Plan de la fiche sur un extrait du
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau :
Introduction
Rousseau est né en 1772 et est mort en 1778. En 1750, il écrit le
Discours
sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi
les hommes d’après un sujet proposé par l’académie
de Dijon : « Les sciences et les arts aident-ils l’homme à se
développer ? ». Rousseau condamne sciences, arts, luxe et progrès
qui ont corrompu l’homme et l’ont fait sortir de l’état de nature.
Texte étudié
Qui ne voit que tout semble éloigner de l’homme sauvage la tentation
et les moyens de cesser de l’être ? Son imagination ne lui peint
rien; son coeur ne lui demande rien. Ses modiques besoins se trouvent si aisément
sous la main, il est si loin du degré de connaissances nécessaires
pour désirer d’en acquérir de plus grandes qu’il ne
peut avoir ni prévoyance, ni curiosité. Le spectacle de la nature
lui devint indifférent, à force de lui devenir familier. C’est
toujours le même ordre, ce sont toujours les mêmes révolutions;
il n’a pas l’esprit de s’étonner des plus grandes merveilles ;
et ce n’est pas chez lui qu’il faut chercher la philosophie dont
l’homme a besoin, pour savoir observer une fois ce qu’il a vu tous
les jours. Son âme, que rien n’agite, se livre au seul sentiment
de son existence actuelle, sans aucune idée de l’avenir, quelque
prochain qu’il puisse être, et ses projets, bornés comme
ses vues, s’étendent à peine jusqu’à la fin
de la journée. Tel est encore aujourd’hui le degré de prévoyance
du Caraïbe : il vend le matin son lit de coton, et vient pleurer le soir
pour le racheter, faute d’avoir prévu qu’il en aurait besoin pour la nuit prochaine.
Plus on médite sur ce sujet, plus la distance des pures sensations aux
plus simples connaissances s’agrandit à nos regards ; et il est
impossible de concevoir comment un homme aurait pu par ses seules forces, sans
le secours de la communication, et sans l’aiguillon de la nécessité,
franchir un si grand intervalle. Combien de siècles se sont peut-être écoulés,
avant que les hommes aient été à portée de voir
d’autre feu que celui du ciel ? Combien ne leur a-t-il pas fallu de différents
hasards pour apprendre les usages les plus communs de cet élément ?
Combien de fois ne l’ont-ils pas laissé éteindre, avant
que d’avoir acquis l’art de le reproduire ?
Quoi qu’il en soit de ces origines, on voit du moins, au peu de soin qu’a
pris la nature de rapprocher les hommes par des besoins mutuels, et de leur
faciliter l’usage de la parole, combien elle a peu préparé leur
sociabilité, et combien elle a peu mis du sien dans tout ce qu’ils
ont fait, pour en établir les liens. En effet, il est impossible d’imaginer
pourquoi, dans cet état primitif, un homme aurait plutôt besoin
d’un autre homme qu’un singe ou un loup de son semblable, ni, ce
besoin supposé, quel motif pourrait engager l’autre à y
pourvoir, ni même, en ce dernier cas, comment ils pourraient convenir
entre eux des conditions. Je sais qu’on nous répète sans
cesse que rien n’eût été si misérable que l’homme
dans cet état; et s’il est vrai, comme je crois l’avoir prouvé,
qu’il n’eût pu qu’après bien des siècles
avoir le désir et l’occasion d’en sortir, ce serait un procès à faire à la
nature, et non à celui qu’elle aurait ainsi constitué. Mais,
si j’entends bien ce terme de misérable, c’est un mot qui
n’a aucun sens, ou qui ne signifie qu’une privation douloureuse
et la souffrance du corps ou de l’âme. Or je voudrais bien qu’on
m’expliquât quel peut être le genre de misère d’un être
libre dont le cœur est en paix et le corps en santé. Je demande
laquelle, de la vie civile ou naturelle, est la plus sujette à devenir
insupportable à ceux qui en jouissent ? Nous ne voyons presque autour
de nous que des gens qui se plaignent de leur existence, plusieurs même
qui s’en privent autant qu’il est en eux, et la réunion des
lois divine et humaine suffit à peine pour arrêter ce désordre.
