Plan de la fiche sur la scène 15 de l'Acte 2 de
Les Fausses confidences de Marivaux :
Introduction
Nous sommes au paroxysme de la pièce
Les Fausses confidences,
de
Marivaux, au moment où tout
bascule. C’est l’aveu de Dorante. Cet aveu a été préparé à la
scène 13. Le tout a été préparé par l’écriture
de la lettre qui est une épreuve (difficulté avec laquelle le
héros est aux prises). Araminte elle-même met Dorante à l’épreuve,
ce qui est très théâtral. Epreuve dans le sens où Dorante
souffre. Dorante avoue que Marton n’est rien pour lui. Puis Araminte cherche à faire
dire son amour à Dorante. Ce passage intervient au moment où le
processus de l’aveu est bien engagé. Il est divisé é en
3 parties. Progression dans la contrainte, laquelle progression se trouve autour
du portrait. Nous allons montrer comment le dialogue conduit vers une situation de crise.
Marivaux
Lecture de la scène 15 de l'acte 2
Acte II, scène 15
DORANTE, ARAMINTE.
ARAMINTE, à part, émue.
Cette folle ! (Haut.) Je suis charmée de ce qu'elle vient de m'apprendre.
Vous avez fait là un très bon choix c'est une fille aimable et
d'un excellent caractère.
DORANTE, d'un air abattu.
Hélas ! Madame, je ne songe point à elle.
ARAMINTE
Vous ne songez point à elle ! Elle dit que vous l'aimez, que vous l'aviez
vue avant que de venir ici.
DORANTE, tristement.
C'est une erreur où Monsieur Remy l'a jetée sans me consulter
et je n'ai point osé dire le contraire, dans la crainte de m'en faire
une ennemie auprès de vous. Il en est de même de ce riche parti
qu'elle croit que je refuse à cause d'elle et je n'ai nulle part à tout
cela. Je suis hors d'état de donner mon cœur à personne ; je l'ai perdu pour jamais ; et la plus brillante de toutes les fortunes ne
me tenterait pas.
ARAMINTE
Vous avez tort. Il fallait désabuser Marton.
DORANTE
Elle vous aurait, peut-être, empêchée de me recevoir ; et
mon indifférence lui en dit assez.
ARAMINTE
Mais dans la situation où vous êtes, quel intérêt
aviez-vous d'entrer dans ma maison, et de la préférer à une
autre ?
DORANTE
Je trouve plus de douceur à être chez vous, Madame.
ARAMINTE
Il y a quelque chose d'incompréhensible en tout ceci ! Voyez-vous souvent
la personne que vous aimez ?
DORANTE, toujours abattu.
Pas souvent à mon gré, Madame et je la verrais à tout
instant, que je ne croirais pas la voir assez.
ARAMINTE, à part.
Il a des expressions d'une tendresse ! (Haut.) Est-elle fille ? A-t-elle été mariée ?
DORANTE
Madame, elle est veuve.
ARAMINTE
Et ne devez-vous pas l'épouser ? Elle vous aime, sans doute ?
DORANTE
Hélas ! Madame, elle ne sait pas seulement que je l'adore. Excusez l'emportement
du terme dont je me sers, je ne saurais presque parler d'elle qu'avec transport !
ARAMINTE
Je ne vous interroge que par étonnement. Elle ignore que vous l'aimez,
dites-vous ? Et vous lui sacrifiez votre fortune ? Voilà de l'incroyable.
Comment, avec tant d'amour, avez-vous pu vous taire ? On essaie de se faire
aimer, ce me semble ; cela est naturel et pardonnable.
DORANTE
Me préserve le ciel d'oser concevoir la plus légère espérance ! Être
aimé, moi ! Non, Madame, son état est bien au-dessus
du mien ; mon respect me condamne au silence ; et je mourrai du moins sans
avoir eu le malheur de lui déplaire.
ARAMINTE
Je n'imagine point de femme qui mérite d'inspirer une passion si étonnante ; je n'en imagine point. Elle est donc au-dessus de toute comparaison ?
DORANTE
Dispensez-moi de la louer, Madame : je m'égarerais en la peignant. On
ne connaît rien de si beau ni de si aimable qu'elle ; et jamais elle
ne me parle, ou ne me regarde, que mon amour n'en augmente.
ARAMINTE baisse les yeux et continue.
Mais votre conduite blesse la raison. Que prétendez-vous avec cet amour
pour une personne qui ne saura jamais que vous l'aimez cela est bien bizarre.
Que prétendez-vous ?
DORANTE
Le plaisir de la voir quelquefois, et d'être avec elle, est tout ce que je me propose.
ARAMINTE
Avec elle ! Oubliez-vous que vous êtes ici ?
DORANTE
Je veux dire avec son portrait, quand je ne la vois point.
ARAMINTE
Son portrait ! Est-ce que vous l'avez fait faire ?
DORANTE
Non, Madame ; mais j'ai, par amusement, appris à peindre ; et je l'ai
peinte moi-même. Je me serais privé de son portrait, si je n'avais
pu l'avoir que par le secours d'un autre.
ARAMINTE, à part.
Il faut le pousser à bout. (Haut.) Montrez-moi ce portrait.
DORANTE
Daignez m'en dispenser, Madame ; quoique mon amour soit sans espérance,
je n'en dois pas moins un secret inviolable à l'objet aimé.
ARAMINTE
Il m'en est tombé un par hasard entre les mains ; on l'a trouvé ici.
