Les Fausses confidences

Marivaux

Acte I, scène 2

De "DUBOIS. Point de bien !..." à la fin de la scène





Plan de la fiche sur la scène 2 de l'Acte 1 de Les Fausses confidences de Marivaux :
Introduction
Lecture de la scène 2 de l'acte 1
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion




Introduction

    Scène d'exposition de Les Fausses Confidences plus riche que la première, cette scène 2 de l'Acte 1 nous donne des informations sur les personnages et sur l'intrigue. Nous y voyons l'entrée en scène d'un deuxième valet qui est l'antithèse du premier. Ce sont les deux personnages principaux, leurs intentions sont présentées au cours d'une conversation naturelle mais qui a le ton du complot et dont le sujet n'est pas clairement défini. C'est Dubois qui mène l'affaire et qui mène son ancien maître. Dorante est à la fois dominé et dépendant. Déguisé en intendant, il est l'exécutant d'une entreprise amoureuse dont il sera aussi le bénéficiaire.
    Ce dialogue est révélateur des rapports de force, qui met en évidence les qualités multiples de Dubois et la vulnérabilité de Dorante. Cette scène montre une opposition des caractères. La discussion est vive à propos des  obstacles et chances de réussite de l'entreprise amoureuse. Cet extrait de Les Fausses Confidences met donc en évidence l'éloquence du valet et la fragilité de l'ancien maître.

Marivaux
Marivaux



Lecture de la scène 2 de l'acte 1

Acte I, scène 2 (extrait)

DUBOIS - Point de bien ! votre bonne mine est un Pérou. Tournez-vous un peu, que je vous considère encore ; allons, Monsieur, vous vous moquez, il n'y a point de plus grand seigneur que vous à Paris : voilà une taille qui vaut toutes les dignités possibles, et notre affaire est infaillible, absolument infaillible ; il me semble que je vous vois déjà en déshabillé dans l'appartement de Madame.
DORANTE - Quelle chimère !
DUBOIS - Oui, je le soutiens. Vous êtes actuellement dans votre salle et vos équipages sont sous la remise.
DORANTE - Elle a plus de cinquante mille livres de rente, Dubois.
DUBOIS - Ah ! vous en avez bien soixante, pour le moins.
DORANTE - Et tu me dis qu'elle est extrêmement raisonnable ?
DUBOIS - Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle. Si vous lui plaisez, elle en sera si honteuse, elle se débattra tant, elle deviendra si faible, qu'elle ne pourra se soutenir qu'en épousant ; vous m'en direz des nouvelles. Vous l'avez vue et vous l'aimez ?
DORANTE - Je J'aime avec passion. et c'est ce qui fait que je tremble !
DUBOIS - Oh ! vous m'impatientez avec vos terreurs : Oh que diantre ! un peu de confiance ; vous réussirez, vous dis-je. Je m'en charge, je le veux, je l'ai mis là ; nous sommes convenus de toutes nos actions ; toutes nos mesures sont prises ; je connais l'humeur de ma maîtresse, je sais votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis, et on vous aimera, toute raisonnable qu'on est  ; on vous épousera, toute fière qu'on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ? Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l'amour parle, il est le maître, et il parlera : adieu ; je vous quitte ; j'entends quelqu'un, c'est peut-être Monsieur Remy ; nous voilà embarqués, poursuivons. (Il fait quelques pas, et revient.) A propos, tâchez que Marton prenne un peu de goût pour vous. L'amour et moi, nous ferons le reste.

Marivaux - Les Fausses confidences - Acte I, scène 2 (extrait)




Annonce des axes

I. Raisons et manifestations de la faiblesse de Dorante
II. En face : Dubois, sûr de lui
III. Un homme d'action au service d'un projet amoureux



Commentaire littéraire

I. Raisons et manifestations de la faiblesse de Dorante

Amoureux conventionnel mais qui se présente sous le masque de l'intendant (cf. Valère dans L'Avare). Tromperie condamnable mais ses hésitations et son manque d'assurance le rendent inoffensif. Il se présente victime de sa passion : "Je l'aime avec passion, et c'est ce qui fait que je tremble !". Déguisé, inhibé et conscient de la disparité sociale, "Elle a plus de cinquante mille livres de rente", il a donc toutes les raisons d'envisager l'échec d'une entreprise ("une chimère !") dont il n'est ni l'initiateur ni le meneur.
Sa faiblesse est perceptible dans la prise de parole. Alors que les répliques de Dubois sont construites, celles de Dorante sont brèves et marquées par l'émotion : modalités exclamatives et interrogatives. Sa première réplique est une exclamation, expression d'un complexe d'infériorité, désespoir. Sa deuxième réplique : interrogation qui montre avant tout qu'il souhaite être rassuré.



