Plan de la fiche sur
l'acte I, Scène 8 de Electre de Jean Giraudoux :
Introduction
A la fin de l'année 1936,
Jean Giraudoux (1882 - 1944) écrit sa pièce,
Electre représentée pour la première fois à Paris
au printemps 1937. A cette époque, de nombreux écrivains, comme
Cocteau, s'inspire des grands mythes de l'antiquité et poursuivent
ainsi la tradition ; mais
Giraudoux fait une œuvre originale en transformant
le désir de vengeance en quête de la vérité.
Lecture du texte
ACTE PREMIER
SCÈNE 8
Electre, Oreste, le mendiant.
ORESTE. – Pourquoi hais-tu à ce point notre mère, Électre ?
ÉLECTRE. – Ne parle pas d’elle, surtout pas d’elle. Imaginons une minute, pour notre bonheur, que nous ayons été enfantés sans mère. Ne parle pas.
ORESTE. – J’ai tout à te dire.
ÉLECTRE. – Tu me dis tout par ta présence. Tais-toi. Baisse les yeux. Ta parole et ton regard m’atteignent trop durement, me blessent. Souvent je souhaitais, si jamais un jour je te retrouvais, de te retrouver dans ton sommeil. Retrouver à la fois le regard, la voix, la vie d’Oreste, je n’en puis plus. Il eût fallu que je m’entraîne sur une forme de toi, d’abord morte, peu à peu vivante. Mais mon frère est né comme le soleil, une brute d’or à son lever… Ou que je sois aveugle, et que je regagne mon frère sur le monde à tâtons… Ô joie d’être aveugle, pour la sœur qui retrouve son frère. Vingt ans mes mains se sont égarées sur l’ignoble ou sur le médiocre, et voilà qu’elles touchent un frère. Un frère où tout est vrai. Il pourrait y avoir, insérés dans cette tête, dans ce corps, des fragments suspects, des fragments faux. Par un merveilleux hasard, tout est fraternel dans Oreste, tout est Oreste !
ORESTE. – Tu m’étouffes.
ÉLECTRE. – Je ne t’étouffe pas… Je ne te tue pas… Je te caresse. Je t’appelle à la vie. De cette masse fraternelle que j’ai à peine vue dans mon éblouissement, je forme mon frère avec tous ses détails. Voilà que j’ai fait la main de mon frère, avec son beau pouce si net. Voilà que j’ai fait la poitrine de mon frère, et que je l’anime, et qu’elle se gonfle et expire, en donnant la vie à mon frère. Voilà que je fais son oreille. Je te la fais petite, n’est-ce pas, ourlée, diaphane comme l’aile de la chauve-souris ?… Un dernier modelage, et l’oreille est finie. Je fais les deux semblables. Quelle réussite, ces oreilles ! Et voilà que je fais la bouche de mon frère, doucement sèche, et je la cloue toute palpitante sur son visage… Prends de moi ta vie, Oreste, et non de ta mère !
[...]
Electre - Jean Giraudoux - ACTE I, Scène 8 (début de la scène)
Annonce des axes
I. Une sœur possessive
1. La domination d’Electre
2. Un discours quasi amoureux
II. L’enfantement du frère
1. Fantasmes de création
2. Des sentiments assez troubles
III. Un lyrisme théâtral
1. Un texte imprégné de lyrisme
2. Un texte théâtral
Commentaire littéraire
I. Une sœur possessive
1. La domination d’Electre
La domination d’Electre se manifeste par :
- Le déséquilibre de la parole (monopole de la parole, "tais-toi", première personne, 2 tirades = monologue).
- Un duo qui se change en solo (= monologue, Electre parle d’Oreste comme si il n’était pas là).
- La réaction d’Oreste ("tu m’étouffes").
2. Un discours quasi amoureux
- Un objet d’amour érigé en absolu (attente -> Oreste
= être idéal, retour tant espéré, autres = indignes).
- Une joie proche de la souffrance (champ lexical de la douleur, de l’éblouissement,
choc trop violent).
II. L’enfantement du frère
1. Fantasmes de création
- Une statue modelée avec amour (champ lexical de la main qui façonne,
anaphore de "voilà", admiration du travail : "quelle réussite").
- Le don de la vie ("appelle à la vie", "l’anime", "donnant la vie"… voir Pygmalion + Galatée).
2. Des sentiments assez troubles
Electre semble s’approprier les parties du corps d’Oreste. Avec sensualité,
complexe d’Electre : frère = substitut père, cherche à éliminer Clytemnestre.
III. Un lyrisme théâtral
1. Un texte imprégné de lyrisme
Sentiments intenses, "ô", première personne, vers blancs -> incantation magique, périodes, texte très écrit.
2. Un texte théâtral
Pas de didascalie mais le contenu du dialogue suggère la gestuelle : main qui façonne est mimée, éloignement pour observer l’ouvrage, main sur la bouche, Or : position de Electre : subordonnée, passive.
Conclusion
Electre prend possession de son frère pour en faire l’instrument de sa vengeance. Elle est avide de vérité mais possède une part trouble par son désir de supplanter Clytemnestre, de la supprimer.