Germinal

Emile Zola

Deuxième partie chapitre 1 : L'univers bourgeois

De "La propriété des Grégoire..." à "...des râteliers et des armoires."





Plan de la fiche sur le chapitre 1 de la deuxième partie de Germinal de Zola :
Introduction
Lecture du texte
Analyse linéaire
Conclusion


Introduction

    La première partie de cet extrait de Germinal, de Zola, nous présente la description du monde des mineurs, leur apparence physique, leur langage, leur habitat et mode de vie. Cette description nous montre donc des hommes démunis et soumis à des conditions de vie très difficiles et surtout héréditaires.
    La deuxième partie s'ouvre sur la description de la Piolaine qui est la propriété des Grégoire, d'heureux rentiers actionnaires de la mine de Montsou. C'est l'occasion pour Zola d'évoquer le confort, le luxe et donc la sérénité d'une famille et de ses domestiques en totale opposition avec le monde ouvrier des mineurs.
    A travers une lecture linéaire de ce passage, nous allons montrer le contraste entre deux mondes et comment derrière une évocation réaliste, apparaît la portée symbolique du passage.

Germinal - Zola



Lecture du texte

    La propriété des Grégoire, la Piolaine, se trouvait à deux kilomètres de Montsou, vers l'est, sur la route de Joiselle. C'était une grande maison carrée, sans style, bâtie au commencement du siècle dernier. Des vastes terres qui en dépendaient d'abord, il ne restait qu'une trentaine d'hectares, clos de murs, d'un facile entretien. On citait surtout le verger et le potager, célèbres par leurs fruits et leurs légumes, les plus beaux du pays. D'ailleurs, le parc manquait, un petit bois en tenait lieu. L'avenue de vieux tilleuls, une voûte de feuillage de trois cents mètres, plantée de la grille au perron, était une des curiosités de cette plaine rase, où l'on comptait les grands arbres, de Marchiennes à Beaugnies.
    Ce matin-là, les Grégoire s'étaient levés à huit heures. D'habitude, ils ne bougeaient guère qu'une heure plus tard, dormant beaucoup, avec passion ; mais la tempête de la nuit les avait énervés. Et, pendant que son mari était allé voir tout de suite si le vent n'avait pas fait de dégâts, Mme Grégoire venait de descendre à la cuisine, en pantoufles et en peignoir de flanelle. Courte, grasse, âgée déjà de cinquante-huit ans, elle gardait une grosse figure poupine et étonnée, sous la blancheur éclatante de ses cheveux.
  - Mélanie, dit-elle à la cuisinière, si vous faisiez la brioche ce matin, puisque la pâte est prête. Mademoiselle ne se lèvera pas avant une demi-heure, et elle en mangerait avec son chocolat... Hein ! ce serait une surprise.
    La cuisinière, vieille femme maigre qui les servait depuis trente ans, se mit à rire.
  - Ca, c'est vrai, la surprise serait fameuse... Mon fourneau est allumé, le four doit être chaud ; et puis, Honorine va m'aider un peu.
    Honorine, une fille d'une vingtaine d'années, recueillie enfant et élevée à la maison, servait maintenant de femme de chambre. Pour tout personnel, outre ces deux femmes, il n'y avait que le cocher, Francis, chargé des gros ouvrages. Un jardinier et une jardinière s'occupaient des légumes, des fruits, des fleurs et de la basse-cour. Et, comme le service était patriarcal, d'une douceur familière, ce petit monde vivait en bonne amitié.
    Mme Grégoire, qui avait médité dans son lit la surprise de la brioche, resta pour voir mettre la pâte au four. La cuisine était immense, et on la devinait la pièce importante, à sa propreté extrême, à l'arsenal des casseroles, des ustensiles, des pots qui l'emplissaient. Cela sentait bon la bonne nourriture. Des provisions débordaient des râteliers et des armoires.

    Germinal - Zola - Extrait de la deuxième partie, chapitre 1




Analyse linéaire

I. Premier paragraphe

    La propriété des Grégoire, la Piolaine, se trouvait à deux kilomètres de Montsou, vers l'est, sur la route de Joiselle. C'était une grande maison carrée, sans style, bâtie au commencement du siècle dernier. Des vastes terres qui en dépendaient d'abord, il ne restait qu'une trentaine d'hectares, clos de murs, d'un facile entretien. On citait surtout le verger et le potager, célèbres par leurs fruits et leurs légumes, les plus beaux du pays. D'ailleurs, le parc manquait, un petit bois en tenait lieu. L'avenue de vieux tilleuls, une voûte de feuillage de trois cents mètres, plantée de la grille au perron, était une des curiosités de cette plaine rase, où l'on comptait les grands arbres, de Marchiennes à Beaugnies.

