Gargantua

François Rabelais, 1534

Prologue





Plan de la fiche sur le prologue de Gargantua de Rabelais :
Introduction
Texte du prologue
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

Rabelais (1494? - 1553) était un humaniste. Il exerça plusieurs métiers: moine, médecin, juriste. Erasme (philosophe hollandais) est le père spirituel de Rabelais. Rabelais a vécu un temps en abbaye.

Gargantua est paru en 1534.
Rabelais écrivit Pantagruel en 1532 puis il décida de remonter dans la généalogie de ses personnages => Ecriture de Gargantua.

Nous allons étudier le prologue de Gargantua. Avant d'entamer le récit des aventures du géant Gragantua, l'auteur s'adresse au lecteur.

Rabelais
François Rabelais



Texte du prologue

Prologue de Gargantua


Buveurs très illustres, et vous vérolés très précieux, car c'est à vous, non aux autres, que je dédie mes écrits, Alcibiade, dans un dialogue de intitulé le Banquet, faisant l'éloge de son précepteur Socrate, sans conteste le prince des philosophes, déclare entre autres choses qu'il est semblable aux silènes. Les Silènes étaient jadis de petites boites, comme celles que nous voyons à présent dans les boutiques des apothicaires, sur lesquelles étaient peintes des figures drôles et frivoles : harpies, satyres, oisons bridés, lièvres cornus, canes batées, boucs volants, cerfs attelés, et autres figures contrefaites à plaisir pour inciter les gens à rire (comme le fut Silène, maître du Bacchus). Mais à l'intérieur on conservait les drogues fines, comme le baume, l'ambre gris, l'amome, la civette, les pierreries et autres choses de prix. Alcibiade disait que Socrate leur était semblable, parce qu'à le voir du dehors et à l'évaluer par l'aspect extérieur, vous n'en auriez pas donné une pelure l'oignon, tant il était laid de corps et d'un maintien ridicule, le nez pointu, le regard d'un taureau, le visage d'un fou, le comportement simple, les vêtements d'un paysan, de condition modeste, malheureux avec les femmes, inapte à toute fonction dans l'état ; et toujours riant, trinquant avec chacun, toujours se moquant, toujours cachant son divin savoir. Mais en ouvrant cette boite, vous y auriez trouvé une céleste et inappréciable drogue : une intelligence plus qu'humaine, une force d'âme merveilleuse, un courage invincible, une sobriété sans égale, une égalité d'âme sans faille, une assurance parfaite, un détachement incroyable à l'égard de tout ce pour quoi les humains veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent.

A quoi tend, à votre avis, ce prélude et coup d'essai ? C'est que vous, mes bons disciples, et quelques autres fous oisifs, en lisant les joyeux titres de quelques livres de votre invention, comme Gargantua, Pantagruel, Fesse pinte, La dignité des braguettes, des pois au lard avec commentaire, etc., vous pensez trop facilement qu'on n'y traite que de moqueries, folâtreries et joyeux mensonges, puisque l'enseigne extérieure est sans chercher plus loin, habituellement reçue comme moquerie et plaisanterie. Mais il ne faut pas considérer si légèrement les œuvres des hommes. Car vous-mêmes vous dites que l'habit ne fait pas le moine, et tel est vêtu d'un froc qui au-dedans n'est rien moins que moine, et tel est vêtu d'une cape espagnole qui, dans son courage, n'a rien à voir avec l'Espagne. C'est pourquoi il faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est traité. Alors vous reconnaîtrez que la drogue qui y est contenue est d'une tout autre valeur que ne le promettait la boite : c'est-à-dire que les matières ici traitées ne sont pas si folâtre que le titre le prétendait.

[Fin de l'extrait étudié]

Et en admettant que le sens littéral vous procure des matières assez joyeuses et correspondant bien au titre, il ne faut pourtant pas s'y arrêter, comme au chant des sirènes, mais interpréter à plus haut ses ce que hasard vous croyiez dit de gaieté de cœur.

Avez-vous jamais crocheté une bouteille ? Canaille ! Souvenez-vous de la contenance que vous aviez. Mais n'avez-vous jamais vu un chien rencontrant quelque os à moelle ? C'est, comme dit Platon au livre II de la République, la bête la plus philosophe du monde. Si vous l'avez vu, vous avez pu noter avec quelle dévotion il guette son os, avec quel soin il le garde, avec quelle ferveur il le tient, avec quelle prudence il entame, avec quelle passion il le brise, avec quel zèle il le suce. Qui le pousse à faire cela ? Quel est l'espoir de sa recherche ? Quel bien en attend-il ? Rien de plus qu'un peu de moelle. Il est vrai que ce peu est plus délicieux que le beaucoup d'autres produits, parce que la moelle et un aliment élaboré selon ce que la nature a de plus parfait, comme le dit Galien au livre 3 Des Facultés naturelles et IIe de L'Usage des parties du corps.

