Nécessité d'utiliser la violence pour ouvrir l'huître : « Les coups qu'on lui porte », utilisation d'une arme (couteau).
« les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles » : deux verbes exprimant une violence renforcée par l'allitération en [k] (qui rappelle le son des coups).
c) Un intérieur rempli d'éléments hétéroclites
Le fait que la description de l'huître faite par Ponge dans le second paragraphe ne soit constituée que d'une seule phrase avec beaucoup de juxtapositions insiste sur une sorte de difficulté pour définir la nature de l'intérieur du coquillage.
L'expression « tout un monde » est renforcée par « à boire et à manger » (double sens : au sens propre signifie qu'il y a de l'eau et le fruit de mer et au sens figuré est une expression signifiant qu'on y trouve beaucoup de choses de qualité différente).
Enumération d'éléments appartenant à des réalités diverses : les « cieux », « une mare », le « sachet », « dentelle ».
Caractère insaisissable de certains éléments :
- « les cieux d'en-dessus s'affaissent sur les cieux d'en-dessous » : il devient difficile de distinguer lequel est lequel, tout se mélange.
- « qui flue et reflue à l'odeur et à la vue » : expression d'une mobilité qu'aucun sens se semble en mesure de fixer, ni l'odorat ni la vue.
Juxtaposition de termes nobles et péjoratifs (« nacre », « mare », « visqueux et verdâtre », « dentelle noirâtre » la dentelle est une matière noble mais l'adjectif noirâtre la dévalorise) -> difficile de donner une valeur à l'huître.
d) La perle
Le poème finit sur un paragraphe élogieux sur l'huître.
La beauté : « perle », « nacre » (= l'intérieur de l'huître), « orner » = fonction esthétique.
La rareté : « très rare » : superlatif, « formule » = petite forme : ce n'est pas abondant.
2. Une démarche apparemment objective (de « objet »)
Le poète énonce d'emblée ce dont il va parler : « L'huître » : premier mot et titre du poème.
Les deux premiers verbes = verbe « être » : il s'agit de déterminer une identité, de définir.
Eléments propres à une définition : la taille (« grosseur »), la couleur (« blanchâtre », « blancs », « verdâtres », « noirâtre »), la consistance (« rugueuse », « visqueux »), la matière (« nacre »).
L'énonciation montre une recherche d'objectivité :
- Tournures impersonnelles : « on peut », « on trouve », « s'y reprendre à plusieurs fois »...
- Tournures se rapprochant d'une notice explicative : « il faut alors la tenir », « se servir d'un couteau ».
3. Une recherche du détail
Précision : « au creux d'un torchon », « couteau ébréché », « marquent son enveloppe de ronds blancs »...
Recours à des comparatifs de supériorité ou d'infériorité : « plus rugueuse », « moins unie » -> caractérisation précise de l'objet.
Description qui fait appel aux sens pour permettre au lecteur de se représenter au mieux l'objet dont il est question :
- La vue : « couleur », « brillamment », « blanchâtre », « ronds blancs », « vue »...
- Le toucher : « rugueuse », « ébréché », « visqueux ».
- Le goût : « à boire et à manger ».
- L'odorat : « odeur ».
- Et dans une moindre mesure, connotation à l'ouïe : « parler »
Toutefois ces précisions restent souvent approximatives, comme le montre l'utilisation du suffixe « âtre » (« blanchâtre », « verdâtre ») ou encore « une sorte de ».
Cependant, sous des apparences descriptives, ce texte présente les caractéristiques d'un texte poétique.
II. Les caractéristiques d'un poème
1. Des jeux de sonorités
- Des homéotéleutes (figure consistant à répéter des finales de mots) : « noirâtre », « blanchâtre », « verdâtre » qui fonctionnent presque comme des rimes.
- Des jeux sur les allitérations et assonances :
En [k] : « les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles », « Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe ».
En [r] : « parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner ».
En [s] : « les cieux d'en-dessus s'affaissent sur les cieux d'en-dessous ».
En [v] et [f] + assonance en [u] : « visqueux et verdâtre » (...), « flue et reflue à l'odeur et à la vue ».
2. Des jeux sur le langage
Sur la polysémie : « à boire et à manger » huître comestible avec du liquide et du solide à l'intérieur, huître composé d'éléments hétérogènes.
« firmament » est un terme habituellement utilisé en poésie, « nacre » exprime la pureté, mais ici le mot fait référence à la matière dont l'huître est constituée : d'ailleurs le jeu sur le sens propre et le sens figuré est mis en évidence par l'expression « à proprement parler » mise entre parenthèses : c'est comme si le poète nous disait qu'il avait conscience d'utiliser un vocabulaire poétique, il précise car en général il utilise le langage poétique.
Différentes figures de style présente dans le texte le rende poétique :
Oxymore : « brillamment blanchâtre » : « blanchâtre » connote un côté terne, non brillant.
Personnifications : « c'est un monde opiniâtrement clos » : l'opiniâtreté (= persévérance, acharnement) est une qualité humaine. « un couteau [...] peu franc » : connotation morale. « leur gosier de nacre » : l'huître n'a pas de gosier.