   Ce premier paragraphe commence la description de la Piolaine et la situe précisément grâce à plusieurs indices géographiques très précis : "La Piolaine", "à deux kilomètres de Montsou", "sur la route de Joiselle".
   Des informations paradoxales nous sont fournies à son sujet puisqu'elle est tout d'abord présentée comme grande et importante ("propriété", "grande maison", "vastes terres" puis grâce aux superlatifs : "fruits et légumes les plus beaux du pays") ; puis elle est plutôt dévalorisée : "sans style", "il ne restait que trente hectares" (tournure restrictive), "le parc manquait", "un petit bois…".
   De plus, cette propriété nous est ensuite apparue comme isolée : "clos de murs". Elle est donc coupée du monde et ancrée dans le passé ("vieux tilleuls").
   Ce premier paragraphe de description possède toutes les caractéristiques de cette dernière, et notamment énormément de compléments du nom : "avenue de vieux tilleuls", "une voûte de feuillage de trois cents mètres".
   Cette description vue d'un point de vue externe nous fait passer d'un point de vue panoramique à l'entrée de la maison puisque notre regard s'attarde sur la grille.


II. Second paragraphe

    Ce matin-là, les Grégoire s'étaient levés à huit heures. D'habitude, ils ne bougeaient guère qu'une heure plus tard, dormant beaucoup, avec passion ; mais la tempête de la nuit les avait énervés. Et, pendant que son mari était allé voir tout de suite si le vent n'avait pas fait de dégâts, Mme Grégoire venait de descendre à la cuisine, en pantoufles et en peignoir de flanelle. Courte, grasse, âgée déjà de cinquante-huit ans, elle gardait une grosse figure poupine et étonnée, sous la blancheur éclatante de ses cheveux.

   Ce deuxième paragraphe poursuit la description en nous présentant les Grégoire. Il marque un contraste avec la première partie : on voit tout de suite l'opposition entre le lever des Maheu et celui des Grégoire. Cécile et Catherine sont en ceci deux personnages en totale opposition puisque Catherine est la première à se lever alors que chez les Grégoire Cécile n'hésite pas à faire la grasse matinée.
   Zola nous dresse donc un portrait par les actes de cette famille : "ce matin là les Grégoire… huit heures". Cette phrase nous montre que ces gens se lèvent d'habitude encore plus tard, pour eux le sommeil est une passion : "dormir avec passion". Un procédé d'ironie est présent dans ces phrases : l'auteur met en parallèle le terme de "tempête", qui traduit une grande violence, avec celui de "énervés" qui lui marque une très faible agitation.
   Le contraste avec les mineurs se poursuit avec la description des habits pour dormir que porte ces gens : "pantoufles", "flanelle", … Tous ces termes renforcent la notion de confort qui est donc présente même dans le sommeil.
   Ce portrait de la famille nous fait donc voir leur grande oisiveté se traduisant tant dans les horaires que par leurs manières de vivre : tout les oppose aux Maheu.
   Dans le portrait de Mme Grégoire, les indications se réfèrent tout d'abord à son caractère puis à son physique : "figure poupine et grosse". Elle est donc petite et grosse ce qui renforce le fait de l'importance de la nourriture pour elle et aidera également à développer la métaphore du problème socio-politique : les bourgeois mangent les mineurs. Dans sa description, Zola parque également l'innocence du personnage : "étonnée, poupine, blanche". A travers ces termes se devinent la volonté d'innocenté le personnage ; il y a un manque total de prise de conscience du problème social.


III. Troisième paragraphe

    - Mélanie, dit-elle à la cuisinière, si vous faisiez la brioche ce matin, puisque la pâte est prête. Mademoiselle ne se lèvera pas avant une demi-heure, et elle en mangerait avec son chocolat... Hein ! ce serait une surprise.

