirs. Les Asiatiques sont plus cruels puisqu'ils en font des eunuques. Logique apparente avec l'affirmation péremptoire : "il est si naturel de penser que" et rapport de cause à conséquence : "si... que".
Réfutation : Ce n'est pas parce que les autres peuples maltraitent les noirs que les occidentaux doivent en faire autant. Les esclavagistes tentent une fois encore de se décharger de leur responsabilité.
Argument 6 : les Egyptiens tuaient les hommes roux comme les occidentaux maltraitent les noirs. Logique apparente : "on peut juger" lien cause/conséquence : "Une si grande conséquence que".
Réfutation : les esclavagistes citent les égyptiens comme un exemple à suivre et pour montrer que leur attitude est bonne ils les qualifient de "meilleurs philosophes du monde". Les esclavagistes tentent une fois encore de se décharger de leur responsabilité.
Argument 7 : de type sociologique et culturel qui fait référence au comportement social. Logique apparente : "Une preuve que… c'est que" affirmation péremptoire. Cet argument critique un comportement apparemment aberrant des noirs vis-à-vis de la richesse.
Réfutation : rien ne prouve que l'or soit la valeur suprême pour tout le monde (cf.
L'Eldorado dans
Candide de
Voltaire),
la richesse est relative selon les sociétés. La verroterie était ce que les esclavagistes proposaient aux noirs pour les faire monter sur les bateaux en leur faisant croire que c'étaient des objets de valeur. L'argument se moque d'un comportement voulu par les esclavagistes.
Argument 8 : de type théologique. Logique apparente avec la formulation péremptoire : "Il est impossible que", rapport de cause avec "parce que" et un système hypothétique : "Si nous les supposions (...) on commencerait...". Argument qui justifie l'esclavage : il y a un principe chrétien qui dit que tous les hommes sont égaux et que l'on doit respecter son prochain. Pour rester en accord avec ce principe les esclavagistes affirment que les noirs ne sont pas des hommes. Ainsi ils restent des chrétiens.
Réfutation : les esclavagistes modifient le principe chrétien qui interdit l'esclavage et qui dit que tous les hommes sont égaux.
C'est un
raisonnement par l'absurde :
- Les chrétiens doivent traiter tous les hommes en frère,
- or les chrétiens ne traitent pas les noirs comme des frères
=> Donc les noirs ne sont pas des hommes
Ce qui conduit le lecteur à une conclusion diamétralement opposée :
=> Donc les chrétiens ne sont pas de vrais chrétiens.
Argument 9 : de type politique. La logique apparente de l'argument : l'absence de réaction des princes vis à vis de l'esclavage signifie que ce n'est pas grave. Système hypothétique : "si elle était telle que... ne serait-il pas", et la cause avec "car".
Réfutation : la cause véritable de l'absence de réaction des princes est le profit qu'ils ont dans l'esclavage. L'expression "conventions inutiles" laisse à penser que le gouvernement laisse de côté ce qu'il y a d'important : c'est une attaque directe de Montesquieu. "miséricorde" et "pitié" sont deux mots qui indiquent le sentiment de Montesquieu vis à vis des esclaves : comme ils sont à la fin du texte ils prennent un relief particulier.
C'est aussi un
raisonnement par l'absurde :
- Les princes d'Europe font beaucoup de conventions inutiles,
- or ils n'en font pas en faveur des esclaves
=> Donc c'est qu'il n'y a pas lieu d'en faire
Lecteur : Donc les princes d'Europe sont sans pitié.
Conclusion
De l'Esclavage des nègres est un texte constitué de neuf arguments construits de la même façon (logique apparente). Chaque argument de cette "plaidoirie" repose sur un argument vicié qui le rend inopérant. Montesquieu reproche aux esclavagistes de chercher à se donner bonne conscience et à se décharger de leur responsabilité en cherchant des exemples dans d'autres peuples et en transformant les préceptes religieux pour justifier leurs actes. Il leur reproche aussi leur intolérance (aspects physiques), de n'avoir aucun sentiment de pitié et de faire passer leurs intérêts personnels avant celui des esclaves, qui sont pourtant des êtres humains.
De l'Esclavage des nègres est brillant dans sa forme, il est aussi généreux et clairvoyant dans son ironie. Mais il faudra cependant attendre 1848 pour que l'esclavage soit définitivement aboli en France !
Texte qui se rapproche de
L'Eldorado et de
le nègre de Surinam dans
Candide de
Voltaire.