(Montrant la boîte.) Voyez si ce ne serait point celui dont il s'agit.
DORANTE
Cela ne se peut pas.
ARAMINTE, ouvrant la boîte.
Il est vrai que la chose serait assez extraordinaire. Examinez.
DORANTE
Ah ! Madame, songez que j'aurais perdu mille fois la vie, avant que d'avouer
ce que le hasard vous découvre. Comment pourrai-je expier ?… (Il
se jette à ses genoux.)
ARAMINTE
Dorante, je ne me fâcherai point. Votre égarement me fait pitié ;
revenez-en, je vous le pardonne.
MARTON paraît et s'enfuit.
Ah !
(Dorante se lève vite.)
ARAMINTE
Ah ciel ! C'est Marton ! Elle vous a vu.
DORANTE, feignant d'être déconcerté.
Non, Madame, non ; je ne crois pas ; elle n'est point entrée.
ARAMINTE
Elle vous a vu, vous dis-je; laissez-moi, allez-vous-en : vous m'êtes
insupportable. Rendez-moi ma lettre. (Quand il est parti.) Voilà pourtant
ce que c'est, que de l'avoir gardé !
Marivaux - Les Fausses confidences - Acte II, scène 15
Commentaire littéraire
Les statuts des deux personnages sont très différents. Chez Araminte : il y a le lexique de l’autorité (« votre conduite blesse
la raison... Que prétendez-vous ? »). Discours qui puise
son autorité du
fait qu’il repose sur la raison et discours basé sur les questions.
Dorante est opposé à Araminte : lexique de la soumission amoureuse
(« être avec elle... propose », « je veux
dire... vois pas » ⇒ restrictions). Le vocabulaire de Dorante est négatif,
ce qui traduit la soumission. Les deux paroles des deux personnages ont des fonctions
opposées. Araminte : provoquer Dorante qui lui doit se taire le plus possible,
reculer.
Deux étapes critiques qui augmentent la tension (l’aveu et l’intrusion
de Marton). Les jeux de scène se précipitent : Dorante se met à genou
puis se relève.
Comportement contradictoire.
Le comportement d’Araminte est bouleversé à la fin de
la scène. Le discours d’Araminte qui était autoritaire évolue
en forme de faiblesse (« ah, ciel », « vous m’êtes
insupportable... »). La conclusion est donnée par l’aparté d’Araminte.
Amour doublé d’un double obstacle : celui du préjugé et
de l’amour propre. L’amour est associé à la fragilité.
La parole de l’amour est une dépendance et douloureuse. Renversement
du rapport de force. Ils ne sont jamais sur un même plan d’égalité au
même moment. Il y a une disproportion considérable : Araminte
se trouve en position de force longtemps mais elle devient vite et définitivement
faible : c’est une surprise de l’amour douloureuse. Inégalité profonde.
L’intrusion du préjugé social est incarnée par
Marton qui brise un élan de sincérité. Le changement
de ton est très brutal. Ce qu’Araminte supportait dans l’intimité,
elle ne le supporte plus en présence de la société.
Marton remet l’ordre social sur ses pieds. Araminte n’a pas réussi à surmonter
la contradiction de Dorante. Elle cherche à prendre Dorante au piège
et c’est elle qui se retrouve piégée. Mécanisme
de fausse confidence qui se retourne. Les personnages sont réduits à être
des acteurs conduits par le jeu des convenances sociales et par leur amour
propre comme s’ils étaient enfermés dans un rôle.
Le rôle devient de plus en plus caricatural. Vocabulaire romanesque : « sans
espérance », « secret inviolable ».
Enfermement du personnage dans son jeu. Ordre théâtral bouleversé par
l’entrée d’un témoin. L’univers de Marivaux
est cruel et équivoque.
L’importance de la douleur. Ce dialogue est construit comme une duel : il comporte une espèce de corps à corps. Araminte a une stratégie
très offensive (nombreux impératifs). Dorante se recule, se
replie. Le tempo des répliques, leur brièveté et leur
rapidité, témoigne de ce duel. Le dialogue est structuré comme un duel.
Ce monde est équivoque dans la mesure où chacun des personnages
se présente comme un double. Au début, Araminte est cruelle
et à la fin, elle est sensible. Personnage capable de cruauté.
Elle a en face d’elle un personnage qui souffre, et elle accentue sa
souffrance. Puis elle perd le contrôle de la situation (dernière
réplique) ⇒ acceptation de ce qu’il s’est passé comme
si elle s’appliquait elle-même son propre châtiment : femme défaite.
Dorante se manifeste comme un homme sensible qui fait de sa propre faiblesse
une arme. A la fin, c’est un personnage de sang froid. Lorsque Araminte
est faible, il est fort. Ce sont des personnages complémentaires.
Il garde son sang froid comme si l’arrivée de Marton lui servait.
Le spectateur peut avoir l’impression que la sincérité de
Dorante est une stratégie.
Chez Marivaux, l’amour est un combat.
Conclusion
Dans, cette scène de
Les Fausses confidences,
Marivaux nous montre à quel point cette pièce repose sur un duel
et sur un jeu de masque. C’est une épreuve :
douleur. Le surgissement de la sensibilité n’est pas nécessairement
lié à l’euphorie.
Les personnalités sont faibles et capables d’imploser. Il faut un élément
révélateur (ici l’arrivée de Marton). Le point de
faiblesse d’Araminte est la vision sociale.