Plan de la fiche sur
l'acte II, Scène 6 de Electre de Jean Giraudoux :
Introduction
A la fin de l'année 1936,
Jean Giraudoux (1882 - 1944) écrit sa pièce,
Electre représentée pour la première fois à Paris
au printemps 1937. A cette époque, de nombreux écrivains, comme
Cocteau, s'inspire des grands mythes de l'antiquité et poursuivent
ainsi la tradition ; mais
Giraudoux fait une œuvre originale en transformant
le désir de vengeance en quête de la vérité.
Le début de la scène 6 de l'acte II offre au spectateur une parenthèse comique, mais est un plaidoyer habile.
Lecture du texte
ACTE II
SCÈNE 6
[...]
AGATHE. – Je suis jolie et il est laid. Je suis jeune et il est vieux. J’ai de l’esprit et il est bête. J’ai une âme et il n’en a pas. Et c’est lui qui a tout. En tout cas il m’a. Et c’est moi qui n’ai rien. En tout cas, je l’ai. Et jusqu’à ce matin, moi qui donnais tout, c’est moi qui devais paraître comblée. Pourquoi ?… Je lui cire ses chaussures. Pourquoi ?… Je lui brosse ses pellicules. Pourquoi ?… Je lui filtre son café. Pourquoi ? Alors que la vérité serait que je l’empoisonne, que je frotte son col de poix et de cendre. Les souliers encore, je comprends. Je crachais sur eux. Je crachais sur toi. Mais c’est fini, c’est fini… Salut, ô vérité. Électre m’a donné son courage. C’est fait, c’est fait. J’aime autant mourir !
LE MENDIANT. – Elles chantent bien, les épouses.
LE PRÉSIDENT. – Qui est-ce ?
ÉLECTRE. – Écoute, mère ! Écoute-toi ! C’est toi qui parles !
AGATHE. – Qui est-ce ? Ils croient, tous ces maris, que ce n’est qu’une personne !
LE PRÉSIDENT. – Des amants ? Tu as des amants ?
AGATHE. – Ils croient que nous ne les trompons qu’avec des amants. Avec les amants aussi, sûrement… Nous vous trompons avec tout. Quand ma main glisse, au réveil, et machinalement tâte le bois du lit, c’est mon premier adultère. Employons-le, pour une fois, ton mot adultère. Que je l’ai caressé, ce bois, en te tournant le dos, durant mes insomnies ! C’est de l’olivier. Quel grain doux ! Quel nom charmant ! Quand j’entends le mot olivier dans la rue, j’en ai un sursaut. J’entends le nom de mon amant ! Et mon second adultère, c’est quand mes yeux s’ouvrent et voient le jour à travers la persienne. Et mon troisième, c’est quand mon pied touche l’eau du bain, c’est quand j’y plonge. Je te trompe avec mon doigt, avec mes yeux, avec la plante de mes pieds. Quand je te regarde, je te trompe. Quand je t’écoute, quand je feins de t’admirer à ton tribunal, je te trompe. Tue les oliviers, tue les pigeons, les enfants de cinq ans, fillettes et garçons, et l’eau, et la terre, et le feu ! Tue ce mendiant. Tu es trompé par eux.
[...]
Electre - Jean Giraudoux - ACTE II, Scène 6 (extrait)
Annonce des axes
I. Une parenthèse comique
1. Un adultère bourgeois
2. Une réalité prosaïque
3. L'humour
II. Un plaidoyer habile
1. La justification de l'adultère
2. Une double généralisation
III. L'importance de la scène
1. Une continuité dramatique
2. Un jeu de dédoublements
Commentaire littéraire
I. Une parenthèse comique
1. Un adultère bourgeois
Médiocrité de la bourgeoisie ≠ noblesse des rois.
Agathe se contente de paroles vexantes ≠ Clytemnestre est allée jusqu’au meurtre.
Détente, comédie (Vaudeville avec le comique de situation) ≠ tragédie.
2. Une réalité prosaïque
Réalités de la vie conjugale ("cirer ses chaussures") -> caractère dérisoire.
Anachronismes : filtrer le café, souliers… -> accentuation du décalage avec le tragique.
3. L’humour
- L’exagération : ex : "j’ai une âme et il n’en a pas".
- Les jeux de mots : ex : "c’est lui qui a tout. En tout cas il m’a. Et c’est moi qui n’ai rien".
- La
métonymie : cracher sur les souliers <=> cracher sur le mari.
II. Un plaidoyer habile
1. La justification de l’adultère
- La victime d’un couple mal assorti (antithèses : "joli" ≠ "laid",
"jeune" ≠ "vieux", "esprit" ≠ "bête", le mot "et" les sépare).
- Une sujétion avilissante (Agathe réduite à une servante -> "Pourquoi ?" répété 4 fois).
- Un cri de révolte (Agathe brave son mari, invoque la vérité comme le fait Electre qui est en quelque sorte son modèle => elle s’élève au-dessus de sa condition de petite bourgeoise médiocre).
2. Une double généralisation
- Agathe porte-parole des épouses (on passe du "je" au "nous", du "il" à "ils" du "te" à "vous").
- Des rivaux innombrables (progression "c’est mon premier adultère", "et mon second adultère", "et mon troisième". Tous ces exemples évoquent le plaisir des sens -toucher, vue, ouïe-; exclamatives -> délectation éprouvée, répétition de "quand" -> multiplicité des occasions de tromper. Agathe lance un défi avec les impératifs).
III. L’importance de la scène
1. Une continuité dramatique
L’interrogation "Qui est-ce ?" de la scène précédente (formulée par Électre) est reprise par le président : "Qui est-ce". Electre et le président veulent connaître l’identité de l’amant(e).
La révélation de la haine d’Agathe pour son mari révèle ensuite à Electre celle de Clytemnestre pour Agamemnon.
2. Un jeu de dédoublements
Agathe <=> Clytemnestre ; Président <=> Agamemnon.
On ressent la même violence dans les discours des deux femmes, la même haine ; et le même ridicule chez les deux maris. La question "pourquoi ?" est commune.
Tournures : les antithèses d’Agathe <=> énumérations de Clytemnestre.
Électre ne s’y trompe pas : "C’est toi, mère", dit-elle.
Conclusion
Ce passage de
Electre est un intermède de comédie mais ouvre aussi la voie à Clytemnestre pour crier sa haine. La dualité des genres correspond à la dualité des personnages.