Plan de la fiche sur
l'acte I, Scène 4 de Electre de Jean Giraudoux :
Introduction
Électre et Clytemnestre s’affrontent et se disputent immédiatement, dès qu’elles se rencontrent.
Égisthe arrive et confirme son intention de marier Électre au jardinier.
Pour Électre, il s’agit d’un "complot".
Lecture du texte
Electre - Jean Giraudoux
Acte I, scène 4
[...]
ÉLECTRE. – Oui, je connais votre complot.
CLYTEMNESTRE. – Quel complot ! Est-ce un complot de vouloir marier une fille de vingt et un ans ? À ton âge, je vous portais déjà tous les deux dans mes bras, toi et Oreste.
ÉLECTRE. – Tu nous portais mal. Tu as laissé tomber Oreste sur le marbre.
CLYTEMNESTRE. – Que pouvais-je faire ? Tu l’avais poussé.
ÉLECTRE. – C’est faux ! Je n’ai pas poussé Oreste !
CLYTEMNESTRE. – Mais qu’en peux-tu savoir ! Tu avais quinze mois.
ÉLECTRE. – Je n’ai pas poussé Oreste ! D’au-delà de toute mémoire, je me le rappelle. Ô Oreste, où que tu sois, entends-
moi ! Je ne t’ai pas poussé !
ÉGISTHE. – Cela va, Électre.
LE MENDIANT. – Cette fois, elles y sont. Ce serait curieux que la petite se déclare juste devant nous.
ÉLECTRE. – Elle ment, Oreste, elle ment !
ÉGISTHE. – Je t’en prie, Électre.
CLYTEMNESTRE. – Elle l’a poussé. Elle ne savait pas évidemment ce qu’elle faisait, à son âge. Mais elle l’a poussé.
ÉLECTRE. – De toutes mes forces je l’ai retenu. Par sa petite tunique bleue. Par son bras. Par le bout de ses doigts. Par son sillage. Par son ombre. Je sanglotais en le voyant à terre, sa marque rouge au front !
CLYTEMNESTRE. – Tu riais à gorge déployée. La tunique, entre nous, était mauve.
ÉLECTRE. – Elle était bleue. Je la connais, la tunique d’Oreste. Quand on la séchait, on ne la voyait pas sur le ciel.
ÉGISTHE. – Vais-je pouvoir parler ! N’avez-vous pas eu le temps, depuis vingt ans, de liquider ce débat entre vous !
ÉLECTRE. – Depuis vingt ans, je cherchais l’occasion. Je l’ai.
CLYTEMNESTRE. – Comment n’arrivera-t-elle pas à comprendre que même de bonne foi, elle peut avoir tort ?
LE MENDIANT. – Elles sont de bonne foi toutes deux. C’est ça la vérité.
[...]
Annonce des axes
I. Un affrontement violent sur un sujet futile
1. Un affrontement violent
2. Un sujet futile
II. Un débat révélateur
1. Un antagonisme irréductible
2. Vérité rationnelle et conviction intuitive
Commentaire littéraire
I. Un affrontement violent sur un sujet futile
1. Un affrontement violent
a) Un triple dialogue
Tous les personnages sont en conflit entre eux :
- conflit majeur : entre Électre et Clytemnestre car celle-ci souhaite marier la jeune femme au jardinier. Clytemnestre essaie d’apaiser la colère de sa fille en lui expliquant qu’il est bien normal de se marier à 20 ans.
- deuxième conflit : entre Électre et Égisthe : l’homme essaie de la calmer mais elle reste agressive : "depuis vingt ans, je cherchais l’occasion".
- Clytemnestre prend Égisthe pour témoin mais ce dernier refuse de la soutenir, il est exaspéré par le conflit des deux femmes.
-> les personnages sont tous fermés les uns aux autres.
b) Une confrontation violente
La brièveté des répliques marque la tension qui règne.
Clytemnestre et sa fille se répondent du tac au tac, et reprennent souvent les paroles de l’autre : ex : "tu l’as poussé" - "je ne l’ai pas poussé"
"vingt ans" est répété.
Les deux femmes sont également séparées par les antithèses :
"je sanglotais" ≠ "tu riais" et "tunique mauve" ≠ "bleue".
2. Un sujet futile
Il remonte à 20 ans : il devrait être réglé depuis longtemps.
De plus, il n’y a pas eu (apparemment) de conséquences importantes.
Égisthe se rend compte de cette futilité et fait preuve de bon sens.
Il n’y a aucun responsable puisque Électre avait seulement 15 mois et était aussi portée par Clytemnestre ("le moindre mouvement et c’était toi qui tombait").
II. Un débat révélateur
1. Un antagonisme irréductible
Le sujet apparent du débat cache en fait son véritable sujet profond qui est beaucoup plus important.
Dès l’entrée en scène de Clytemnestre commencent les hostilités.
Cette haine existe depuis 20 ans et s’est accumulée dans le cœur d’Électre qui veut maintenant la laisser éclater.
2. Vérité rationnelle et conviction intuitive
a) Des arguments fragiles
La position de Clytemnestre est la plus forte car Électre n’avait que 15 mois au moment des faits et on peut donc difficilement lui faire confiance. Ses arguments ne reposent que sur l’émotion, et non pas sur la raison.
En fait elle n’argumente pas : elle ne fait que nier, en répétant inlassablement la même chose.
Pour sortir de sa solitude, elle invoque son frère absent : "Ô Oreste… ", "Elle ment, Oreste". Oreste est donc très présent dans son esprit et semble être le seul à pouvoir la comprendre.
Électre accuse sa mère de mentir, et ce sans aucune preuve.
Elle reconstruit la scène du passé en
inventant.
Anaphore et
énumération : "par sa tunique, par son bras, par le bout de ses doigts…"
-> C’est de la poésie pure, du théâtre presque précieux.
b) Une intuition sûre
Le souvenir n’est ni précis ni matériel.
Il est fondé sur une conviction plus intime, plus fondamentale.
Électre reproche avant tout à sa mère de n’avoir jamais éprouvé de sentiments maternels : "tu nous portais mal". Ici les deux sens du verbe "porter" créent deux points de vue différents : Clytemnestre pense "tenir dans ses bras" alors que la jeune femme pense "être mère" (être enceinte).
Elles ont en fait toutes les deux raisons : Clytemnestre sur le plan de la description de la scène, Électre sur les sentiments profonds.
Conclusion
Le terme "complot" est trop fort pour désigner la volonté de marier Électre au jardinier mais cache en fait un autre (vrai) complot : le meurtre d’Agamemnon par Clytemnestre et Égisthe. Chez Électre l’intuition précède la connaissance : elle va chercher une culpabilité dont elle est sûre mais dont elle ne connaît pas encore les détails. Électre hait sa mère sans savoir pourquoi.