Plan de la fiche sur un extrait de
La Fortune des Rougon de Emile Zola :
Introduction
Pierre et ses compagnons se sont emparés de la mairie. C’est un
acte symbolique : prise de la mairie = coup d’état de Napoléon
Bonaparte.
Evénement raconté plusieurs fois :
- par narrateur omniscient
- par Granoux et Roudier
- par Rougon auprès de Félicité
Ici la situation est encore différente.
Rougon raconte la journée en dramatisant, ce qui lui permet de se poser en héros.
Comment la parole de Rougon va convaincre les bourgeois tout en suscitant le mépris du lecteur ?
Emile Zola
Texte étudié
La prise de la mairie de Plassans relatée par Rougon
Rougon arriva enfin à l'épisode qu'il préparait
depuis le commencement, et qui devait décidément le poser en héros.
«
Alors, dit-il, un insurgé se précipite sur moi. J'écarte
le fauteuil de M. le maire, je prends mon homme à la gorge. Et je le
serre, vous pensez ! Mais mon fusil me gênait. Je ne voulais pas le lâcher,
on ne lâche jamais son fusil. Je le tenais, comme cela, sous le bras gauche.
Brusquement, le coup pan… ».
Tout l'auditoire était pendu aux lèvres de
Rougon. Granoux, qui allongeait les lèvres, avec une démangeaison
féroce de parler, s'écria :
« Non, non, ce n'est pas cela… Vous n'avez pu voir, mon ami ; vous vous
battiez comme un lion… Mais moi qui aidais à garrotter un des prisonniers,
j'ai tout vu…
L'homme a voulu vous assassiner ; c'est lui qui a
fait partir le coup de fusil ; j'ai parfaitement aperçu ses doigts
noirs qu'il glissait sous votre bras…
–
Vous croyez ? » dit Rougon devenu blême.
Il ne savait pas qu'il eût couru un pareil danger, et le récit
de l'ancien marchand d'amandes le glaçait d'effroi… Granoux ne
mentait pas d'ordinaire ; seulement, un jour de bataille, il est bien permis
de voir les choses dramatiquement.
«
Quand je vous le dis, l'homme a voulu vous assassiner, répéta-t-il,
avec conviction.
–
C'est donc cela, dit Rougon, d'une voix éteinte, que j'ai entendu la
balle siffler à mon oreille. » Il y eut une violente émotion ;
l'auditoire parut frappé de respect devant ce héros. Il avait
entendu siffler une balle à son oreille ! Certes, aucun des bourgeois
qui étaient là n'aurait pu en dire autant. Félicité crut
devoir se jeter dans les bras de son mari, pour mettre l'attendrissement de
l'assemblée à son comble. Mais Rougon se dégagea tout d'un
coup et termina son récit par cette phrase héroïque qui est
restée célèbre à Plassans :
«
Le coup part, j'entends siffler la balle à mon oreille, et, paf la balle
va casser la glace de M. le maire. »
Emile Zola, LA FORTUNE DES ROUGON (1870)
Annonce des axes
I. Un récit dramatisé : le combat de Pierre et de l'insurgé
1. Le point d'orgue du récit des évènements de la matinée
2. Un récit haletant
II. Récit ironique : dénonciation d'une prise de pouvoir illégitime
1. La caricature : des personnages grotesques
2. Un héroïsme de façade : la tonalité héroï-comique
3. Critique d'un pouvoir fondé sur une parole mensongère
Commentaire littéraire
I. Un récit dramatisé : le combat de Pierre et de l’insurgé
1. Le point d’orgue du récit des évènements de la matinée
Le narrateur annonce l’importance stratégique du récit : « enfin » crée
un effet d’attente.
Anticipation du lecteur : prolepse => on sait ce qui va fonder la fortune
des Rougon.
Rougon omniprésent.
2. Un récit haletant
Phrases brèves.
Paratexte
Phrases verbales et indicatives : « j’écarte », « je
prend », « je
serre » => captiver l’auditoire.
Pierre Rougon domine la situation :
- connecteurs « alors », « mais », « brusquement »
- présent de vérité générale « on
ne lâche jamais son fusil »
- il s’adresse à l’auditoire « vous pensez » => susciter
l’intérêt
Discours de Granoux :
- registre épique « comme un lion »
- il exagère lui aussi « l’homme », « lui », « ses
doigts noirs ».
Transition : mais le lecteur n’est pas dupe / tonalité ridicule : Rougon a pris un homme à la gorge => bestial
II. Récit ironique : dénonciation d’une prise de pouvoir illégitime
1. La caricature : des personnages grotesques
Caricature de l’auditoire qui est dupe, donc ridiculisé : « tout
l’auditoire était pendu aux lèvres de Rougon ».
Caricature de Granoux qui veut une part de l’attention de l’auditoire
= pas de pouvoir
- répétition du mot « lèvres »
- « féroce » = bête sauvage => désir de
parler n’est pas rationnel mais instinctif, animal
- « moi qui aidait à garrotter un des prisonniers » => insiste
sur sa participation
- « j’ai tout vu », « j’ai parfaitement aperçu » => témoin
privilégié
Caricature de Pierre qui se pose en héros tout en ayant peur : « blême », « le
glaçait d’effroi », « d’une voix éteinte » => lâcheté.
2. Un héroïsme de façade : la tonalité héroï-comique
« un jour de bataille » = geste épique => fait peu glorieux.
Contraire de l’amplification héroïque = gaucherie :
- « comme des bâtons »
- « tiré on ne savait pourquoi » = déchargé sans
raison
- « on ne lâche jamais son fusil » => maxime militaire
Tension factice :
- « doigts noirs » => image inutile
- « Il avait entendu siffler une balle à son oreille » => ironie
Chute comique :
- admiration des habitants de Plassans = symbole de bêtise
- vocabulaire militaire => « paf » = phrase familière,
banale, ridicule
- « paf » => mise en valeur d’un événement
dérisoire (glace cassée).
3. Critique d’un pouvoir fondé sur une parole mensongère
Prise de pouvoir par la parole et non par les faits.
- « pendu aux lèvres de Rougon » => récit et non
l’épisode qui le pose en héros → pour les naïfs, héroïsme
de façade
- dernière phrase = symbole de la fortune fondée sur le mensonge
(le langage/récit).
Conclusion
Cet extrait de
La Fortune des Rougon un récit ironique. Rougon manipule son auditoire : déformation
de la vérité, prise de pouvoir par la parole…
Le ridicule de Rougon représente le ridicule de Louis-Napoléon
Bonaparte. Emile Zola dénonce indirectement le pouvoir illégitime de
Louis-Napoléon Bonaparte et la crédulité de ceux qu’il a trompé.