Plan de la fiche sur la
Scène III de L'Ile des Esclaves de Marivaux :
Introduction
Personnages échoués - inversion des rôles.
Après le transfert des rôles, difficilement accepté par les maîtres, on a l'épreuve des portraits. Arlequin dresse le portrait d'Iphicrate dans la scène V et Cléanthis fait celui d'Euphrosine dans la scène III.
Dans cette scène de
L'île des esclaves, elle dresse le portrait de sa maîtresse enjouée et glorieuse au réveil.
La tirade étudiée correspond au second volet d'un diptyque : le réveil de la maîtresse après une mauvaise nuit.
Dans une première partie, nous étudierons l'aspect polyphonique de cette tirade, puis le théâtre dans le théâtre et enfin la fonction satirique du passage.
Texte étudié
Scène III de L'Ile des Esclaves de Marivaux
[...]
CLEANTHIS : Madame se lève ; a-t-elle bien dormi, le sommeil l'a-t-il rendue belle, se sent-elle du vif, du sémillant dans les yeux ? vite, sur les armes ; la journée sera
glorieuse. "Qu'on m'habille !" Madame verra du monde aujourd'hui ; elle ira aux spectacles, aux promenades, aux assemblées ; son visage peut se manifester, peut soutenir
le grand jour, il fera plaisir à voir, il n'y a qu'à le promener hardiment, il est en état, il n'y a rien à craindre.
TRIVELIN, à Euphrosine : Elle développe assez bien cela.
CLEANTHIS : Madame, au contraire, a-t-elle mal reposé ? "Ah ! qu'on m'apporte un miroir ; comme me voilà faite ! que je suis mal bâtie !" Cependant on se mire, on éprouve son visage de toutes les façons, rien ne réussit ; des yeux battus, un teint fatigué ; voilà qui est fini, il faut envelopper ce visage-là, nous n'aurons que du négligé, Madame ne verra personne aujourd'hui, pas même le jour, si elle peut ; du moins fera-t-il sombre dans la chambre. Cependant, il vient compagnie, on entre : que va-t-on penser du visage de Madame ? on croira qu'elle enlaidit : donnera-t-elle ce plaisir-là à ses bonnes amies ? Non, il y a remède à tout : vous allez voir.
"Comment vous portez-vous, Madame ? - Très mal, Madame ; j'ai perdu le sommeil ; il y a huit jours que je n'ai fermé l'il ; je n'ose pas me montrer, je fais peur." Et cela veut dire : "Messieurs, figurez-vous que ce n'est point moi au moins ; ne me regardez pas, remettez à me voir ; ne me jugez pas aujourd'hui ; attendez que j'aie dormi. J'entendais tout cela, car nous autres esclaves, nous sommes doués contre nos maîtres d'une pénétration !... Oh ! ce sont de pauvres gens pour nous.
[...]
L'île des esclaves, Marivaux
Annonce des axes
I. Une tirade polyphonique
II. Le théâtre dans le théâtre
III. Fonction satirique du passage
Commentaire littéraire
I. Une tirade polyphonique
- Mélange du discours et du récit.
Cléanthis reprend les paroles d'Euphrosine au style direct, au présent de l'indicatif et à la première personne du singulier.
"Cependant" marque l'intervention de Cléanthis.
Les passages narratifs, dans lesquels Cléanthis résume les principales circonstances, sont brefs. Elle utilise le pronom indéfini "on" pour présenter Euphrosine.
On peut supposer que, d'après l'intonation de Cléanthis, elle caricature sa maîtresse.
Donc : regard dévalorisant, mépris.
Distance entre elle et la maîtresse.
- Imitation d'un dialogue mondain dans la deuxième réplique de Cléanthis.
II. Le théâtre dans le théâtre
Cléanthis est sur le devant de la scène, elle renforce le théâtre dans le théâtre. De plus, elle souligne le caractère théâtral par le thème du paraître.
Cet aspect convient à la petite comédie.
Cléanthis fait revivre la vie mondaine d'un salon parisien du XVIIIème siècle.
Vocabulaire de la coquetterie - formule de politesse.
Tonalité comique : beaucoup de fantaisie, elle crée des personnages de façon ironique et des situations pleines de petites anecdotes.
Le rire va naître de l'exagération des angoisses de la maîtresse (hyperboles : "il y a huit jours que je n'ai fermé l'œil"...) : énoncé de plus en plus bref.
L'absence de didascalies : on imagine les gestes et les attitudes de Cléanthis par la variété de son intonation.
Rapidité avec laquelle elle mène le récit : vivacité renforcée par la parataxe ou style coupé.
Double destination du théâtre : l'acteur s'adresse non seulement aux personnages sur la scène, mais aussi aux spectateurs.
On a donc une vrai mise en abyme : miroir de la pièce à l'intérieur d'un passage précis.
III. Fonction satirique du passage
La tirade a une portée morale. Cléanthis se désigne comme celle qui est témoin de ce qui se passe.
Satire de la beauté artificielle, coquetterie : poses affectées, préciosité. Euphrosine est montrée comme une prisonnière, une obsédée de la coquetterie.
Critique de la société mondaine hypocrite qui cherche les défauts d'Euphrosine.
Cléanthis peut témoigner de l'envers du décor. C'est ce qui fait sa force.
Donc l'aspect artificiel condamne Marivaux.
Expressions précieuses, formules de politesse.
Aspect satirique rappelé à la fin du texte.
Donc Cléanthis rabaisse socialement les maîtres.
La satire dans cette tirade ne se fait pas par une argumentation, mais par des situations diverses. Ce portrait a donc une grande force satirique.
Conclusion
Euphrosine, esclave de la coquetterie, est prisonnière de l'image qu'elle veut donner aux autres. A travers cette tirade, Cléanthis accède à la liberté par la parole et par la satire. Le portrait joue le rôle d'épreuve pour les maîtres. Il a donc une valeur expérimentale. Dans cette scène, Cléanthis convertit "le plaisir d'avoir vu et entendu, en plaisir de faire voir et entendre".