Les Fausses confidences

Marivaux

Acte III, scène 12

Analyse linéaire

De "Araminte - Demain, dites-vous !" à la fin de la scène





Plan de l'analyse de la scène 12 de l'Acte 3 de Les Fausses confidences de Marivaux :
Introduction
Lecture de la scène 12 de l'acte 3
Plan du texte pour l'Analyse linéaire
Analyse linéaire
Conclusion


Introduction

    Les Fausses confidences de Marivaux furent représentées pour la première fois en 1737. Dans cette pièce, Dorante, un jeune noble qui a perdu sa fortune, va tout faire pour séduire la belle et riche Araminte. Son ancien valet Dubois, qui veut aider Dorante, va échafauder des stratagèmes pour que Araminte aime Dorante et ainsi faire triompher l'amour.

    Cette scène 12 de l'Acte III est l'avant-dernière de la pièce. C'est un dénouement, une scène d'aveux, de vrais confidences. Tout d'abord les aveux réciproques d'amour de la part de Dorante et d'Araminte, puis l'aveu du stratagème de la part de Dorante et enfin le pardon d'Araminte.

Marivaux
Marivaux



Lecture de la scène 12 de l'acte 3

Acte III, scène 12

DORANTE, ARAMINTE.

[...]

ARAMINTE
Demain, dites-vous ! Comment vous garder jusque-là, après ce qui est arrivé ?

DORANTE, plaintivement.
De tout le reste de ma vie, que je vais passer loin de vous, je n'aurais plus que ce seul jour qui m'en serait précieux.

ARAMINTE
Il n'y a pas moyen, Dorante ; il faut se quitter. On sait que vous m'aimez, et on croirait que je n'en suis pas fâchée.

DORANTE
Hélas Madame ! Que je vais être à plaindre !

ARAMINTE
Ah ! Allez, Dorante, chacun a ses chagrins.

DORANTE
J'ai tout perdu ! J'avais un portrait, et je ne l'ai plus.

ARAMINTE
À quoi vous sert de l'avoir ? Vous savez peindre.

DORANTE
Je ne pourrai de longtemps m'en dédommager ; d'ailleurs, celui-ci m'aurait été bien cher ! Il a été entre vos mains, Madame.

ARAMINTE
Mais, vous n'êtes pas raisonnable.

DORANTE
Ah ! Madame ! Je vais être éloigné de vous ; vous serez assez vengée ; n'ajoutez rien à ma douleur !

ARAMINTE
Vous donner mon portrait ! Songez-vous que ce serait avouer que je vous aime ?

DORANTE
Que vous m'aimez, Madame ! Quelle idée ! qui pourrait se l'imaginer ?

ARAMINTE, d'un ton vif et naïf.
Et voilà pourtant ce qui m'arrive.

DORANTE, se jetant à ses genoux.
Je me meurs !

ARAMINTE
Je ne sais plus où je suis. Modérez votre joie ; levez-vous, Dorante.

DORANTE, se lève, et tendrement.
Je ne la mérite pas ; cette joie me transporte ; je ne la mérite pas, Madame : vous allez me l'ôter ; mais, n'importe, il faut que vous soyez instruite.

ARAMINTE, étonnée.
Comment ! que voulez-vous dire ?

DORANTE
Dans tout ce qui s'est passé chez vous, il n'y a rien de vrai que ma passion, qui est infinie, et que le portrait que j'ai fait. Tous les incidents qui sont arrivés partent de l'industrie d'un domestique qui savait mon amour, qui m'en plaint, qui par le charme de l'espérance du plaisir de vous voir, m'a, pour ainsi dire, forcé de consentir à son stratagème : il voulait me faire valoir auprès de vous. Voilà, Madame, ce que mon respect, mon amour et mon caractère ne me permettent pas de vous cacher. J'aime encore mieux regretter votre tendresse que de la devoir à l'artifice qui me l'a acquise ; j'aime mieux votre haine que le remords d'avoir trompé ce que j'adore.

ARAMINTE, le regardant quelque temps sans parler.
Si j'apprenais cela d'un autre que de vous, je vous haïrais, sans doute ; mais l'aveu que vous m'en faites vous-même, dans un moment comme celui-ci, change tout. Ce trait de sincérité me charme, me paraît incroyable, et vous êtes le plus honnête homme du monde. Après tout, puisque vous m'aimez véritablement, ce que vous avez fait pour gagner mon cœur n'est point blâmable : il est permis à un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner, lorsqu'il a réussi.

DORANTE
Quoi ! La charmante Araminte daigne me justifier !

ARAMINTE
Voici le Comte avec ma mère, ne dites mot, et laissez-moi parler.

