Plan de la fiche sur un extrait du
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau :
Introduction
Ce texte de
Jean-Jacques Rousseau est un texte à portée polémique (qui suscite des discussions, voir des querelles), une réflexion s’élabore. L’auteur émet son point de vue (thèse, arguments). Ces textes sont là pour convaincre. Le point de vue de l’auteur peut être contredit.
Rousseau approfondit et met en œuvre un système philosophique ébauché dans le discours sur les sciences et les arts.
Le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes date de 1755 ; cet extrait se situe dans la seconde partie où Rousseau dresse un tableau des grandes sociétés et met en scène le processus générateur d’inégalité.
Exemple de problématique : Comment Rousseau cherche-t-il à convaincre ?
Texte étudié
Bientôt cessant de s’endormir sous le premier arbre, ou de se retirer dans des cavernes, on trouva quelques sortes de haches de pierres dures et tranchantes, qui servirent à couper du bois, creuser la terre et faire des huttes de branchages, qu’on s’avisa ensuite d’enduire d’argile et de boue. Ce fut là l’époque d’une première révolution qui forma l’établissement et la distinction des familles, et qui introduisit une sorte de propriété ; d’où peut-être naquirent déjà bien des querelles et des combats. Cependant comme les plus forts furent vraisemblablement les premiers à se faire des logements qu’ils se sentaient capables de défendre, il est à croire que les faibles trouvèrent plus court et plus sûr de les imiter que de tenter de les déloger ; et quant à ceux qui avaient déjà des cabanes, chacun dut peu chercher à s’approprier celle de son voisin, moins parce qu’elle ne lui appartenait pas que parce qu’elle lui était inutile et qu’il ne pouvait s’en emparer, sans s’exposer à un combat très vif avec la famille qui l’occupait.
Les premiers développements du cœur furent l’effet d’une situation nouvelle qui réunissait dans une habitation commune les maris et les femmes, les pères et les enfants ; l’habitude de vivre ensemble fit naître les plus doux sentiments qui soient connus des hommes, l’amour conjugal, et l’amour paternel. Chaque famille devint une petite société d’autant mieux unie que l’attachement réciproque et la liberté en étaient les seuls liens ; et ce fut alors que s’établit la première différence dans la manière de vivre des deux sexes, qui jusqu’ici n’en avaient eu qu’une. Les femmes devinrent plus sédentaires et s’accoutumèrent à garder la cabane et les enfants, tandis que l’homme allait chercher la subsistance commune. Les deux sexes commencèrent aussi par une vie un peu plus molle à perdre quelque chose de leur férocité et de leur vigueur : mais si chacun séparément devint moins propre à combattre les bêtes sauvages, en revanche il fut plus aisé de s’assembler pour leur résister en commun.
Dans ce nouvel état, avec une vie simple et solitaire, des besoins très bornés, et les instruments qu’ils avaient inventés pour y pourvoir, les hommes jouissant d’un fort grand loisir l’employèrent à se procurer plusieurs sortes de commodités inconnues à leurs pères ; et ce fut là le premier joug qu’ils s’imposèrent sans y songer, et la première source de maux qu’ils préparèrent à leurs descendants ; car outre qu’ils continuèrent ainsi à s’amollir le corps et l’esprit, ces commodités ayant par l’habitude perdu presque tout leur agrément, et étant en même temps dégénérées en de vrais besoins, la privation en devint beaucoup plus cruelle que la possession n’en était douce, et l’on était malheureux de les perdre, sans être heureux de les posséder.
On entrevoit un peu mieux ici comment l’usage de la parole s’établit ou se perfectionne insensiblement dans le sein de chaque famille, et l’on peut conjecturer encore comment diverses causes particulières purent étendre le langage, et en accélérer le progrès en le rendant plus nécessaire. De grandes inondations ou des tremblements de terre environnèrent d’eaux ou de précipices des cantons habités ; des révolutions du globe détachèrent et coupèrent en îles des portions du continent. On conçoit qu’entre des hommes ainsi rapprochés et forcés de vivre ensemble, il dut se former un idiome commun plutôt qu’entre ceux qui erraient librement dans les forêts de la terre ferme. Ainsi il est très possible qu’après leurs premiers essais de navigation, des insulaires aient porté parmi nous l’usage de la parole ; et il est au moins très vraisemblable que la société et les langues ont pris naissance dans les îles et s’y sont perfectionnées avant que d’être connues dans le continent.
