Plan de la fiche sur la scène 5 de l'Acte 3 de
L’illusion comique de Corneille :
Introduction
Cette scène 5 de l'acte III de L'Illusion comique, de Pierre Corneille (1606 - 1684), révèle la duplicité et l'inconstance
de Clindor qui font de lui un personnage en perpétuel mouvement, thème
qui est propre au mouvement Baroque. Il s’agit plus précisément
d’une scène de séduction.
Corneille
Lecture de la scène 5 de l'acte 3
ACTE III, SCENE 5
CLINDOR.
Le souverain poltron, à qui pour faire peur
Il ne faut qu'une feuille, une ombre, une vapeur !
Un vieillard le maltraite, il fuit pour une fille,
Et tremble à tous moments de crainte qu'on l'étrille.
Lyse, que ton abord doit être dangereux !
Il donne l'épouvante à ce coeur généreux,
Cet unique vaillant, la fleur des capitaines,
Qui dompte autant de rois qu'il captive de reines !
LYSE.
Mon visage est ainsi malheureux en attraits :
D'autres charment de loin, le mien fait peur de près.
CLINDOR.
S'il fait peur à des fous, il charme les plus sages :
Il n'est pas quantité de semblables visages.
Si l'on brûle pour toi, ce n'est pas sans sujet ;
Je ne connus jamais un si gentil objet ;
L'esprit beau, prompt, accort, l'humeur un peu railleuse,
L'embonpoint ravissant, la taille avantageuse,
Les yeux doux, le teint vif, et les traits délicats :
Qui serait le brutal qui ne t'aimerait pas ?
LYSE.
De grâce, et depuis quand me trouvez-vous si belle ?
Voyez bien, je suis Lyse, et non pas Isabelle.
CLINDOR.
Vous partagez vous deux mes inclinations :
J'adore sa fortune, et tes perfections.
LYSE.
Vous en embrassez trop, c'est assez pour vous d'une,
Et mes perfections cèdent à sa fortune.
CLINDOR.
Quelque effort que je fasse à lui donner ma foi,
Penses-tu qu'en effet je l'aime plus que toi ?
L'amour et l'hyménée ont diverse méthode :
L'un court au plus aimable, et l'autre au plus commode.
Je suis dans la misère, et tu n'as point de bien :
Un rien s'ajuste mal avec un autre rien ;
Et malgré les douceurs que l'amour y déploie,
Deux malheureux ensemble ont toujours courte joie.
Ainsi j'aspire ailleurs, pour vaincre mon malheur ;
Mais je ne puis te voir sans un peu de douleur,
Sans qu'un soupir échappe à ce coeur, qui murmure
De ce qu'à mes désirs ma raison fait d'injure.
A tes moindres coups d'oeil je me laisse charmer.
Ah ! que je t'aimerais, s'il ne fallait qu'aimer,
Et que tu me plairais, s'il ne fallait que plaire !
LYSE.
Que vous auriez d'esprit si vous saviez vous taire,
Ou remettre du moins en quelque autre saison
A montrer tant d'amour avec tant de raison !
Le grand trésor pour moi qu'un amoureux si sage,
Qui par compassion n'ose me rendre hommage,
Et porte ses désirs à des partis meilleurs,
De peur de m'accabler sous nos communs malheurs !
Je n'oublierai jamais de si rares mérites :
Allez continuer cependant vos visites.
CLINDOR.
Que j'aurais avec toi l'esprit bien plus content !
LYSE.
Ma maîtresse là-haut est seule, et vous attend.
CLINDOR.
Tu me chasses ainsi !
LYSE.
Non, mais je vous envoie
Aux lieux où vous aurez une plus longue joie.
CLINDOR.
Que même tes dédains me semblent gracieux !
LYSE.
Ah ! Que vous prodiguez un temps si précieux !
Allez.
CLINDOR.
Souviens-toi donc que si j'en aime une autre...
LYSE.
C'est de peur d'ajouter ma misère à la vôtre :
Je vous l'ai déjà dit, je ne l'oublierai pas.
CLINDOR.
Adieu : ta raillerie a pour moi tant d'appas,
Que mon coeur à tes yeux de plus en plus s'engage,
Et je t'aimerais trop à tarder davantage.
L’illusion Comique - Corneille
Annonce des axes
I. Tentative de séduction
1. Un portrait flatteur
2. L’amertume de Lyse
II. L’apologie de l’inconstance
1. Une vision pragmatique de l’amour
2. Le changement de l’amour
Commentaire littéraire
I. Tentative de séduction
1. Un portrait flatteur
- Clindor fait un éloge de la beauté de Lyse, reprend les paroles
de Lyse en
chiasme, allusion, oppositions par les sonorités [f], [a].
