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Scène X de L'Ile des Esclaves de Marivaux :
    La scène X de 
L'île aux esclaves de 
Marivaux est la deuxième scène du  dénouement et c’est le véritable dénouement de la pièce. Cette scène constitue  le deuxième aveu d’Euphrosine (le premier étant dans la scène IV avec  Trivelin). Euphrosine, comme Iphicrate, avoue à son tour avec + de sincérité  les abus qu’elle a fait endurer à Cléanthis grâce à sa supériorité sociale.
    La scène X est la suite logique de la scène IX où Arlequin  et Iphicrate se réconcilient moralement et reprennent leur statut  initial : « Pourquoi avez vous repris votre habit ».
    Cléanthis est étonnée de constater cette  réconciliation générale : « Mais enfin notre projet ? ».  Elle se lance alors, dans un réquisitoire constitué par sa longue tirade (« Ah ! vraiment, nous y voilà...  »), et elle  pardonne également les actes d’Euphrosine.
  

Marivaux
  
  
Texte étudié
Scène X de L'Ile des Esclaves de Marivaux
Cléanthis,    Euphrosine, Iphicrate, Arlequin.
CLEANTHIS, en entrant avec Euphrosine qui pleure. Laissez-moi, je n'ai que    faire de vous entendre gémir. (Et plus près d'Arlequin.) Qu'est-ce que cela signifie, seigneur Iphicrate ? Pourquoi avez-vous repris votre habit ?
  ARLEQUIN, tendrement : C'est qu'il est trop petit pour mon cher ami, et que le    sien est trop grand pour moi.
  Il embrasse les genoux de son maître.
  CLEANTHIS : Expliquez-moi donc ce que je vois ; il semble que vous lui demandiez pardon ?
  ARLEQUIN : C'est pour me châtier de mes insolences.
  CLEANTHIS : Mais enfin notre projet ?
  ARLEQUIN : Mais enfin, je veux être un homme de bien ; n'est-ce pas là un beau projet ? je me repens de mes sottises, lui des siennes ; repentez-vous des vôtres, Madame    Euphrosine se repentira aussi ; et vive l'honneur après ! cela fera quatre beaux repentirs, qui nous feront pleurer tant que nous voudrons.
  EUPHROSINE : Ah ! ma chère Cléanthis, quel exemple pour vous !
  IPHICRATE : Dites plutôt : quel exemple pour nous ! Madame, vous m'en voyez pénétré.
  CLEANTHIS : Ah ! vraiment, nous y voilà avec vos beaux    exemples. Voilà de nos gens qui nous méprisent dans le monde, qui font les fiers, qui    nous maltraitent, et qui nous regardent comme des vers de terre ; et puis, qui sont trop    heureux dans l'occasion de nous trouver cent fois plus honnêtes gens qu'eux. Fi ! que    cela est vilain, de n'avoir eu pour mérite que de l'or, de l'argent et des dignités !    C'était bien la peine de faire tant les glorieux ! Où en seriez-vous aujourd'hui, si    nous n'avions point d'autre mérite que cela pour vous ? Voyons, ne seriez-vous pas bien    attrapés ? Il s'agit de vous pardonner, et pour avoir cette bonté-là, que faut-il    être, s'il vous plaît ? Riche ? non ; noble ? non ; grand seigneur? point du tout. Vous    étiez tout cela ; en valiez-vous mieux ? Et que faut-il donc ? Ah ! nous y voici. Il faut    avoir lecœur bon, de la vertu et de la raison ;    voilà ce qu'il nous faut, voilà ce qui est estimable, ce qui distingue, ce qui fait    qu'un homme est plus qu'un autre. Entendez-vous, Messieurs les honnêtes gens du monde ? Voilà    avec quoi l'on donne les beaux exemples que vous demandez et qui vouspassent. Et à qui les demandez-vous ? A de    pauvres gens que vous avez toujours offensés, maltraités, accablés, tout riches que    vous êtes, et qui ont aujourd'hui pitié de vous, tout pauvres qu'ils sont. Estimez-vous    à cette heure, faites les superbes, vous aurez bonne grâce ! Allez ! vous devriez rougir    de honte.
  ARLEQUIN : Allons, m'amie, soyons bonnes gens sans le reprocher,    faisons du bien sans dire d'injures. Ils sont contrits d'avoir été méchants, cela fait    qu'ils nous valent bien ; car quand on se repent, on est bon ; et quand on est bon, on est    aussi avancé que nous. Approchez, Madame Euphrosine ; elle vous pardonne ; voici qu'elle    pleure ; la rancune s'en va, et votre affaire est faite.
  CLEANTHIS : Il est vrai que je pleure : ce n'est pas le bon cœur qui me manque.
  EUPHROSINE, tristement : Ma chère Cléanthis, j'ai abusé de l'autorité que    j'avais sur toi, je l'avoue.
  CLEANTHIS : Hélas ! comment en aviez-vous le courage ? Mais voilà qui est fait, je veux    bien oublier tout ; faites comme vous voudrez. Si vous m'avez fait souffrir, tant pis pour    vous ; je ne veux pas avoir à me reprocher la même chose, je vous rends la liberté ; et    s'il y avait un vaisseau, je partirais tout à l'heure avec vous : voilà tout le mal que    je vous veux ; si vous m'en faites encore, ce ne sera pas ma faute.
  ARLEQUIN, pleurant : Ah ! la brave fille ! ah ! le charitable naturel !
  IPHICRATE : Êtes-vous contente, Madame ?
  EUPHROSINE, avec attendrissement : Viens que je t'embrasse, ma chère Cléanthis.
  ARLEQUIN, à Cléanthis : Mettez-vous à genoux pour être encore meilleure    qu'elle.
  EUPHROSINE : La reconnaissance me laisse à peine la force de te répondre. Ne parle plus    de ton esclavage, et ne songe plus désormais qu'à partager avec moi tous les biens que    les dieux m'ont donnés, si nous retournons à Athènes.
  
