Electre

Jean Giraudoux

ACTE I, Scène 11





Plan de la fiche sur l'acte I, Scène 11 de Electre de Jean Giraudoux :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    A la fin de l'année 1936, Jean Giraudoux (1882 - 1944) écrit sa pièce, Electre représentée pour la première fois à Paris au printemps 1937. A cette époque, de nombreux écrivains, comme Cocteau, s'inspire des grands mythes de l'antiquité et poursuivent ainsi la tradition ; mais Giraudoux fait une œuvre originale en transformant le désir de vengeance en quête de la vérité.

    A la scène 9, le retour d'Oreste a été annoncé par Egyste comme un coup de théatre, mais il ne sait pas qu'il est déjà dans le palais, il le croit en route. Clytemnestre, elle, a compris la véritable identité de l'étranger. La scène 11 de l'acte I met la mère et le fils face à face dans une scène de reconnaissance qui n'appartient pas au mythe d'Electre tel que le présente les tragédies grecques. Giraudoux ici se démarque de la tradition et propose une scène originale.


Lecture du texte

ACTE PREMIER
SCÈNE 11


Électre, Clytemnestre, Oreste, le mendiant.

CLYTEMNESTRE. – Ainsi c’est toi, Oreste ?
ORESTE. – Oui, mère, c’est moi.
CLYTEMNESTRE. – C’est doux, à vingt ans, de voir une mère ?
ORESTE. – Une mère qui vous a chassé, triste et doux.
CLYTEMNESTRE. – Tu la regardes de bien loin.
ORESTE. – Elle est ce que j’imaginais.
CLYTEMNESTRE. – Mon fils aussi. Beau. Souverain. Et pourtant je m’approche.
ORESTE. – Moi non. À distance c’est une splendide mère.
CLYTEMNESTRE. – Qui te dit que de près sa splendeur subsiste ?
ORESTE. – Ou sa maternité ?… C’est bien pour cela que je reste immobile.
CLYTEMNESTRE. – Un mirage de mère, cela te suffit ?
ORESTE. – J’ai eu tellement moins jusqu’à ce jour. À ce mirage du moins je peux dire ce que je ne dirai jamais à ma vraie mère.
CLYTEMNESTRE. – Si le mirage le mérite, c’est déjà cela. Que lui dis tu ?
ORESTE. –Tout ce que je ne te dirai jamais. Tout ce qui, dit à toi serait mensonge.
CLYTEMNESTRE. – Que tu l’aimes ?
ORESTE. – Oui
CLYTEMNESTRE. – Que tu la respectes ?
ORESTE. – Oui
CLYTEMNESTRE. – Que tu l’admires ?
ORESTE. – Sur ce point seul mirage et mère peuvent partager.
CLYTEMNESTRE. – Pour moi, c’est le contraire. Je n’aime pas le mirage de mon fils. Mais que mon fils soit lui-même devant moi, qu’il parle, qu’il respire, je perds mes forces.
ORESTE. – Songe à lui nuire, tu les retrouveras.
CLYTEMNESTRE. – Pourquoi es-tu si dur ? Tu n’as pas l’air cruel, pourtant. Ta voix est douce ?
ORESTE. – Oui. Je ressemble point par point au fils que j’aurais pu être. Toi aussi d’ailleurs ! À quelle mère admirable tu ressembles en ce moment ! Si je n’étais pas ton fils, je m’y tromperais.
ÉLECTRE. – Alors, pourquoi parlez-vous tous deux ? Que penses-tu gagner, mère, à cette ignoble coquetterie maternelle ! Puisque au milieu de la nuit, des haines, des menaces, s’est ouvert une minute ce guichet qui permet à la mère et au fils de s’entrevoir tels qu’ils ne sont pas, profitez-en, et refermez-le. La minute est écoulée.
CLYTEMNESTRE. – Pourquoi si vite. Qui te dit qu’une minute d’amour maternel suffise à Oreste ?
ÉLECTRE. – Tout me dit que toi tu n’as pas droit, dans ta vie, à plus d’une minute d’amour filial. Tu l’as eue. Et comble… Quelle comédie joues-tu ! Va-t’en…
CLYTEMNESTRE. – Très bien. Adieu.
UNE PETITE EUMÉNIDE, apparaissant derrière les colonnes. – Adieu, vérité de mon fils.
ORESTE. – Adieu.
SECONDE PETITE EUMÉNIDE. – Adieu, mirage de ma mère.
ÉLECTRE. – Vous pouvez vous dire au revoir. Vous vous reverrez.