Polysémie du mot « dangereux ».
- Eloge conventionnel : son visage est unique, préciosité, propre
aux séducteurs, accumulation d’expressions laudatives.
- Distinction entre « les fous » (= Matamore) et les « plus
sages » (= Clindor). Vers importants, créent une parole enjôleuse.
- Gradation, on passe de « les plus sages », « on », « je » qui
est une déclaration rapide : séducteur. Portrait moral : gradation
inverse, de beau à railleuse. Langage précieux : litote.
- Commence par l’abstrait (l’intelligence, le caractère
et le moral) : rythme ternaire, insistance. Puis dévie sur le physique
(2 vers) énumération, la silhouette, le visage, adjectifs positifs
mais imprécis. Enonce les éléments de sa beauté,
caractère, physique, son visage. Les qualités physiques sont
imprécises (ravissant, doux).
- Clindor conclut cet éloge flatteur par une question rhétorique
amoureuse au conditionnel, il faut être une brute pour ne pas aimer Lyse.
2. L’amertume de Lyse
- Lyse a des répliques plus courtes que Clindor, elle est moins à l’aise
en parole. Elle est jalouse d’Isabelle, elle fait l’innocente envers
Clindor.
- Jeu sur l’identité qui montre sa jalousie, avec métonymie
(visage > une personne entière), allusion à Clindor qui a
charmé Isabelle. Polysémie du verbe « embrasser ».
Réplique ironique de Lyse qui repousse les avances de Clindor, se moquant.
Chiasme qui traduit une ironie amère. Lyse est lucide, elle sait que
sa beauté ne peut l’emporter sur un mariage prestigieux (argent).
- Présence d’
euphémismes. Lyse badine, elle sait qu’elle
est jolie.
II. L’apologie de l’inconstance
1. Une vision pragmatique de l’amour
- Phrase témoignant de la maladresse de Clindor. Il fait une contre éloge,
retournement de situation. Elle garde une distance entre lui : Il la tutoie
alors qu’elle le vouvoie.
- Par ce tutoiement, il essaie de créer une affinité et une sympathie.
Lyse évite le conflit en prenant les propos de Clindor à la plaisanterie.
- La scène s'achève par des stichomythies. Lyse est réaliste.
Reprise du mot « rien » : justifie le parti pris par Clindor.
- Il propose à Lyse d’être sa maîtresse. Epouse = sujette,
dépendante, pas libre alors que maîtresse = elle domine,
plaisir plus grand.
- Epouse = achète, argent de quelqu’un, par devoir, contraintes
alors que maîtresse = vend plaisir, décide, reçoit le meilleur
de l’amour, le plus excitant.
- Clindor argumente pour persuader Lyse de devenir sa maîtresse, il propose à Lyse
une sorte de partage.
2. Le changement de l’amour
- Clindor est un libertin, à relier avec Dom Juan. Il établit
une distinction entre l'amour et le mariage. L'amour se place du côté de
ce qui est aimable et le mariage du côté de ce qui est confortable.
Femme > sujette. Amante > maîtresse
- Il présente une image abominable de la femme « la maîtresse
règne sur l'amant tandis que la femme doit obéir à son mari ».
- Opposition (plaisirs / fait de se voir). Il dit que l’amour est différent
du mariage et qu’épouser n’est pas aimer.
- Passage au présent de vérité générale : comme une loi, inévitable. Après les généralités,
on observe un retour au cas particulier avec « je », « tu ».
- Clindor fait l’apologie de l’adultère, de l’infidélité (tirade
de Dom Juan sur l’inconstance). Il prône l’infidélité au
nom de l’amour. Il est égoïste, immoral et dénué de
tout respect d’autrui. Il présente l’inconstance chère
au Baroque. Duplicité de Clindor. Hyménée = mariage (vocabulaire
soutenu), à l’époque le mariage forcé (par intérêt) était
chose courante et on était marié à vie.
Conclusion
Cette scène de
L'Illusion comique est étonnante dans la mesure
où elle nous déçoit par rapport à Clindor, mais
elle n'aura pas de conséquence sur la suite de la pièce, bien
que l’on apprend le vrai caractère de Clindor au spectateur - à l’aide
de Lyse qui donne la réplique et qui sert en quelque sorte de révélateur - qui est égoïste, immoral et dénué de tout respect
d’autrui. Cette scène de séduction montre l’inconstance
et l’ambivalence de Clindor, son infidélité, son changement.
Cette scène est à mettre en liaison avec l’esthétique
Baroque qui a marqué principalement la littérature, le théâtre
et la poésie mais également un autre domaine, qui est l’art Baroque.