Marivaux - Les Fausses confidences - Acte III, scène 12



Plan du texte pour l'Analyse linéaire

I. Les déclarations d'amour
    De "Araminte - Demain, dites-vous !" à "Araminte - Je ne sais plus où je suis. Modérez votre joie ;"

II. L'aveu du stratagème de la part de Dorante
    De "levez-vous, Dorante." à "le remords d'avoir trompé ce que j'adore."

III. Le pardon d'Araminte
    De "Araminte, le regardant quelque temps sans parler." à la fin de la scène



Analyse linéaire

I. Les déclarations d'amour

De "Araminte - Demain, dites-vous !" à "Araminte - Je ne sais plus où je suis. Modérez votre joie ;"

Les déclarations se font sur un rythme soutenu, avec des répliques courtes, et souvent exclamatives. Jeu très serré sur les questions et sur les exclamations. Le dialogue n'est pas argumentatif dans cette première partie, il est basé sur l'émotion et le désarroi des personnages.

La déclaration de Dorante :
Dorante est sur le ton de la plainte, il emploie un registre élégiaque, comme le montrent la didascalie "plaintivement" et le champ lexical de la tristesse ("plaindre", "chagrins", "douleur"). La déclaration d'amour de Dorante se fait en négatif : il veut montrer à Araminte comme il sera malheureux en ne la voyant plus.
Rythme ternaire : "Je vais être éloigné de vous ; vous serez assez vengée ; n'ajoutez rien à ma douleur !" -> Dorante utilise 2 fois le présent de l'indicatif pour un constat sans appel sur sa tristesse à venir, puis l'impératif pour s'adresser à Araminte et lui supplier de lui donner son portrait.
Les nombreuses exclamations de Dorante expriment une plainte, précédée d'adverbe et d'exclamatifs tels que « hélas ». Dorante utilise des hyperboles pour illustrer la détresse dans laquelle il se trouve : "De tout le reste de ma vie", "je n'aurais plus que ce seul jour qui m'en serait précieux", "J'ai tout perdu".

Araminte tente de raisonner Dorante ("chacun a ses chagrins", "à quoi vous sert", "vous n'êtes pas raisonnable", etc.).
Le ton des deux personnages n'est pas le même : à l'emportement de Dorante, Araminte oppose un grand calme, elle se montre froide et presque cruelle. Les répliques de Araminte sont pour la plupart au présent de l'indicatif, pour exprimer une vérité qui doit convaincre Dorante par des faits qui ne doivent pas appeler une contradiction de la part de Dorante (par exemple : "il faut se quitter", "chacun a ses chagrins.", etc.). Araminte semble avoir accepté le départ de Dorante, pourtant elle va lui faire une déclaration d'amour.

Dorante ne pense pas que Araminte puisse l'aimer, comme le montre sa question à Araminte : "Que vous m'aimez, Madame ! Quelle idée ! qui pourrait se l'imaginer ?".

La déclaration d'Araminte :
La déclaration d'Araminte est déclenchée par l'évocation du portrait.
La déclaration d'Araminte est, au contraire de celle Dorante, très courte et sans emportement. Elle commence par une déclaration à demi-mot ("Songez-vous que ce serait avouer que je vous aime ?", puis la question réthorique de Dorante ("qui pourrait se l'imaginer ?") pousse Araminte à confirmer avec "Et voilà pourtant ce qui m'arrive". La déclaration d'Araminte est sincère et spontanée, comme le montre la didascalie "d'un ton vif et naïf.".
L'adverbe d'opposition "pourtant" montre qu'Araminte aime Dorante en dépit des conventions sociales et qu'elle en a conscience, l'adverbe "pourtant" marque l'opposition entre ce qu'on attend de Araminte et ce qu'elle est vraiment.

Araminte est complexe. Elle reste raisonnable en dépit de sa passion. Il lui faut ancrer cet amour sur quelque chose d'universel pour arracher un consensus social. C'est une femme qui se meut dans le romanesque pour se justifier et pour se protéger. Elle reprend à son compte tous les éléments romanesques. Araminte s'arrache des conventions sociales pour être maîtresse d'elle-même et de son destin.

Dorante répond à Araminte par l'exubérance mais aussi la spontanéité comme le montrent la didascalie "se jetant à ses genoux" et l'hyperbole "Je me meurs !". Araminte l'appelle tout de suite à se calmer avec l'impératif "Modérez votre joie", mais elle est très émue et perd le contrôle qu'elle montrait jusqu'à maintenant : "Je ne sais plus où je suis".

Cette première partie de l'extrait montre donc deux vraies confidences : les deux sincères déclarations d'amour.


II. L'aveu du stratagème de la part de Dorante

De "levez-vous, Dorante." à "le remords d'avoir trompé ce que j'adore."

