Plan de la fiche sur un extrait du
Discours sur le bonheur de Madame du Châtelet :
Introduction
Discours sur le bonheur est la seule œuvre personnelle d'
Émilie du Châtelet (1706 - 1749), écrite entre 1744 et 1746 et publiée posthume en 1779.
Le bonheur était un des grands thèmes philosophiques du Siècle des Lumières. Madame du Châtelet offre une perspective féminine à cette question du bonheur. Madame du Châtelet destinait cette œuvre à un usage privé et n'avait donc pas crainte de la censure.
Texte étudié
II faut commencer par se bien dire à soi-même et par se bien convaincre
que nous n'avons rien à faire dans ce monde qu'à nous y procurer
des sensations et des sentiments agréables. Les moralistes qui disent
aux hommes : réprimez vos passions, et maîtrisez vos désirs,
si vous voulez être heureux, ne connaissent pas le chemin du bonheur. On
n'est heureux que par des goûts et des passions satisfaites ; je dis des
goûts, parce qu'on n'est pas toujours assez heureux pour avoir des passions,
et qu'au défaut des passions, il faut bien se contenter des goûts.
Ce serait donc des passions qu'il faudrait demander à Dieu, si on osait
lui demander quelque chose [...].
Mais, me dira-t-on, les passions ne font-elles pas plus de malheureux que d'heureux ? Je n'ai pas la balance nécessaire pour peser en général
le bien et le mal qu'elles ont faits aux hommes ; mais il faut remarquer que
les malheureux sont connus parce qu'ils ont besoin des autres, qu'ils aiment à raconter
leurs malheurs, qu'ils y cherchent des remèdes et du soulagement. Les
gens heureux ne cherchent rien, et ne vont point avertir les autres de leur bonheur ; les malheureux sont intéressants, les gens heureux sont inconnus. [...]
On connaît donc bien plus l'amour par les malheurs qu'il cause, que par
le bonheur souvent obscur qu'il répand sur la vie des hommes. Mais supposons,
pour un moment, que les passions fassent plus de malheureux que d'heureux, je
dis qu'elles seraient encore à désirer, parce que c'est la condition
sans laquelle on ne peut avoir de grands plaisirs ; or, ce n'est la peine de
vivre que pour avoir des sensations et des sentiments agréables ; et plus
les sentiments agréables sont vifs, plus on est heureux. Il est donc à désirer
d'être susceptible de passions, et je le répète encore :
n'en a pas qui veut.
Madame du Châtelet - Discours sur le bonheur
Annonce des axes
I. La défense des passions
1. Un texte argumentatif
2. Point de vue de l’auteur
3. Les destinataires
II. Un texte des Lumières
1. La critique de la religion et des moralistes
2. L’émancipation des esprits
3. L’épicurisme
Commentaire littéraire
I. La défense des passions
1. Un texte argumentatif
- Discours structuré : « il faut commencer par », « ce
serait donc », « Mais », « on connaît donc », « or », « il
est donc à désirer ».
-
Antithèses pour accentuer l’opposition
des deux thèses : « bien
et le mal », « malheureux » / « heureux », « cherchent » / « cherchent
rien », « intéressants » / « inconnus » +
oxymore : « bonheur obscur ».
- Procédés oratoires : question rhétorique = « les
passions ne font-elles pas plus de malheureux que d’heureux ? ».
- Formules insistantes : « se bien dire et se bien convaincre », « rien
n’à faire qu’à », « on n’est heureux
que », « ce n’est la peine de vivre que » = les
passions
sont le seule manière d’être heureux.
- Argument par syllogisme : « Mais supposons […] passions » =
personnalité scientifique de Mme du Châtelet.
- Insistance forte et oratoire : « et je le répète encore ».
2. Point de vue de l’auteur
- Son jugement : utilisation de la première personne : « je dis », « me », « je
n’ai pas », « je dis qu’elles seraient encore à désirer », « je
le répète encore ».
- Métaphore pour son jugement : « je n’ai pas la balance nécessaire
pour peser le bien et le mal ».
- Tournures impersonnelles : Mme du Châtelet donne ses directives au
lecteur : « il faut », « il faudrait », « ce serait », « on ».
3. Les destinataires
- Les malheureux qui se complaisent dans le malheur avec gradation + rythme
ternaire : « qu’ils ont besoin des autres, qu’ils aiment à raconter
leurs malheurs, qu’ils y cherchent des remèdes et du soulagement ».
- Les moralistes avec concessions : « Les moralistes qui disent aux hommes », « me
dira-t-on », « supposons pour un moment » => s’attend à des
oppositions et met en avant la thèse adverse pour la réfuter.
- Les hommes en général : la quête du bonheur est universelle : « aux hommes » + cliché avec
métaphore = « le
chemin du bonheur ».
II. Un texte des Lumières
1. La critique de la religion et des moralistes
- Critique du raisonnement moraliste des chrétiens (qui recherchent
salut, bonheur au paradis mais pas sur Terre et ce par une vie sans passions,
sans péchés, par le pardon) et des stoïciens (= philosophie opposée à l’épicurisme,
basée sur la maîtrise de toutes choses) : « réprimez
vos passions, et maîtrisez vos désirs » = impératif
deuxième personne marque l’ordre, la vie stricte.
-
Antiphrase, procédé ironique : « il faudrait demander à Dieu,
si on osait lui demander quelque chose », or les prières sont des
requêtes à Dieu ; ironie qui rappelle
Voltaire, amant de l’auteur.
- Champ lexical de la justice : « bien », « mal », « balance ».
2. L’émancipation des esprits
- La nécessité de penser par soi-même au premier plan : « Il
faut commencer par »
- L’essentiel est de : « se bien dire à soi-même et
par se bien convaincre » = pléonasme, insistance.
- Mme du Châtelet, seule, femme, se proclame garante de la morale épicurienne,
face aux « moralistes », nombreux et très influents => les
opinions s’affirment et divergent.
- Thème central des Lumières dans Kant,
Qu’est-ce que les
Lumières = la raison individuelle, les idéologies personnelles,
la réflexion.
3. L’épicurisme
- Définition : philosophie qui consiste à rechercher le plaisir
sous toutes ses formes, et à remettre en cause la religion et la morale
stricte, en profitant de la vie terrestre.
- Champ lexical des plaisirs : « sensations et sentiments agréables », « passions », « désirs », « heureux », « bonheur », « goûts », « amour », « désirer ».
- Insistance avec
chiasme : « je dis des goûts, parce qu’on
n’est pas toujours assez heureux pour avoir des passions, et qu’au
défaut des passions, il faut bien se contenter des goûts » :
les goûts sont indispensables, les passions meilleures => La philosophie épicurienne
est universelle est universelle : on peut se contenter des goûts.
- Poésie du thème de l’amour avec personnification : « le
bonheur souvent obscur [que l’amour] répand sur la vie des hommes] ».
Conclusion