Electre - Jean Giraudoux - ACTE I, Scène 11



Annonce des axes

I. Une confrontation tendue
1. La souffrance inoubliable d'Oreste
2. Le désir d'oublier pour Clytemnestre

II. Une réconciliation impossible
1. L'intervention d'Electre
2. L'intervention des petites Euménides



Commentaire littéraire

I. Une confrontation tendue

1. La souffrance inoubliable d'Oreste

    Le comportement d'Oreste face à sa mère est un comportement d'une grande froideur, c'est Clytemnestre qui engage le dialogue. Oreste a des réponses très courtes. Il y a un passage en stichomythie (= répliques très courtes se succédant) ("CLYTEMNESTRE. – Que tu l’aimes ?" [...] "ORESTE. – Oui.") qui montre une certaine sécheresse de la part d'Oreste. On voit bien qu'Oreste veut maintenir la distance. On le voit aussi par l'éloignement physique des deux personnages.
    Derrière cette carapace d'Oreste, Clytemnestre voit un homme sensible ("Tu n’as pas l’air cruel, pourtant. Ta voix est douce"). Oreste lui-même a employé l'adjectif doux. Il est sensible à la beauté de sa mère mais il ne peut pas oublier la souffrance qu'elle lui a fait endurer pendant toutes ces années, il ne peut pas oublier l'attitude de sa mère. Si Oreste est dur c'est bien parce qu'il ne peut pas effacer cette douleur. En revanche, le désir de Clytemnestre est d'oublier.


2. Le désir d'oublier pour Clytemnestre

    C'est Clytemnestre qui interroge Oreste, c'est elle qui manifeste constamment le désir d'entrer en communication. Elle est en position de demandeur, donc de faiblesse. Champ lexical de l'amour dans les propos de Clytemnestre. Elle veut se rapprocher de lui, elle est fascinée par cet enfant qu'elle n'a pas vu depuis si longtemps. Clytemnestre est finalement très sensible.


II. Une réconciliation impossible

1. L'intervention d'Electre

    Bien que tout oppose Clytemnestre et Oreste, il y a peut-être une possibilité de réconciliation et c'est au moment où Oreste se rapproche de sa mère qu'Electre intervient très brutalement pour mettre un terme à ce rapprochement. Lors de cette intervention, elle les interroge tous les deux en même temps, puis elle s'adresse à sa mère qui représente un danger plus grand que son frère. Champ lexical de la violence et de la haine. On a l'impression qu'elle est le gardien, notamment à cause de l'image du guichet. Si Clytemnestre et Oreste se réconcilient, alors le destin ne s'accomplira pas. On peut penser qu'Electre est l'instrument du destin, la fatalité doit s'acharner sur eux.

    Electre est dans la nuit, elle est ignorante de la vérité, elle a besoin de faire la lumière sur tout ça. Elle s'adresse à sa mère d'une façon dure. Elle va accuser sa mère d'être une comédienne, elle lui reproche de mentir pour sauver sa vie. Après avoir mis en cause la sincérité de sa mère, elle la chasse.

    Le but d'Electre est l'accomplissement de la vengeance mais pour cela elle a besoin de son frère.

    Depuis le début Electre reste sur sa position initiale. Electre dit au revoir et non pas Adieu car elle sait que la prochaine fois qu'ils se reverront, Oreste tuera sa mère comme c'est écrit dans le destin. Elle menace donc sa mère.


2. L'intervention des petites Euménides

    Les Euménides, comme des comédiennes, vont reprendre les mots de Clytemnestre et d'Oreste en écho. Les Euménides ont tout entendu car elles réutilisent les termes des explications d'Oreste, de plus la didascalie le prouve. Elles annoncent un avenir sombre.





Conclusion

    Cette scène de Electre nous fait assister à la rencontre de deux personnages qui ne peuvent pas s'abandonner totalement à la tendresse des retrouvailles à cause du passé qui les sépare. Si Clytemnestre aimerait oublier, Oreste ne le peut pas, bien qu'il soit fasciné par sa mère, l'oubli est inconcevable parce qu'Electre veille pour empêcher toutes les réconciliations. Elle représente le destin, tout comme les Euménides qui interviennent tout à la fin de la scène pour annoncer la tragédie à venir.

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Merci à Max pour cette analyse sur l'acte I, Scène 11 de Electre de Jean Giraudoux