Tout commence à changer de face. Les hommes errant jusqu’ici dans les bois, ayant pris une assiette plus fixe, se rapprochent lentement, se réunissent en diverses troupes, et forment enfin dans chaque contrée une nation particulière, unie de mœurs et de caractères, non par des règlements et des lois, mais par le même genre de vie et d’aliments, et par l’influence commune du climat. Un voisinage permanent ne peut manquer d’engendrer enfin quelque liaison entre diverses familles. De jeunes gens de différents sexes habitent des cabanes voisines, le commerce passager que demande la nature en amène bientôt un autre non moins doux et plus permanent par la fréquentation mutuelle. On s’accoutume à considérer différents objets et à faire des comparaisons ; on acquiert insensiblement des idées de mérite et de beauté qui produisent des sentiments de préférence. À force de se voir, on ne peut plus se passer de se voir encore. Un sentiment tendre et doux s’insinue dans l’âme, et par la moindre opposition devient une fureur impétueuse : la jalousie s’éveille avec l’amour ; la discorde triomphe et la plus douce des passions reçoit des sacrifices de sang humain.
À mesure que les idées et les sentiments se succèdent, que l’esprit et le cœur s’exercent, le genre humain continue à s’apprivoiser, les liaisons s’étendent et les liens se resserrent. On s’accoutuma à s’assembler devant les cabanes ou autour d’un grand arbre : le chant et la danse, vrais enfants de l’amour et du loisir, devinrent l’amusement ou plutôt l’occupation des hommes et des femmes oisifs et attroupés. Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-même, et l’estime publique eut un prix. Celui qui chantait ou dansait le mieux ; le plus beau, le plus fort, le plus adroit ou le plus éloquent devint le plus considéré, et ce fut là le premier pas vers l’inégalité, et vers le vice en même temps : de ces premières préférences naquirent d’un côté la vanité et le mépris, de l’autre la honte et l’envie ; et la fermentation causée par ces nouveaux levains produisit enfin des composés funestes au bonheur et à l’innocence.
Extrait du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes - Rousseau
Annonce des axes
I. Quelles sont les étapes de l’évolution ?
II. Les aspects négatifs de l’évolution
Commentaire littéraire
I. Quelles sont les étapes de l’évolution ?
En quoi y a-t-il progrès ?
1ère étape :
1er paragraphe : fabrication de huttes (branchages, torchis).
2ème paragraphe :
- installation d’une famille (maris, femmes, enfant, habitation communes).
- modification des relations familiales.
2ème étape : 3ème paragraphe : amélioration du confort (commodités inconnues à leurs pères).
Progrès matériels, techniques.
3ème étape : 4ème paragraphe : l’usage de la parole, le langage…Selon Rousseau, ce sont les modifications géographiques qui ont développé le langage.
4ème étape : 5ème paragraphe :
- rassemblements de communautés (nation) ; l’effet : climat, alimentation, genre de vie.
- relations affectives ("Un sentiment tendre et doux s’insinue dans l’âme...").
5ème étape : 6ème paragraphe : les loisirs, création artistique (chant, danse, amour, loisirs) – développement d’une vie sociale cultivée. On a l’image de la vie sociale dans un contexte civilisé, hiérarchisé.
Bilan : En différents paragraphes successifs, Rousseau analyse les étapes d’une transformation dans une relation de
cause à effet. Transformations matérielle et affective des premiers hommes.
Joug : contraintes matérielles ou morales.
II. Les aspects négatifs de l’évolution
1ère idée : l’inégalité (premier paragraphe : "propriété", "des querelles et des combats").
2ème idée : naissance des conflits ("opposition", "fureur impétueuse", "jalousie", "des sacrifices de sang humain").
3ème idée : paresse, mollesse, disparition des qualités physiques, perte de la férocité, de la vigueur. Plus on vit dans le confort, plus il y a ramollissement du corps. Moindre capacité à affronter les bêtes sauvages. Tout doucement, on s’achemine vers le confort.
4ème idée : déchéance morale (6ème paragraphe). Superlatifs absolus ("le plus beau, le plus fort..."), envie, vanité, honte, naissance du "vice". L'homme a perdu son innocence.
Conclusion
Ce texte se présente de façon moralisée et Rousseau nous fait une analyse anthropologique intéressante (étude des caractères anatomiques, biologiques de l’homme considéré dans le monde animal) : ethnologie : étude sur les hommes selon l’écriture et la langue. Rousseau cherche plus à nous convaincre qu’à respecter les étapes de l’évolution de l’homme.