Femme noire

Léopold Sédar Senghor










Introduction

    Senghor est né en 1906. Il marqua la poésie française du XXème siècle par l’apport d’un nouveau souffle, celui de ce qu’il appela lui-même la « négritude » : « La Négritude est la simple reconnaissance du fait d'être Noir, et l'acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture ». Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure à Paris, il eût une production poétique prolixe en parallèle de ses activités politiques au Sénégal, dont il fut le premier président de la République (de 1960 à 1981).

    Femme Noire est un poème de Léopold Sédar Senghor sur la négritude extrait du recueil Chants d'ombre. Contre le colonialisme et revendique la culture noire, la façon de voir, le langage, le continent africain, le métissage. Publié après la seconde guerre mondiale. Ce poème est une ode à l’amour, à la femme, à la terre africaine.
-> Dans quelles mesures Senghor réinvente la poésie lyrique ?


Texte du poème Femme noire

Femme noire


Femme nue, femme noire
Vétue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
J'ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu'au cœur de l'Eté et de Midi,
Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle

Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée

Femme noire, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau.

Délices des jeux de l'Esprit, les reflets de l'or ronge ta peau qui se moire

A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.

Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel
Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.

Léopold Sédar Senghor, Chants d'ombre



Gauguin - Manao tupapau
Gauguin - Manao tupapau - 1892



Annonce des axes

I. L'hommage à la femme noire
1. La femme noire à différents moments de la vie
2. Les qualités de la femme
3. Le poète chante sa beauté

II. Sensualité et mysticisme
1. Nudité et mystère
2. Amour et élévation spirituelle

III. Femmes et terres africaines
1. Le poème dépasse le lyrisme personnel
2. Paysage et rythmes magnifiés



Commentaire littéraire

I. L’hommage à la femme noire

1. La femme noire à différents moments de la vie

Vers 3 : Mère et enfant. Vers 6 : Jeune fille : éveil de l’amour. L’indicatif présent est opposé au passé. La foudre (« foudroie ») est une métaphore réitérée par l’« éclair ». Le poète est dans le chaos : « tonnerre » : allitération en [T]. La femme est la savane, elle frémit, gronde (personnification de la savane) : « savane ; femme ; tamtam ». Allitérations en [F] et [V] pour le souffle.
A la dernière strophe : femme face à son destin, âgée « beauté qui passe », en cendre (morte). C’est le temps qui passe. Pour Senghor, la mémoire et l’écriture permettent de fixer l’existence et la beauté dans l’éternité.


2. Les qualités de la femme

Ce poème est un hymne à la femme noire. Les 4 premières strophes : interpellations, accumulations, appositions à la femme noire et nue :
- Protectrice (protège l'enfant, accueille l'homme mûr)
- Douceur
- Apporte calme et réconfort (métaphore de l’huile = apaisant, renforcé par les monosyllabes et allitération en [L])
- Apporte une lumière spirituelle

La femme est source de vie, associée à l’au-delà et à l’ici-bas. Jeux de correspondances horizontales et verticales. La femme est condition de toute vie.


3. Le poète chante sa beauté

La couleur noire symbolise la vie « Vétue de ta couleur qui est vie ». Beauté de la femme nue sans artifice : « ta forme qui est beauté ». La beauté habille la femme « Vétue ».
La beauté de la femme devient sculpturale :
- Tamtam (femme, tension, grandeur)
- Reprise de « femme nue, femme noire »
- Grâce (métaphore de la « gazelle » : légère, musclée, aérienne, renforcé par : « gazelle ; céleste ; perle »)
- Evoque l’envol car il y a une gradation (matériel, terrestre, astral)

Presque tous les sens sont sollicités pour ressentir la beauté de la femme noire : vue, goût « sombres extases du vin noir », toucher « caresses ferventes du Vent d'Est », ouïe « tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur / Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée ».


II. Sensualité et mysticisme

1. Nudité et mystère

Même nue, la femme est chargée de mystères. « femme obscure » : double sens : femme noire et femme mystérieuse.
Assonances en [U] = profondeur, respect et admiration. Obscurité sensuelle car surprises laisse libre cours aux fantasmes. La femme noire = chants d’ombre. Chez Senghor, l’évocation de la femme revient au clair obscur.
La femme noire est à la fois obscurité et lumière. Jeux de lumière : « A l'ombre [...] s'éclaire »..., champs lexicaux de l'ombre et de la lumière dans tout le poème soulignant la complexité de la femme.


2. Amour et élévation spirituelle

L’image biblique : « Terre promise » Moïse découvre la terre promise. Milieu aride pourtant plein de promesses. La femme donne apaisement et sérénité. La femme est un sujet maternel et de séduction. Elle protège l’enfant qui deviendra un homme ou une femme. Le cycle naturel est présent.

L’élévation : extase du aux rapports amoureux. Le désir et divinisé. Le couple est une métaphore de la savane allié aux « horizons purs ». Spiritualité dans les attaches « célestes des gazelles ». Par choix des mots, l’amour relève de la grâce, la force, la retenue, la fusion. Les métaphores astrales, mystiques ont un rendu émotionnel.
Pour Senghor, la construction de l’homme et de la femme et la représentation du monde ont tout leur sens. De plus l’univers et l’homme africain ne font qu’un. Dès la naissance, puis jours après jours, il n’y a pas de limites entre le monde d’ici et au-delà. Donc pas de limites entre le rêve et la réalité. Les espaces ne sont pas cloisonnés.


III. Femmes et terres africaines

1. Le poème dépasse le lyrisme personnel

Comme dans « A une passante » de Baudelaire, la femme est la féminité. Toutes les femmes noires représentées n’ont pas d’articles définis, indéfinis et pas de possessifs. C’est donc une généralisation. Une construction simple de l’éloge faite à la femme. Pas de « Ô » car prière fervente, poésie incantatoire. La femme noire est l’Afrique : « nue ; belle ; obscure, mystérieuse ». Registre de langue saint, car être au plus près possible de la nature renforce l’éloge.


2. Paysage et rythmes magnifiés

La couleur jaune du soleil renforce la chaleur. Les savanes ont une végétation pauvre. La « gazelle » et l’« aigle » représentent la beauté terrestre et aérienne : la vie.
Cette poésie évoque des sonorités africaines :
- Tamtam « Tamtam sculpté, tamtam tendu » : allitération en [T] rappelant le son du tamtam
- Charme de la voix grave de contre-alto
- Rythme binaire

Les objets du quotidien et des cérémonies sont présents. Le tamtam est symbole de ralliement, de cohésion sociale entre vivants et entre esprits et vivants.




Conclusion

    Senghor a voulu immortaliser la femme noire dans l’éternel. La femme est l’avenir de l’homme. Ce poème est une ode intemporelle. C’est un renouveau dans le lyrisme. L’amour courtois dépasse les frontières. Ce poème est proche des Yeux d’Elsa de Aragon.



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Merci à Lucie pour cette analyse de Femme noire de Léopold Sédar Senghor