Plan de la fiche sur
le chapitre 1 de La Bête humaine de Emile Zola :
Introduction
La Bête humaine est un roman d'
Emile Zola qui fut publié en 1890, dix-septième volume de la série
Les Rougon-Macquart.
Dans l'extrait du chapitre 1 que nous étudions, Roubaud, sous-chef de gare au Havre, attend sa femme Séverine dans une chambre, impasse d’Amsterdam, près de la gare Saint-Lazare, prêtée par une collègue, la mère Victoire.
Texte étudié
Télécharger cet extrait du chapitre 1 de La Bête humaine
- Zola en version audio (clic droit - "enregistrer sous...")
Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com
La demie sonna. Roubaud marchait de long en large, tournant, au moindre bruit, l'oreille vers l'escalier. Dans son attente désœuvrée, en passant devant la glace, il s'arrêta, se regarda. Il ne vieillissait point, la quarantaine approchait sans que le roux ardent de ses cheveux frisés eût pâli. Sa barbe, qu'il portait entière, restait drue, elle aussi, d'un blond de soleil. Et, de taille moyenne, mais d'une extraordinaire vigueur, il se plaisait à sa personne, satisfait de sa tête un peu plate, au front bas, à la nuque épaisse, de sa face ronde et sanguine, éclairée de deux gros yeux vifs. Ses sourcils se rejoignaient, embroussaillant son front de la barre des jaloux.
Comme il avait épousé une femme plus jeune que lui de quinze années, ces coups d'œil fréquents, donnés aux glaces, le rassuraient.
La Bête humaine - extrait du chapitre 1 - Zola
Annonce des axes
I. Un moment de pause
II. La charge dramatique du portrait
III. Un personnage double
Commentaire littéraire
I. Un moment de pause
Cet extrait se caractérise essentiellement comme un temps de pause, un entre-deux narratif qui se déroule peu avant l’arrivée et la présentation de Séverine puis la violente dispute du ménage lors de laquelle se décide le meurtre de Grandmorin qui nouera l’intrigue. Dans l’intervalle, le récit nous retrace une attente morne, celle de Roudaud s’agaçant intérieurement du léger retard de son épouse.
La première impression est donc qu’il s’agit là d’un instant purement expectatif où il ne se passe rien. On trouve certes l’alternance habituelle des temps du récit, passé simple et imparfait. Pourtant le jeu temporel semble désamorcé, le relief modal des temps comme gommé, les verbes au passé simple marquant surtout des moments d’arrêt qui freinent la séquentialité des actions et placent la scène dans un état de suspension : "La demie sonna", "en passant devant la glace, il s’arrêta, se regarda".
Cette scène peut même apparaître comme une parenthèse, au demeurant négligeable, dans la mesure où elle n’apporte aucun élément nécessaire à l’intrigue. En outre, installant son personnage dans une "attente désœuvrée, Zola en profite pour nous en dresser le portrait.
Ainsi combiné à un morceau descriptif, ce récit de l’attente ne paraît générer aucune narrativité mais se contente de transmettre au lecteur l’ennui et la désolation qui envahissent Roubaud. Il ne faut toutefois pas s’y tromper. Derrière cette apparente apathie du personnage se profile une exaspération et une violence qui perce du portrait lui-même.
II. La charge dramatique du portrait
Le portrait de Roubaud ressort ici d’une véritable scène d’exposition, à l’instar de celui de Séverine un peu plus loin dans le même chapitre ou celui de Jacques au chapitre II. Dans cet extrait, Roubaud nous est présenté à la fois in situ - l’attente de Séverine - et par la description qu’en propose le narrateur à travers l’image réfléchie du personnage dans le miroir.
