Plan de la fiche sur
l'acte II, Scène 8 de Electre de Jean Giraudoux :
Introduction
A la fin de l'année 1936,
Jean Giraudoux (1882 - 1944) écrit sa pièce,
Electre représentée pour la première fois à Paris au printemps 1937. Beaucoup de pièces du XXème siècle sont des réécritures et
Electre en fait partie.
Giraudoux a repris le mythe des Atrides et le modernise.
Le thème de cette scène 8 de l'Acte II est la révélation de la vérité. Cette scène est une grande scène d'explication entre Egisthe et Electre. Nous étudierons l'antagonisme entre la recherche de vérité d'une part et le souci de gouverner d'autre part.
Lecture du texte
ACTE II
SCÈNE 8
[...]
ÉGISTHE. – Et cette justice qui te fait brûler ta ville, condamner ta race, tu oses dire qu'elle est la justice des dieux ?
ÉLECTRE. – Je m'en garde. Dans ce pays qui est le mien on ne s'en remet pas aux dieux du soin de la justice. Les dieux ne sont que des artistes. Une belle lueur sur un incendie, un beau gazon sur un champ de bataille, voilà pour eux la justice. Un splendide repentir sur un crime, voilà le verdict que les dieux avaient rendu dans votre cas. Je ne l'accepte pas.
ÉGISTHE. – La justice d'Électre consiste à ressasser toute faute, à rendre tout acte irréparable ?
ÉLECTRE. – Oh non ! Il est des années où le gel est la justice pour les arbres, et d'autres l'injustice. Il est des forçats que l'on aime, des assassins que l'on caresse. Mais quand le crime porte atteinte à la dignité humaine, infeste un peuple, pourrit sa loyauté, il n'est pas de pardon.
ÉGISTHE. – Sais-tu même ce qu'est un peuple, Électre !
ÉLECTRE. – Quand vous voyez un immense visage emplir l'horizon et vous regarder bien en face, d'yeux intrépides et purs, c'est cela un peuple.
ÉGISTHE. – Tu parles en jeune fille, non en roi. C'est un immense corps à régir, à nourrir.
ÉLECTRE. – Je parle en femme. C'est un regard étincelant, à filtrer, à dorer. Mais il n'a qu'un phosphore, la vérité. C'est ce qu'il y a de si beau, quand vous pensez aux vrais peuples du monde, ces énormes prunelles de vérité.
ÉGISTHE. – Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple, Électre.
ÉLECTRE. – Il est des regards de peuple mort qui pour toujours étincellent. Plût au Ciel que ce fût le sort d'Argos ! Mais, depuis la mort de mon père, depuis que le bonheur de notre ville est fondé sur l'injustice et le forfait, depuis que chacun, par lâcheté, s'y est fait le complice du meurtre et du mensonge, elle peut chanter, danser et vaincre, le ciel peut éclater sur elle, c'est une cave où les yeux sont inutiles. Les enfants qui naissent sucent le sein en aveugles.
ÉGISTHE. – Un scandale ne peut que l'achever.
ÉLECTRE. – C'est possible. Mais je ne veux plus voir ce regard terne et veule dans son œil.
ÉGISTHE. – Cela va coûter des milliers d'yeux glacés, de prunelles éteintes.
ÉLECTRE. – C'est le prix courant. Ce n'est pas trop cher.
ÉGISTHE. – Il me faut cette journée. Donne-la-moi. Ta vérité, si elle l'est, trouvera toujours le moyen d'éclater un jour mieux fait pour elle.
ÉLECTRE. – L'émeute est le jour fait pour elle.
ÉGISTHE. – Je t'en supplie. Attends demain.
ÉLECTRE. – Non. C'est aujourd'hui son jour. J'ai déjà trop vu de vérités se flétrir parce qu'elles ont tardé une seconde. Je les connais, les jeunes filles qui ont tardé une seconde à dire non à ce qui était laid, non à ce qui était vil, et qui n'ont plus su leur répondre ensuite que par oui et par oui. C'est là ce qui est si beau et si dur dans la vérité, elle est éternelle mais ce n'est qu'un éclair.