   Ce paragraphe est cette fois basée sur un dialogue entre Mme Grégoire et la cuisinière. Il y a donc une focalisation : "Mélanie,... si vous faisiez…" (formule hypothétique ). Cette phrase marque donc une suggestion de la part de Mme Grégoire et non un ordre. Cette politesse nous montre le respect entre les maîtres et les domestiques ; il n'y a aucune agressivité.
   Le thème de la nourriture est une fois de plus retrouvé puisque la cuisinière va faire une brioche pour Cécile. Cette brioche renforce une fois de plus le contraste entre les Grégoire et les Maheu : la brioche s'oppose au pain avec une noix de beurre du déjeuner des mineurs.
   La petite fille nous est présentée comme très gâtée de la tendresse de ses parents et en particulier de sa mère : "…" ce silence reflète la pensée de Mme Grégoire en pensant au bonheur qu'aura Cécile en voyant la brioche ; "Hein!". Mme Grégoire demande l 'approbation de sa cuisinière ; il existe une véritable complicité entre ces deux personnages pris d'affection pour la petite.


IV. Quatrième et cinquième paragraphe

    La cuisinière, vieille femme maigre qui les servait depuis trente ans, se mit à rire.
    - Ca, c'est vrai, la surprise serait fameuse... Mon fourneau est allumé, le four doit être chaud ; et puis, Honorine va m'aider un peu.
    Honorine, une fille d'une vingtaine d'années, recueillie enfant et élevée à la maison, servait maintenant de femme de chambre. Pour tout personnel, outre ces deux femmes, il n'y avait que le cocher, Francis, chargé des gros ouvrages. Un jardinier et une jardinière s'occupaient des légumes, des fruits, des fleurs et de la basse-cour. Et, comme le service était patriarcal, d'une douceur familière, ce petit monde vivait en bonne amitié.

   Ces deux paragraphes évoquent les relations des maîtres avec les autres domestiques de la maison.
   Ainsi la servante est présentée comme fidèle puisqu' elle est à leur service depuis trente ans. De plus elle est très complice avec sa maîtresse et est prise d'un même amour que Mme Grégoire pour Cécile : "Ca c'est vrai, la surprise serait fameuse…". Ces points de suspension prolongent comme pour Mme Grégoire la rêverie sur le bonheur de la jeune fille.
   Zola reprend ensuite le récit, le point de vue externe fait de nouveau son apparition.
   "Pour tout personnel, il n'y avait que…", cette phrase à tournure restrictive marque peut-être une ironie de la part de l'auteur puisque les Grégoire possèdent tout de même sept personnes à leur service. Ces domestiques sont avant tout fidèles et vivent en harmonie avec leur maîtres : "petit monde", "douceur familière", "bonne amitié". C'est un "service patriarcal", familial.


V. Sixième paragraphe

    Mme Grégoire, qui avait médité dans son lit la surprise de la brioche, resta pour voir mettre la pâte au four. La cuisine était immense, et on la devinait la pièce importante, à sa propreté extrême, à l'arsenal des casseroles, des ustensiles, des pots qui l'emplissaient. Cela sentait bon la bonne nourriture. Des provisions débordaient des râteliers et des armoires.

   Apres cette parenthèse sur l'histoire de la domesticité, Zola revient à sa description des lieux avec la cuisine.
   Cette pièce est immense, "d'une propreté extrême", très importante et possède un "arsenal" d'ustensiles. Ce terme à connotation militaire, la préparation des repas est donc une bataille : Zola énumère une grande quantité d'ustensiles, "déborder" : ces biens abondent ; "emplissaient". Il souligne l'importance du sens de l'odorat : "sentait bon", "elle resta pour voir mettre la pâte au four".





Conclusion

      Zola disait que "pour obtenir un gros effet il faut que les oppositions soient nettes et poussées au summum de l'intensité possible". Dans ce passage qui débute la seconde partie, le contraste est flagrant entre la misère, la solitude, le froid et le chômage et l'opulence, l'amour, le confort, l'oisiveté. A travers le roman se succède des séquences antinomiques : lever des Maheu opposé à celui des Grégoire ; déjeuner des Maheu et celui des Grégoire… Ce récit autonome s'inscrit dans une organisation thématique : la nourriture comme thème expose en même temps l'évolution entre deux forces antagonistes.

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Merci à Guillaume pour cette analyse sur le chapitre 1 de la deuxième partie de Germinal de Zola