Chacune de ses deux perspectives permet au narrateur d’établir respectivement le portrait moral et physique du personnage. Force est alors de relever que, quelque soit l’angle choisi, Roubaud apparaît comme un être sinon violent du moins agité et impulsif. En effet cette violence en basse sourde, que l’on pressent prête à éclater, Roubaud en porte les signes sur son visage, en son corps même. Le narrateur nous le peint d’ailleurs en des couleurs agressives, "roux ardent" des cheveux, "blond de soleil" de la barbe. Son visage sanguin est par ailleurs "éclairé[e] de deux gros yeux vifs". Le reste de ses attributs physiques en font un individu irascible et fougueux. Ses cheveux sont "frisés", sa barbe "drue" et ses sourcils en broussaille. Quant à sa stature, plutôt trapue, elle reste d’une "extraordinaire vigueur" à l’instar de son "front bas" et de "sa nuque épaisse".
Plus âgé que Séverine de près de "quinze années", il s’avère en outre que Roubaud est un mari jaloux, stigmate qu’il porte à la face : "Ses sourcils se rejoignaient, embroussaillant son front de la barre des jaloux.". Le retard de son épouse l’impatiente, l’exaspère même, le fait progressivement sortir de lui même. Cet état est notamment rendu par les verbes de mouvement, déclinés à l’imparfait duratif, comme par l’occupation circulaire de l’espace, espace clos au reste de la chambre : "Roubaud marchait de long en large, tournant, au moindre bruit, l’oreille vers l’escalier.". Tel un lion en cage, Roubaud reste prisonnier du lieu et de la situation autant que de lui-même.
Cette peinture en demi-teinte est annonciatrice de la fureur incontrôlable de Roubaud lors de l’aveu outrageant de Séverine. On peut de-là percevoir l’enjeu narratif important de cette évocation du personnage, combien représentative du personnel romanesque de
La Bête humaine.
III. Un personnage double
Si l’artifice du miroir autorise le narrateur à nous brosser le portrait de Roubaud, il lui sert également à introduire, à travers cette figure, la thématique du clivage, leitmotiv de l’œuvre. Se contemplant pour tromper son ennui, Roubaud découvre et nous fait découvrir dans le reflet qu’il perçoit, une vision de l’altérité. Il s’agit d’abord du mari jaloux dont la perception obéit à un certain narcissisme. Plus qu’il se voit, le personnage s’identifie à une représentation transfigurée positive de lui-même : "Il ne vieillissait point", "il se plaisait à sa personne, satisfait de sa tête un peu plate" ou encore : "Comme il avait épousé une femme plus jeune que lui de quinze années, ces coup d’œil fréquents aux glaces, le rassuraient".
Il reste d’autre part que le personnage incarne et supporte l’un des motifs majeur du roman : le clivage, la fêlure. Ce thème est installé dans le texte dès les premières pages, puis filé tout au long du récit, à travers les métaphores descriptives du paysage perpétuellement représenté, soit comme soumis au régime du double, soit comme "coupé" ou "tranché". Mais il se fixe surtout à travers les portraits des personnages, à l’instar de celui de Roubaud. Construit à l’aide de notations antithétiques et de termes contrastifs ou concessifs : "sans que", "mais", le portrait de Roubaud se dégage d’un faisceau de traits contradictoires, de sorte d’oxymores sémantiques réalisant ambivalence et ambiguïté. Ainsi de la "barre de jaloux" qui, à sa première apparition, partage le visage de Roubaud en deux. Personnage décrit à la fois comme sanguin, "épais", mais "vif" et qui se mire devant l’instrument même du dédoublement, un miroir.
Conclusion
Si, de prime abord, cet employé et mari modèle ne semble pas promis à un destin exemplaire, il laisse pourtant deviner un tempérament impétueux et bestial. Sa violence éclate lorsque Séverine s’est trahie et qu’il a deviné ses relations avec Grandmorin : "En trois ans, il ne lui avait pas donné une chiquenaude, et il la massacrait, aveugle, ivre". Mais lorsqu’il a décidé, très vite, de se venger et de tuer, ce violent se montre capable de sang-froid, préparant méthodiquement son crime comme les manières d’affronter les interrogatoires (chapitre 2).