[...]
Electre - Jean Giraudoux
Annonce des axes
I. La recherche de la vérité chez Electre
1. La lumière de la vérité
2. Le fanatisme d'Electre
II. Discours de la raison chez Egisthe
1. Le prix de la vérité
2. Soumission d'Egisthe
Commentaire littéraire
I. La recherche de la vérité chez Electre
1. La lumière de la vérité
Pour Electre, le symbole de la vérité tient dans le regard du peuple « prunelle de vérité ».
Electre utilise toutes les connotations de la lumière, un champ lexical complexe : « belle lueur », « yeux intrépides », « regard étincelant », « phosphore », « beau », « énormes prunelles », « des regards de peuple mort qui pour toujours étincellent. »
La lumière exprime la vérité, la pureté, la clarté, l'éclat. A l'opposé, l'absence de lumière (« cave aveugle », « yeux morts ») montre l'ignorance de la vérité.
Le peuple d'Argos ne peut pas être heureux. Il est fondé sur de mauvaises bases, un mensonge. Nous le voyons avec le champ lexical de la tragédie « l'injustice, le forfait, le meurtre, le mensonge ».
Trois infinitifs montrent le bonheur pour Electre : « danser, chanter et vaincre ».
« Le ciel peut éclater sur elle » Cela représente une cave noir qui peut tomber sur le peuple.
2. Le fanatisme d'Electre
Electre se présente comme une idéaliste, fanatique. Elle n'a aucun état d'âme. Elle accepte les conséquences du drame sans hésiter. Nous le voyons à sa réponse. Lorsqu'Egisthe dit « cela va coûter des milliers d'yeux glacés » Elle répond « C'est le prix courant. Ce n'est pas trop cher ». C'est la réponse d'une fanatique.
Egisthe demande un sursis. Electre refuse. Elle est trop passionnée. Cela montre sa détermination.
Faire éclater la vérité pour Electre, c'est une idée fixe qui la ferme à l'écoute d'autrui et l'enferme dans un désir de justice, dans un désir de vengeance.
II. Discours de la raison chez Egisthe
1. Le prix de la vérité
Egisthe apparaît comme un homme politique qui veut sauver son peuple. Il refuse la condamnation de ce dernier => rapports entre l'exigence morale de justice et la responsabilité politique de l'état.
La mort d'Agamemnon est une affaire de famille qui deviendra une affaire d'état.
Egisthe parle en tant que roi et essaie de résonner Electre en essayant de lui faire comprendre que l'exigence de la justice, ce n'est pas détruire un peuple en faisant éclater la vérité.
Les positions d'Electre et d'Egisthe sont deux conceptions différentes de la justice qui semblent irréconciliables.
Egisthe n'est pas d'accord avec la menace d'Electre. Pour lui faire changer d'avis, Egisthe décrit à Electre les conséquences de cet acte. Voyant qu'elle ne veut pas céder, il lui demande un délai -> Réponse sèche de la part d'Electre.
Egisthe dépend d'Electre. Les rôles sont inversés.
2. Soumission d'Egisthe
Egisthe essaye de convaincre Electre puis voyant l'inutilité de sa démarche, il passe à la supplication (« Je t'en supplie »), marquée par des impératifs. « Donne-la-moi » « Attends demain ».
Contrairement à Electre, Egisthe est prêt à faire des concessions « Je t'en supplie ».
Conclusion
Ce passage est capital pour la suite de la scène. Nous voyons l'opposition des deux philosophies : Electre veut la vérité et Egisthe sauver son peuple. Une question est mise en avant : « Faut il sauver l'Etat ou rechercher la vérité ? ». Nous pouvons supposer que Electre va parvenir à ses fins et que nous verrons l'apparition du triomphe de la pureté et de l'idéal. Dans cette scène, le rôle d'Egisthe évolue. Considéré comme un méchant au début de la pièce, ici Giraudoux lui donne un côté humain face au fanatisme d'Electre. A partir de ce passage, la tragédie est en marche.