Plan de la fiche sur
le lamento du jardinier dans Electre de Jean Giraudoux :
Introduction
A la fin de l'année 1936,
Jean Giraudoux (1882 - 1944) écrit sa pièce,
Electre représentée pour la première fois à Paris
au printemps 1937. A cette époque, de nombreux écrivains, comme
Cocteau, s'inspire des grands mythes de l'antiquité et poursuivent
ainsi la tradition ; mais
Giraudoux fait une œuvre originale en transformant
le désir de vengeance en quête de la vérité.
Le premier acte s’est achevé sur un long monologue du mendiant tandis qu’Oreste et Electre sont endormis.
Le jardinier profite de l’entracte pour venir s’adresser directement aux spectateurs, c'est le lamento du jardinier. Sa tirade présente l’originalité de se situer hors de la tragédie. Par la voix du jardinier, Giraudoux propose ses réflexions sur la nature de la tragédie.
Lecture du texte
LAMENTO DU JARDINIER
[…]
C’est cela que c’est, la Tragédie, avec ses incestes, ses parricides : de la pureté, c’est-à-dire en somme de l’innocence. Je ne sais si vous êtes comme moi ; mais moi, dans la Tragédie, la pharaonne qui se suicide me dit espoir, le maréchal qui trahit me dit foi, le duc qui assassine me dit tendresse. C’est une entreprise d’amour, la cruauté… pardon je veux dire la Tragédie. Voilà pourquoi je suis sûr, ce matin, que si je le demandais, le ciel m’approuverait, ferait un signe, qu’un miracle est tout prêt, qui vous montrerait inscrite sur le ciel et vous ferait répéter par l’écho ma devise de délaissé et de solitaire : joie et amour. Si vous voulez, je le lui demande. Je suis sûr comme je suis là qu’une voix d’en haut me répondrait, que résonateurs et amplificateurs et tonnerres de Dieu, Dieu, si je le réclame, les tient tout préparés, pour crier à mon commandement : joie et amour. Mais je vous conseille plutôt de ne pas le demander. D’abord par bienséance. Ce n’est pas dans le rôle d’un jardinier de réclamer de Dieu un orage, même de tendresse. Et puis, c’est tellement inutile. On sent tellement qu’en ce moment, et hier, et demain, et toujours, ils sont tous là-haut, autant qu’ils sont, et même s’il n’y en a qu’un, et même si cet un est absent, prêts à crier joie et amour. C’est tellement plus digne d’un homme de croire les dieux sur parole, – sur parole est un euphémisme, – sans les obliger à accentuer, à s’engager, à créer entre les uns et les autres des obligations de créancier à débiteur. Moi, ç’a toujours été les silences qui me convainquent… Oui, je leur demande de ne pas crier joie et amour, n’est-ce pas ? S’ils y tiennent absolument, qu’ils crient. Mais je les conjure plutôt, je vous conjure, Dieu, comme preuve de votre affection, de votre voix, de vos cris, de faire un silence, une seconde de votre silence… C’est tellement plus probant. Écoutez… Merci.
Electre - Jean Giraudoux
Annonce des axes
I. Un entracte original
1. Réactualisation de la parabase
2. Lamento
II. La tragédie
1. Théorie des contraires
2. Pureté de la tragédie
3. La tragédie, une affaire d’homme
Commentaire littéraire
I. Un entracte original
1. Réactualisation de la parabase
- La parabase est un discours du chef de chœur où s'expriment les opinions personnelles et les intentions de l'auteur, dans la Grèce antique. Tradition inspirée du théâtre grec.
- Giraudoux modernise l’entracte en introduisant un personnage qui pourrait appartenir à la comédie, tel que le jardinier qui s’adresse au public et devient la porte parole de l’auteur.
2. Lamento
- D’origine italienne un air triste et plaintif.
- Le lamento se passe durant la nuit. C’est une modernité dans le théâtre.
- Il ne chante pas mais ce moment convient à cet homme qui n’épousera pas Electre.
- Il fait un monologue devant le rideau baissé. Cela est inhabituel.
- Il s’adresse au publique "Écoutez… Merci."
- Il y a une certaine complicité, familiarité avec le public « si vous voulez je lui demande ».
- Giraudoux essaye de convaincre le lecteur / spectateur.
- Le jardinier expose ses sentiments et médite sur son sort. Il est extérieur à l’intrigue et est donc étranger à l’action. Il est hors jeu.
- C’est la dernière fois que le jardinier prend la parole, après ce lamento, il ne réapparaîtra plus.
- Le jardinier a tiré une leçon d’espoir qui ne correspond pas du tout à la tragédie. C’est pour cela qu’il s’en allé de la pièce, il n’a plus rien à voir avec la tragédie.
- Cela permet à Giraudoux de dire sa propre définition de la tragédie.
II. La tragédie
1. Théorie des contraires
- Bizarrement les incestes, les parricides sont associés à l’innocence et à l’espoir. L’assassinat est synonyme de tendresse. Le jardinier dit que la tragédie ou la cruauté est comme l’innocence ou la pureté. C’est un paradoxe.
- Le but de l’auteur est de surprendre le public, de le choquer.
- L’idée : le mal existe parce que le bien existe. Tout appelle son contraire.
- On tue par amour. La haine n’est que la manifestation de l’amour déçu.
- Chacun des personnages agit par amour : Egisthe par amour pour sa ville, et Electre par amour pour son père.
- Toute la tragédie s’anime grâce à ceci, donc la tragédie est vraiment très cruelle.
2. Pureté de la tragédie
- La tragédie met en scène des personnages dévorés de la même passion : parallèle entre la haine absolue et l’amour absolu. La haine d’Electre est totale.
- Les personnages ne se livrent jamais à la compromission, qui sous-entend un calcul pour l’avenir, un avenir cohérent. Le personnage tragique a un devoir qu’il doit accomplir quelles que soient les conséquences. Il ne cherche pas à calculer un intérêt.
- Par exemple, à la fin Electre a fait éclater la vérité mais elle n’a plus rien. Ceci est typiquement tragique. Electre veut tuer mais elle se demande quand même "pourquoi, comment, et quand ?". Elle ne pose jamais "faut-il", ou "est-ce bien ?".
- Giraudoux fait allusion à des tragédies : "la pharaonne qui se suicide" est Cléopâtre, dont la tragédie date du 17e, par Corneille. "le maréchal" est à relier avec "L’Aiglon" d’Edmond Rostand, écrivain du 20e. "le duc" est une allusion à la pièce de Victor Hugo : Hernani, au 19e. Giraudoux veut montrer que sa définition de la tragédie s’applique à toutes les époques et à toutes les tragédies.
3. La tragédie, une affaire d’homme
- Dans l’antiquité, les dieux étaient à l’origine de la tragédie. Giraudoux renonce à cette vision. La tragédie met en scène des passions de l’ordre de l’humain.
- Giraudoux préfère exclure le divin du tragique : le tragique révèle des passions, de l’humain et non du divin ou de la fatalité (différence avec l’antiquité).
Conclusion
Le lamento du jardinier a une fonction importante qui permet la transition entre les deux actes. Le personnage, écarté de l’énigme et abandonné le soir de son mariage qui ne s’est pas fait, prend pour la dernière fois la parole. Dans un cadre original, Giraudoux via le jardinier, expose sa définition du tragique. Ce lamento dégage aussi un message de bonheur.