Métonymie : « les doigts curieux » pour désigner la personne qui tente d'ouvrir l'huître.
3. Métaphore filée entre l'huître et le monde
Cette idée est retrouvée explicitement à deux reprises dans le poème : « c'est un monde », et « A l'intérieur l'on trouve tout un monde ».
Il peut également être noté la présence de vocabulaire qui se rattache à l'idée de monde : « halos » qui sont des auréoles autour des astres, « firmament » qui est la voûte céleste, « les cieux » (pluriel de ciel).
A l'intérieur de ce monde se trouve une sorte de mer (élément aquatique après éléments célestes) : « une mare [...] qui flue et reflue » (-> marée).
Un monde où tout à l'air de s'entremêler :
- Les « cieux » den dessus et les « cieux » d'en dessous
- Les « cieux » deviennent une « mare »
- La « mare » qui est en fait un « sachet »
Un monde en mouvement : « s'affaissent » (mouvement vertical), « flue et reflue » (mouvement horizontal).
=> Transfiguration poétique du réel (le réel est transformé en poésie), dès lors cette description devient symbolique.
III. La symbolique du poème
1. L'ambigüité de la dernière phrase
« une formule perle » :
Premier sens = une petite forme apparaît comme une perle (perle de l'huître).
Deuxième sens : le terme « formule » peut signifier une formulation, ce que l'on dit. Ce sens paraît appuyé par la présence du mot « gosier » appartenant au même champ lexical = partie intérieure de la gorge d'où sort la parole. Quelle serait cette parole ?
- Ses caractéristiques : la rareté (« très rare » mais aussi « perle » = ce n'est pas un débit abondant), l'organe de celui qui parle est « de nacre » = idée de pureté et de haute valeur (la parole est précieuse), et cette parole sert à « orner », c'est-à-dire qu'elle a un but esthétique.
- Rareté + pureté + esthétique = caractéristiques de la parole poétique.
- La perle serait donc en fait un poème : le texte est donc une sorte d'allégorie sur la création poétique, l'huître qui produit la perle serait alors le monde poétique.
2. Lecture rétrospective du poème selon cette signification symbolique
a) Premier paragraphe : la création poétique vue de l'extérieur
L'insistance sur l'idée de fermeture « monde opiniâtrement clos », « rugueux », met en évidence l'hermétisme poétique pour les autres qui voient cela comme quelque chose de difficilement abordable.
La difficulté pour ouvrir l'huître symbolise la difficulté d'entrer dans l'univers poétique pour quelqu'un qui n'est pas initié, mais cette entrée est possible à force d'efforts.
Toutefois il y a une dévalorisation de ces tentatives d'intrusion :
- La connotation de violence : on a l'impression que les "profanes" en poésie violeraient une sorte de refuge, d'ailleurs ils abîment l'huître par leurs tentatives d'intrusion puisque leurs « coups (...) marquent son enveloppe de ronds blancs ».
- C'est parce que leur motivations sont mauvaises : tout d'abord, on peut penser qu'ils cherchent absolument à s'approprier les secrets de cette création (ils tiennent l'huître « au creux d'un torchon ») et simplement par curiosité (« doigts curieux ») ou malveillance ou traîtrise (« couteau ébréché et peu franc »).
- Mais beaucoup « s'y coupent, s'y cassent les ongles » -> ils ne parviennent pas à rentrer dans cet univers poétique.
b) Second paragraphe : le monde du poète à l'intérieur de l'huître
Pour ceux qui arrivent à ouvrir l'huître, c'est-à-dire à comprendre la poésie, un monde entier s'ouvre à eux :
- Un monde caractérisé par le céleste, une dimension supérieure (« halos », « firmament », « cieux ».)
- Un monde riche, abondant, où tout se mêle : mélange des sens, des couleurs, les choses n'ont plus une forme fixe, elles se transforment et se confondent -> un monde difficile à saisir, à définir.
- « on trouve [...] à boire et à manger » : la poésie est capable de nourrir intellectuellement celui qui la comprend.
Conclusion
Le texte L'huître, de Francis Ponge, est donc bien un poème. Cela se ressent au fur et à mesure de la lecture et est confirmé par la dernière phrase. C'est une sorte de mise en abyme puisqu'il traite du processus de la création poétique et de la perception du monde poétique par les gens extérieurs. Toutefois, le travail poétique de Ponge ne suit pas tout à fait le même sens que d'autres poèmes : il ne cherche pas à exprimer certaines idées par des images poétiques, il part avant tout de l'objet et ce sont les particularités de cet objet qui l'amènent à une symbolique, il se propose de voir l'objet sous un autre jour, mais en s'imposant toujours de partir de l'objet lui-même. Ponge donne à ce type de poème le néologisme de « objeu » (de « objet » et « jeu »).
Le poète est différent des autres, le monde poétique est clos, difficile d'accès. Le poète est celui qui est capable de voir les différentes significations que peut avoir un objet.