La didascalie "et tendrement" montre que Dorante change d'attitude, la déclaration d'amour d'Araminte a calmé son désarroi. Puis sa déclaration "Je ne la mérite pas", répétée deux fois, annonce l'aveu du stratagème. Ici, ce n'est plus un aveu d'amour, c'est celui du stratagème. Cet aveu se déroule dans une tirade.
L'aveu vise à évacuer la culpabilité, à instaurer une vérité. Paradoxe de l'aveu : aveu de mensonge qui vise à rétablir la vérité.
La tirade de l'aveu est une sorte de mise en abyme du théâtre (c'est-à-dire du théâtre dans le théâtre), Dorante révèle que tout était joué pour faire naître des émotions chez Araminte (de même qu'une pièce de théâtre est jouée pour faire naître des émotions chez le spectateur).

Dans cette tirade, le langage de Dorante est étonnamment construit. Alors qu'il avait semblé plutôt subir dans toute la pièce et avait peu la parole, ici ce discours de vérité est une véritable argumentation. Cela prouve que Dorante est un personnage sincère qui s'épanouit dans la sincérité plutôt que dans le mensonge.
Dorante commence par réaffirmer sa passion pour Araminte par une tournure négative: "il n'y a rien de vrai que ma passion" et grâce à l'hyperbole "qui est infinie" -> il préfère pour commencer son discours insister sur ce qui est vrai plutôt que sur ce qui est faux. Dans la tirade, nous allons retrouver le champ lexical de l'amour ("passion", "amour", "plaisir").

Ensuite, le champ lexical de la vérité ("vrai") est finalement peu présent dans cette tirade, alors que celui du mensonge est bien représenté ("stratagème", "cacher", "artifice", "trompé"), car Dorante veut dénoncer ce mensonge, s'en délester.
Dorante charge toute la culpabilité sur Dubois plutôt que sur lui-même : "Tous les incidents qui sont arrivés partent de l'industrie d'un domestique" (ce domestique est Dubois), "m'a, pour ainsi dire, forcé de consentir à son stratagème". Le déterminant possessif "son" ("son stratagème" en parlant de Dubois) veut bien montrer que lui-même était en fait une sorte de marionnette agitée par Dubois, et que par conséquent, il n'est pas vraiment coupable de ses tromperies.
Dorante dit la vérité, mais en la tournant tout de même à son avantage. Ainsi, même cette vraie confidence est un peu fausse !

L'adverbe "voilà" marque la conclusion de cette tirade. Par un rythme ternaire ("mon respect, mon amour et mon caractère"), Dorante en profite pour se dépeindre de façon avantageuse et montrer ses qualités morales.

Le pronom "je" apparaît pour la première fois à la fin de la tirade avec l'anaphore ("J'aime encore mieux […] j'aime mieux") -> Dorante passe à la première personne pour parler de sa sincérité, mais ne l'a pas utilisée quand il s'agissait de parler du stratagème -> Dorante fait preuve ici de beaucoup d'éloquence.


III. Le pardon d'Araminte

De "Araminte, le regardant quelque temps sans parler." à la fin de la scène

Araminte prend son temps pour réfléchir à sa réaction face à cet aveu incroyable pour elle, comme le montre la didascalie "le regardant quelque temps sans parler". Cela crée un effet d'attente sur le spectateur, qui se demande quelle va être sa réaction.

Finalement, la tirade de Dorante a eu l'effet escompté, Araminte a été séduite par ce discours de sincérité.
Araminte prend un ton plus enjoué avec les hyperboles dans la gradation ternaire : "Ce trait de sincérité me charme, me paraît incroyable, et vous êtes le plus honnête homme du monde" => Araminte semble heureuse.

Araminte pardonne cette tromperie, car le but était noble (l'amour), sous forme d'une espèce de maxime avec un présent de vérité générale : "il est permis à un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner, lorsqu'il a réussi". Ainsi, assez incroyablement, Araminte justifie tous les stratagèmes utilisés à son insu pour la séduire.
Elle affirme ainsi que tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins (ce qui peut être discutable d'un point de vue moral !).

Même Dorante semble étonné que Araminte le pardonne aussi facilement, comme le montre les exclamations dans sa réaction "Quoi ! La charmante Araminte daigne me justifier !"

La dernière réplique de Araminte montre l'autorité qu'elle a encore sur Dorante, puisqu'elle utilise deux impératifs "ne dites mot, et laissez-moi parler", et sa détermination à affronter le Comte et sa mère.





Conclusion

    Cette scène 12 de l'acte III de Les Fausses confidences est donc le dénouement de la pièce. C'est une scène d'aveux qui rétablit la vérité après toutes les fausses confidences qui ont été faites dans la pièce. Le spectateur peut mesurer le chemin qu'a eu à parcourir Araminte : aller contre ses préjugés et les préjugés sociaux.

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