Lexique du départ : verbe « partir » et « s'en aller » et du retour : didascalies « L'arrêtant », « je ne partirai point ».
Tentatives de faire continuer la scène, chacun rappelle l'autre « J'ai encore quelque chose à vous dire ».
Chacun veut que l'autre fasse le premier pas. Les amoureux sont près de se séparer mais n'en ont envie ni l'un ni l'autre : « Partir ! Ce n'est pas là mon compte ».
Heureusement, Dorante fait demi-tour.
* Silvia part
Alors, c'est Silvia qui fait semblant de partir : elle veut tester l'amour de Dorante « Feignons de sortir afin qu'il m'arrête : il faut bien que notre réconciliation lui coûte quelque chose. »
Elle espère qu'il va la retenir parce qu'il est amoureux d'elle. En fait, elle ne veut pas vraiment partir. Mais si elle part vraiment c'est que Dorante ne l'aura pas appelée et son stratagème aura échoué. Là encore, Dorante la rappelle : « Restez, je vous en prie, j'ai encore quelque chose à vous dire ».
Moment difficile pour Silvia : elle veut continuer le jeu au maximum mais ne faut pas qu'elle le pousse trop loin non plus au risque de faire partir Dorante -> Conflit intérieur.
=> C'est Dorante qui a chaque fois fait le premier pas. Le jeu de Silvia est efficace.
2. Dialogue, explication où chacun essaie de piéger l'autre
Dorante donne la raison de son départ « J'ai de la peine à partir sans vous avoir convaincue que je n'ai pas tort de le faire » -> veut savoir ce que son départ ferait à Silvia.
Pose des questions, suggère : « Répondez donc ».
Prêche le faux pour avoir le vrai. « Vous êtes sensible à son amour, je l'ai vu par l'extrême envie que vous aviez envie que je m'en allasse, ainsi vous ne sauriez m'aimer ». Veut qu'elle affirme le contraire.
Chacun se donne des prétextes « je ne suis qu'une suivante », « Mario vous aime », « vous aviez envie que je m'en allasse ».
En affichant son identité supposée (« Je ne suis qu'une suivante et vous me le faites bien sentir »), Silvia veut tirer de Dorante la vérité sur ses sentiments sans trop en dire sur elle.
Ne l'aidera pas.
=> Jeu du chat et de la souris, de cache-cache. Eviter à tout prix le départ mais sans pour autant dire la vérité en premier.
Menaces et annonces de départ seulement apparentes : stratégie ultime => Marivaudage.
II. Evolution des sentiments
Evolution entre début et fin de la scène : paraissent gênés puis terminent heureux => Scène de compréhension.
1. Sentiments de Silvia
Aparté précédent le début du passage « Feignons de sortir » : idée d'une stratégie qui oblige Dorante à prendre une position plus nette.
* Porte son rôle au paroxysme
Fausse humilité et coquetterie : entretient le mystère « si je le voulais, je vous répondrais ».
Continue à jouer un rôle pour voir la réaction de Dorante.
Emploi du conditionnel et de tournures hypothétiques -> Se faire désirer, chercher à se faire prier.
Fait tout pour égarer Dorante avec exclamations, interrogations…
Sème le doute « Qu'en savez-vous ? ».
Elle s'anime pour paraître la plus vraisemblable possible.
Rejeter l'impossibilité d'aimer est une manière de faire comprendre le contraire : « je ne saurais vous aimer : qu'en savez-vous ? »
Cherche à se faire prier : « ne m'interrogez point »
Tente d'éveiller la curiosité et l'animation de Dorante en lui disant quelque chose qui va le faire réagir : « Que vous importent mes sentiments ? ».
Tirade : Joue de plus en plus avec son personnage de Lisette.
Aller au maximum de son rôle => théâtre dans le théâtre.
=> Jeu subtil de suggestions de sentiments, de mensonges déguisés… C'est bien le Jeu de l'amour (et du hasard).
Si elle garde son rôle si longtemps, c'est par peur de l'avenir, de la déception. Elle veut en savoir le plus possible sur Dorante et le déguisement la protège et la rassure.
* Avoue ses craintes et son amour
Fossé entre jeu de Silvia et sincérité de Dorante, mais aussi la situation de Lisette et celle de Dorante. Opposition entre « vous » et « moi ».