Je demande si jamais on a ouïe dire qu’un sauvage en liberté ait
seulement songé à se plaindre de la vie et à se donner
la mort ? Qu’on juge donc avec moins d’orgueil de quel côté est
la véritable misère. Rien au contraire n’eût été si
misérable que l’homme sauvage, ébloui par des lumières,
tourmenté par des passions, et raisonnant sur un état différent
du sien. Ce fut par une providence très sage, que les facultés
qu’il avait en puissance ne devaient se développer qu’avec
les occasions de les exercer, afin qu’elles ne lui fussent ni superflues
et à charge avant le temps, ni tardives, et inutiles au besoin. Il avait
dans le seul instinct tout ce qu’il fallait pour vivre dans l’état
de nature, il n’a dans une raison cultivée que ce qu’il lui
faut pour vivre en société.
Extrait du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes - Rousseau
Annonce des axes
I. L’éloge de la vie naturelle
1. La simplicité de la vie sauvage
2. Une vie en accord avec la nature
II. Le blâme de la société européenne
1. La société a dénaturé l’homme
2. Rousseau met en évidence les paradoxes de cette société
III. La rhétorique de l’essai
1. L’expression d’une opinion personnelle
2. L’art de la rhétorique
Commentaire littéraire
I. L’éloge de la vie naturelle
1. La simplicité de la vie sauvage
- C’est une vie sans complications « Ses modiques besoins se trouvent
si aisément…ni curiosité » avec le rapport de conséquence « si… que » qui
renforce la démonstration.
- Importance des sensations : champ lexical des sens : voit, observer, vu, vues,
sensations, regards, voir, voit, j’entends bien, voyons, oui dire, ébloui.
2. Une vie en accord avec la nature
- Une vie au jour le jour, avec pour seul souci les besoins immédiats : « son âme, que rien n’agite…de la journée » => caractère
unique ou nul avec les mots rien, seul, aucune.
- Une identification totale avec la nature « le spectacle de la nature
lui devient indifférent à force de lui devenir familier » + reprise
de même verbe. Idem dans « C’est toujours le même
ordre, ce sont toujours les mêmes révolutions »
- La nature est une nécessité : champ lexical du besoin = besoins
mutuels, besoin, besoin supposé, convenir, conditions.
- La
personnification de la nature montre sa proximité avec
l’homme : « spectacle de la nature », « procès fait à la nature » = Etre
suprême qui régit les hommes.
II. Le blâme de la société européenne
1. La société a dénaturé l’homme
- Vie complexe et tourmentée : « Rien au contraire n’eût été si
misérable… état différent du sien » : les lumières
sont presque un mirage qui éblouit le sauvage.
- Vie misérable : champ lexical de la souffrance de la privation = misère,
insupportable, privent, désordre, se plaindre.
2. Rousseau met en évidence les paradoxes de cette société
- Insatisfaction constante de la société européenne par
une plainte continue : « Nous ne voyons…pour arrêter ce désordre » + gradation
qui met en valeur le caractère inéluctable de la situation.
- L’homme civilisé en veut toujours plus : « Il avait dans
le seul instinct…pour vivre en société », avec un parallélisme
de construction mis en avant par les deux temps du verbe avoir (imparfait et
présent) = opposition préhistoire/civilisation.
=>
Registre épidictique.
III. La rhétorique de l’essai
1. L’expression d’une opinion personnelle
- Emploi de la première personne « je » qui devient « nous » => Jean-Jacques
Rousseau inclut le lecteur dans sa réflexion.
- Avis nuancé : présence de modalisateurs d’opinion « je
crois l‘avoir prouvé » ; « je voudrais bien » ; « je
me demande si » => jugement subjectif.
- Affirmations sans preuves, pas de faits exacts rapportés, pas de raisonnement scientifique.
- Volonté de faire admettre son propos : utilisations du présent
de vérité générale.
2. L’art de la rhétorique
- Volonté de démonstration : utilisation de connecteurs logiques
de différentes natures = concession (quoi qu’il en soit), opposition
(mais, or), conséquence (donc, en effet), but (afin que).
- Procédés oratoires fréquents ; questions rhétoriques,
parallélismes de constructions (plus…plus), figures d’amplification
(
hyperbole : « tout semble éloigner »), répétitions,
accumulations (ni… ni).
Conclusion
Opposition entre l’homme à l’état
naturel et à l’état de Culture, débat présent également
dans
L’Ingénu de
Voltaire (avec
des modes d’argumentation différents).