Marivaux - L'île des esclaves
Comment est distribuée la parole ?
  La scène compte 18 répliques : 6 sont attribués à  Cléanthis, 4 à Euphrosine, 6 à Arlequin et enfin 2 à Iphicrate. La parole des  valets domine. C'est Arlequin qui mène la scène, il persuade Cléanthis de  pardonner à sa maîtresse et tire une leçon de morale : Se repentir est  être bon, comme l’explique la troisième réplique d’Arlequin « je me  repens, …repentez-vous, …se repentira aussi ; et vive l’honneur  après ».
  Iphicrate corrige la première réplique d’Euphrosine (« Dites plutôt ») et lui propose de suivre  l’exemple d’Arlequin.
  Le projecteur est braqué sur les femmes. La  réconciliation générale n’aura lieu qu’après celle d’Euphrosine et Iphicrate.
Etude des didascalies
Les didascalies donnent des indications sur la mise en  scène. Cette mise en scène accentue la bonne volonté d’Arlequin « 
Il embrasse les genoux de son maître » et incite ainsi Cléanthis  à avoir le même comportement à l’égard de sa maîtresse.
  Les didascalies sont peu nombreuses et donnent des informations sur les  sentiments qu’éprouvent les personnages : « 
tendrement »,  « 
tristement », « 
pleurant »,  «avec attendrissement ». Elles font référence au champ lexical de la  tristesse.
  Elles insistent sur l’émotion que provoque ce dénouement sur les  personnages.
XVIIème siècle : siècle classique, règles très rigides en littérature  et aux mouvements artistiques.
  XVIIIème siècle : la comédie larmoyante est la base du romantisme  (romans sentimentaux) -> siècle des lumières, de la raison, de la logique.
  Auteurs dramatiques : Marivaux, Beaumarchais -> changer les mœurs  par le rire.
  Or ici, le public est ému -> comédie sentimentale ou larmoyante :  mélange de genres (comédie + tragédie) : annonce du romantisme, Marivaux  se donne le droit à l’émotion.
Tirade de Cléanthis
Cette tirade est la plus longue de la scène (très  construite), Cléanthis dominant la langue (style soutenu) porte ici le message  de Marivaux sur les « honnêtes gens du monde » dont la bonté (le  « bon cœur ») s’oppose à l’hypocrisie des privilégiés et l’orgueil  des aristocrates avec un ton colérique (exclamations, langage commun),  accusateur.
  Marivaux dénonce l’abus des maîtres en un réquisitoire  contre la société bourgeoise et ses mœurs. Ce réquisitoire est destiné à une  classe sociale déterminée « les honnêtes gens du monde » qui vise le  public.
  Cette longue tirade laisse douter les spectateurs sur  le choix que va prendre Cléanthis (Va-t-elle pardonner à sa maîtresse ?).  On ressent une certaine ambiance de suspens.
  Une opposition se distingue entre les maîtres et les  valets « de pauvres gens (domestiques) que vous avez toujours offensés …  tout riches que vous êtes » -> parallélisme de construction.
  De nombreux procédés littéraires sont utilisés pour appuyer son  argumentation : l’
hyperbole  « cent fois plus honnêtes qu’eux », comparaison « regardant  comme de vers de terre », l’accumulation « de l’or, de l’argent, des  dignités » (-> rythme ternaire), répétition du terme  « voilà » à la reprise qui insiste sur la dénonciation du caractère  des privilégiés. Questions rhétoriques (accompagnées des réponses afin de faire  avancer le récit) (« Où en  seriez-vous aujourd'hui, si nous n'avions point d'autre mérite que cela pour  vous ?...  », « que faut-il être s’il  vous plait ? ». Il y a un jeu de miroir qui reflète l’opposition  sociale maîtres/valets + une gradation rythmique « qui…qui…et qui » quaternaire.
  Pour conclure, on peut dire que cette tirade ressemble à une sentence telle  que la donnerait
  un juge lors d’un procès : Cléanthis dresse ici un véritable  réquisitoire contre les injustices sociales en montrant sa supériorité dans la  maîtrise de la langue. Il est adressé aux maîtres mais aussi au public noble  auquel elle s’adresse directement : « entendez-vous, …les honnêtes  gens du monde » -> double énonciation théâtrale. Cléanthis leur  reproche d’exercer un pouvoir arbitraire, fondé sur les privilèges (or, argent)  au lieu de la bonté et de la vertu : annonce de la révolution. Or Marivaux  fait pleurer Cléanthis. Sa révolte va échouer ; la pièce n'est pas  vraiment révolutionnaire, la vérité et dans le sentiment.
Etude de la fin de la scène
La scène s’achève finalement sur un pardon réciproque,  plein de sentiments (tradition du drame larmoyant). Cléanthis accepte  finalement de retrouver son statut initial.  Elle s’y résigne sous l’influence de ses trois  interlocuteurs (surtout Arlequin).
  Sous la pression de cette épreuve, l’inégalité sociale  entre Euphrosine et Cléanthis ne se rétablit pas tout à fait (Euphrosine  propose quand même à Cléanthis de lui rendre sa liberté) voir réplique finale  d’Euphrosine.
  Ici on distingue le caractère misogyne de  Marivaux : les femmes accèdent plus lentement la raison, le pardon semble  plus difficile à admettre pour celle-ci.
  La scène s'achève sur un ton dramatique. Les  sentiments qui animent les personnages montrent la vérité de leurs pensées  (morale chrétienne basée sur le sentiment).