Fait transparaître dans sa tirade sa crainte de l'infidélité, d'autant plus importante puisqu'elle n'est qu'une simple servante « Votre amour n'est pas une chose bien sérieuse pour vous ».
Insiste sur la distance sociale qui les sépare pour qu'il fasse l'effort de s'approcher « les amusements d'un homme de condition ».
Succession de questions -> faire réfléchir et avouer son importance pour la fidélité, la durabilité de l'engagement.
=> Silvia joue Lisette mais avec les peurs de Silvia.
Amour placé hypothétiquement : « je me ferais un scrupule de vous dire que je vous aime ». Importance de l'hypothèse et du conditionnel, comme des aveux implicites « vous dire que je vous aime ».
=> Façon de chercher à ce que Dorante affirme encore plus son amour.
Affecte de cacher ses sentiments, mais même si retenue, parle d'amour.
Aveux implicites d'amour : « Qui voulez-vous que mon cœur mette à votre place ? ».
But de Silvia : aveu d'un amour plus fort, absolu.
Silvia : éloquence oratoire. Grand pouvoir de persuasion dans cette tirade, ce qui montre l'importance que le sujet a pour elle.
Utilisation de litotes.
Langage quelque peu invraisemblable dans son rôle de domestique. Dorante pourrait s'en apercevoir mais est tout entier pris à démontrer son amour pour Silvia.
Changement depuis le début de la scène : Silvia ne veut pas le laisser partir, les choses deviennent plus claires.
2. Sentiments de Dorante
* Pense qu'il va perdre Silvia
Jaloux de Mario + douteux, inquiet.
Veut la convaincre de son amour mais il y a Mario. Alors, voudra-t-elle de lui ?
=> Souffrance et angoisse.
Croit la voir partir et la perdre -> l'empêche de sortir -> a réagi au jeu de Silvia.
Dorante est en situation d'infériorité : dépendant de la stratégie de Silvia.
En position d'attente : « Répondez donc ».
Veut que Silvia soit aussi amoureuse de lui -> Abnégation de l'amour.
Dorante devient pressant :
- Questions pressantes « Je vous en conjure »
- « par tout ce que vous avez de plus cher au monde »
- Affirmations qu'il aimerait voir démenties « ainsi, vous ne sauriez m'aimer ».
* Se laisse aller à son amour
1er aveu : amour nettement exprimé, étape franchie, tutoiement : « Peux-tu douter encore que je ne t'adore ? ».
Silvia est contente mais intériorise son euphorie -> Tirade.
=> Dorante complète son aveu et répond aux conditions posées par Silvia. « Mon cœur et ma main t'appartiennent ».
Paroles passionnées. Hyperboles. Métaphore de l'amour feu « Tes paroles ont un feu qui me pénètre, je t'adore, je te respecte ».
Déclaration d'amour total : caractère péremptoire de l'aveu et demande en mariage « Il n'est ni rang, ni naissance, ni fortune qui ne disparaisse devant une âme comme la tienne » -> Triple négation pour mieux affirmer son amour.
=> Silvia a eu ce qu'elle voulait : Dorante l'aime pour ce qu'elle est et non pas pour sa noblesse (Dorante ne sait pas encore que c'est une maîtresse noble).
=> Silvia a triomphé. A obtenu l'aveu de Dorante sans se dévoiler.
Elle a du mal à cacher sa joie mais garde la maîtrise d'elle-même jusqu'au bout. Elle poursuit le jeu jusqu'au maximum. Elle veut le rassurer mais profite encore.
Elle reste prudente et habile « Savez-vous bien que vous me charmez, Dorante ? ».
Arrivée du père qui va permettre la révélation des identités.
Conclusion
Scène du dépit amoureux traditionnel de la comédie qui correspond avec la notion de jeu de la pièce. C'est ici un jeu psychologique sur les sentiments avec un risque de rupture, mais le spectacle se concentre finalement sur la découverte mutuelle des sentiments. Silvia attend le plus longtemps possible afin d'être épousée pour elle. Tout est fait pour le « Triomphe de l'amour » qui est aussi le titre d'une pièce de Marivaux.