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Et la mer et l'amour de Pierre de Marbeuf :
Pierre de Marbeuf (1596-1645), poète français.
Pierre de Marbeuf est né en 1596 à Sahurs dans la Seine-Maritime.
Elève du collège de La Flèche où il a été le
condisciple de Descartes, le chevalier Pierre de Marbeuf est juriste de formation.
Il exercera aussi la fonction de maître des eaux et forêts comme Jean de La Fontaine.
Son
Recueil des vers est publié à Rouen en 1628. Auteur de sonnets
baroques, il met en œuvre les thèmes de la nature, de la fragilité de
la vie et de l'amour. Connu tardivement, il est apprécié non
seulement pour ses qualités de poète, mais aussi pour ses talents satiriques.
Recherchant la perfection, il joue avec les mots et les sonorités dans
un style baroque.
Introduction
Le poème «
Et la mer et l'amour » est paru en 1628.
Il est extrait de
Recueil des vers. Ce poème de Pierre de Marbeuf n’a
pas de titre. C’est un sonnet baroque. Le poète développe
le thème de l’amour malheureux en y associant le thème de
l'eau. Ce poème est d'aspect conventionnel : c’est un exercice
de virtuosité destiné surtout à mettre en valeur l'habileté de
l'artiste plus que la sincérité de ses sentiments.
Texte du poème Et la mer et l'amour
Télécharger Et la mer et l'amour - de Pierre de Marbeuf en version audio (clic droit - "enregistrer sous...")
Lu par Cécile Belluard - source : litteratureaudio.com
Et la mer et l'amour
Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau
Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
Pierre de Marbeuf, Recueil des vers
Annonce des axes
Pierre de Marbeuf s’appuie sur une comparaison entre la mer et l’amour pour développer une réflexion et un monologue élégiaques sur les souffrances de la passion.
I. Une réflexion axée sur une comparaison entre la mer et l'amour
1. L'entrelacement de 2 thèmes, la mer (élément concret) et l'amour (sentiment de l'ordre de l'abstrait)
2. Les ressemblances entre la mer et l'amour
3. Les différences entre la mer et l'amour : dans les tercets, les 2 thèmes ne sont plus assimilés
II. Une réflexion et un monologue élégiaques sur l'amour malheureux
1. L'investissement personnel dans un monologue adressé à l'être aimé
2. La thématique de la passion malheureuse, souvent personnifiée, qui utilise des clichés
3. Une musicalité extrêmement travaillée : poème = un exercice de style
Commentaire littéraire
I. Une réflexion axée sur une comparaison entre la mer et l’amour
1. L’entrelacement de 2 thèmes, la mer (élément concret) et l’amour (sentiment de l’ordre de l’abstrait)
- Deux champs lexicaux primordiaux : « la mer » 6 fois, « l’amour » 8
fois
- Les répétitions parallèles, le
chiasme, les
anaphores,
la paronomase (l’amer, la mer) créent un sentiment de confusion
- Une mer tourmentée devient la métaphore filée de l’amour
et de ses dangers, va et vient de la Mer.
2. Les ressemblances entre la mer et l’amour
Ces ressemblances sont explicites : ("en partage", "aussi bien", "tous
deux").
Le parallélisme va jusqu'au vers dix. Marbeuf examine les ressemblances,
les points de contact.
Le premier est l'amertume : sel pour la mer, déconvenue pour l'amour.
Le second est la vie tourmentée (l'orage), le troisième est le
risque de naufrage (utilisation de la métaphore filée de la navigation,
des orages (litote) et du naufrage => dangers communs).
Le quatrième se situe dans la mythologie et les liens filiaux qui existent
entre la mer, la déesse de l'amour et le dieu de l'amour.
3. Les différences entre la mer et l’amour : dans les tercets, les 2 thèmes ne sont plus assimilés
- Les images des vers 9 et 10 :
La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau.
Marbeuf fait allusion à la mythologie grecque et romaine. La mère
de l'amour est Vénus ou Aphrodite. Selon la légende, elle est
née, nue, de l'écume de la mer. Le dieu de l'amour est Cupidon
ou Éros, fils de Vénus et de Mars. Traditionnellement, la passion
amoureuse qu'inocule le Dieu Cupidon est décrite sous le nom de feux,
de flammes car elle embrase l'imagination et le cœur.
- L’amour remplacé par le feu => éléments antagonistes
(=opposés) > l’amour / feu ; l’eau / mer
=> l’eau ne parvient pas éteindre le feu de l’amour.
II. Une réflexion et un monologue élégiaques sur l’amour malheureux
1. L’investissement personnel dans un monologue adressé à l’être aimé
- La réflexion générale de départ (« l’on », « celui
qui ») passe à une réflexion personnelle (« je », « me », « mes »).
- Registre élégiaque (exprimant une plainte, souffrance), nuance
du lyrisme. Il souffre.
- Pierre de Marbeuf s’adresse à une personne, non caractérisée,
mais tutoyé « ton ».
2. La thématique de la passion malheureuse, souvent personnifiée, qui utilise des clichés
- Amour passionné : métaphore. Hyperbole : « si fort »
- Un amour qui ressemble à une guerre, métaphore des « armes »
- Souffrances de l’amour : métaphore de l’amertume, de l’orage,
du naufrage.
- Expression pathétique, métaphorique et hyperbolique de ce tourment
=> l’unilatéralité de l’amour, évocation
du sentiment.
3. Une musicalité extrêmement travaillée : poème = un exercice de style
- Le polysyndéton dans les deux premiers vers.
- Poème en alexandrins, sans enjambements ni rejet > importance de
la binarité
- Procédé de la répétition : anaphores, hémistiches,
répétitions constantes de mots, homophone (= paronomase),
assonances,
allitérations.
- Marbeuf joue avec le langage aussi bien dans ses aspects visuels que sonores :
ainsi « aimer » est visuellement proche d'« amer » et
d'« amour ». « Amer » possède
les mêmes
phonèmes que « la mer » ou « la mère » ; « eaux » est
repris en écho par « maux », « armes » est
repris par « larmes ». Au-delà de la ressemblance
des mots, Marbeuf joue sur les sens. Par exemple, la mer est amère (il
est fait allusion au sel de la mer), mais les larmes sont aussi salées.
Ainsi nous nous promenons par association d'idées entre des réalités
très symboliques : le feu, l'eau qui renvoient à des concepts abstraits comme l'amour, la souffrance.
Conclusion
Dans ce poème "Et la mer...", Pierre de Marbeuf présente donc essentiellement une
musicalité très travaillée. Le poète suit la tradition
précieuse, quand il multiplie les figures de rhétorique, (comparaisons,
métaphores, en particulier celle du feu, périphrases, personnifications,
hyperboles...), les répétitions, les échos rythmiques et
sonores. Cette musicalité permet à "Et la mer..." de sortir de
la banalité à laquelle pourrait le condamner la thématique élégiaque
si traditionnelle de la passion malheureuse.
Le lyrisme est ici particulièrement servi par cette musicalité d'abord,
mais également par ce jeu emprunté au baroque de la comparaison
et de l'antithèse qui entrelace intimement les thèmes de l'amour
et celui de l'eau, élément mouvant, insaisissable, symbole de la
vanité, comme du caractère éphémère des choses de ce monde.