II. En face : Dubois, sûr de lui

Le discours de Dubois est l'antithèse de celui de Dorante.
Une énergie qu'il voudrait communicative "allons, Monsieur, vous vous moquez /entendez-vous?", répétition persuasive "infaillible... infaillible". Les modalités exclamatives sont les marques de l'enthousiasme "Point de bien ! Votre bonne mine est un Pérou !" ou de l'impatience et de l'exhortation : "Oh! vous m'impatientez avec vos terreurs : eh que diantre !". Une affection à la fois protectrice et grondeuse. Un discours péremptoire : ton moqueur employé pour répondre aux objections de Dorante ("Elle a plus de cinquante mille livres de rente / vous en avez bien soixante") : la disproportion mise en évidence semble avant tout le réjouir : cf. l'interjection. Ton critique et moqueur devant les craintes de Dorante, devant la façon trop emphatique dont il les exprime : "vos terreurs".
Optimisme : Pour Dubois l'argent n'est pas un obstacle, la différence de fortune étant compensée par l'apparence physique de Dorante, humour et ironie "Votre bonne mine est un Pérou" : le valet joue sur la polysémie du mot "mine", peu importe l'argent, Dorante vaut par lui-même. L'image un peu insolente de Dorante "en déshabillé dans l'appartement de Madame" souligne la rapidité avec laquelle le projet aboutira. Vocabulaire de la certitude : "Oui, je le soutiens". Il anéantit les doutes de son ancien maître par son analyse de la situation "Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle." -> vivacité de la tournure accompagnée d'un raccourci visionnaire montrant la soumission de la jeune femme.
La dernière réplique montre l'éloquence de Dubois. Il énonce son projet dans un discours à la première personne "Je m'en charge, je le veux, je l'ai mis là...  je sais votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis", le rythme ternaire (procédé principal de la réplique) montre le caractère volontaire et décidé. Noter dans l'ensemble de la tirade, le glissement du pronom "vous" (Dorante) remplacé par le "nous" puis par le "je". La jeune veuve désignée par le pronom indéfini "on" : "toute raisonnable qu'on est ; on vous épousera, toute fière qu'on est, et on vous enrichira". Ainsi, elle n'apparaît pas en tant qu'individualité, un "on" (elle, ma maîtresse + moi) qui peut laisser sous entendre la participation active de Dubois capable de guider la conscience de la jeune femme. D'autre part, le parallélisme de structure définit les objectifs : "aimera/ épousera/ enrichira" (futur = certitude) trois moments auxquels correspondent trois traits définissant la personne à conquérir : "fierté/ raison/ richesse". Constructions symétriques: "je sais votre mérite / je sais mes talents" -> la réussite repose sur leur complicité "nous sommes convenus de toutes nos actions/ toutes nos mesures sont prises" -> Chiasme (convenus - prises/ toutes nos actions - toutes nos mesures) pour souligner la solidité du stratagème mis en place. Les impératifs traduisent son pouvoir de décision. Dubois est un homme d'action, volontaire, ayant confiance en lui. Son discours souligne un caractère autoritaire. Il a donc sur son maître une véritable ascendance.



III. Un homme d'action au service d'un projet amoureux

Le projet est un complot mené par un valet qui n'est pas tourmenté par les scrupules. Dubois possède des qualités intellectuelles, il connaît les mécanismes amoureux et, en fin psychologue, il a analysé le caractère de sa maîtresse. S'il souligne qu'elle est raisonnable (par trois fois), cette qualité ne lui semble pas un obstacle. Non seulement elle ne pourra pas résister à l'amour, mais de plus cette qualité doit jouer en faveur de Dorante : c'est un gage de la profondeur des sentiments. "Si vous lui plaisez, elle en sera si honteuse, elle se débattra tant, elle deviendra si faible, qu'elle ne pourra se soutenir qu'en épousant" le lexique suggère la maladie d'amour (faible, se soutenir), la restriction (ne... que), l'issue fatale. Le processus est connu, il reste à le provoquer : deux étapes : faire naître le désir par la séduction (physique "Votre bonne mine... je vous vois déjà en déshabillé") et l'entretenir, le stimuler, par la jalousie "Tâchez que Marton prenne un peu de goût pour vous", le statut social de ce personnage encore énigmatique se précise.





Conclusion

    La scène d'exposition distribue les rôles dans un projet qui se dessine. Cette scène nous montre un valet aux multiples qualités, morales et intellectuelles, qui tire les ficelles et prend plaisir à le faire, et un maître qui n'en est plus un, déclassé fragile, malheureux et dépendant, et enfin Une maîtresse qu'il faut séduire sans s'embarrasser de scrupules.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur la scène 2 de l'acte 1 de Les Fausses confidences de Marivaux