A son exemple, il vous faut être sages pour humer, sentir et estimer ces beaux livres de haute graisse, légers à la poursuite et hardis à l'attaque. Puis, par une lecture attentive et une méditation assidue, rompre l'os et sucer la substantifique moelle, c'est-à-dire - ce que je signifie par ces symboles pythagoriciens - avec l'espoir assuré de devenir avisés et vaillants à cette lecture. Car vous y trouverez une bien autre saveur et une doctrine plus profonde, qui vous révèlera de très hauts sacrements et mystères horrifiques, tant sur notre religion que sur l'état de la cité et la gestion des affaires.

François Rabelais



Annonce des axes

I. Un prologue comique
II. La démonstration de la valeur de son œuvre
III. Un prologue humaniste



Commentaire littéraire

I. Un prologue comique

- Apostrophe du début : identifie les lecteurs à des "buveurs" défigurés => cette apostrophe place d'emblée le prologue dans le registre comique => impression de moquerie, public tourné en ridicule : "vous pensez trop facilement". Le lecteur est ainsi piqué dans son orgueil.
- Champ lexical du comique : "drôles", "frivoles", "rire", "joyeux"...
- Passage apostrophe-Socrate-Silènes => emboîtement de comparaisons sans lien logique.
- Exagération : comparaison Socrate-pelure d'oignon. Mélange de registres : décalage entre Socrate et la pelure.
- Longues énumérations à visée comique :
* Enumération des chimères sur les Silènes, des défauts et des attitudes de Socrate, des conditions sociale : Rabelais semble oublier la phrase.
* Enumération des œuvres de Rabelais : "Gargantua, Pantagruel, Fesse pinte, La dignité des braguettes, des pois au lard". Les 2 premières œuvres sont effectivement celles de Rabelais, mais le reste des œuvres est inventé pour faire rire
* proverbe, fin du 2ème paragraphe : mélange la figure philosophique de Socrate et un proverbe populaire

=> Rabelais cherche à divertir son lecteur.

Sous cette apparence burlesque, Rabelais veut en réalité faire passer un message au lecteur pour lui indiquer que sous les apparences comiques il peut se cacher des intentions sérieuses.


II. La démonstration de la valeur de son œuvre

Sous des apparences comiques, le texte cache un message sérieux et est construit de façon rigoureuse :
* Plan : Construction rigoureuse
* Utilisation de connecteurs logique "C'est pourquoi"...
* Question rhétorique en début de deuxième paragraphe
- 1er paragraphe : dualité aspect des Silènes : laides à l'extérieur et sérieuses à l'intérieur. boîte : comparant d'un comparé : Socrate, lui-même comparant d'un comparé : le livre. Socrate : dualité (vertueux et laid)
- 2ème paragraphe : dualité de l'œuvre : derrière l'aspect burlesque, intentions sérieuses => livre comparé aux Silènes (comparaisons emboîtées). Ainsi, par l'exemple des Silènes, Rabelais rend plus compréhensible dsa vision de son œuvre.
- Opposition entre intérieur et extérieur mise en valeur par une énumération (aspect philosophique de Socrate opposé à l’aspect moral) et par des comparaisons
- Unité du passage :
* 1er paragraphe : passage descriptif (à visée argumentative) - 2ème paragraphe argumentatif (connecteurs logiques)
* Métaphore filée : la boîte qui unifie le prologue => insiste sur le fait que le contenu est différent du contenant
* Références antiques : Platon et Socrate. Livre comparé à Socrate (modèle de pensée et d'humanité) : vocabulaire hyperbolique => c'est un modèle et un idéal.
- L'œuvre de Rabelais est ainsi comparé au contenu des Silènes, contenu qu'il veut montrer précieux : "drogues fines, comme le baume, l'ambre gris, l'amome, la civette, les pierreries et autres choses de prix". Vocabulaire médical pour montrer que la lecture peut soigner l'ame.
- De même, Rabelais utilise un vocabulaire valorisant pour décrire "l'intérieur" de Socrate : "céleste", "inappréciable drogue", "intelligence", "force", "merveilleuse"...


III. Un prologue humaniste

- Références à l'Antiquité et à ses penseurs, avec éloge de ses penseurs.
- Rabelais encourage à faire la différence entre l'apparence et la vraie valeur des choses (Silènes d'aspect frivole, mais contenant des "drogues fines", Socrate qui peut paraitre laid, mais qui est finalement décrit avec un vocabulaire très élogieux...).
- Par comparaison avec son oeuvre, Rabelais fait l'éloge de la lecture.
- Rabelais demande un lecteur actif et qui saura voir au-delà des apparences la beauté et les enseignements contenus dans son œuvre.

Ainsi, Rabelais veut encourager son lecteur à penser, à voir au-delà des apparences.





Conclusion

    Le début du prologue de Gargantua de Rabelais tthéorise et met en pratique le projet du livre : enseigner par le rire. Mais il reste une ambiguïté : le double aspect, burlesque et sérieux. Ce double aspect montre la liberté et l’audace de l'écrivain. Ici, le dialogue est un moyen d'enseigner au lecteur.

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Merci à Sandra pour cette analyse du prologue de Gargantua de Rabelais