Plan de la fiche sur
La dogaresse de José-Maria de Heredia :
Introduction
José-Maria de Heredia (1842 - 1905) est un poète parnassien,
son œuvre majeure est un recueil de sonnets, Les Trophées, d'abord
paru dans des revues littéraires. A travers son œuvre, on ressent l'inspiration
de personnages et de scènes antiques, parfois aussi tirés de la mythologie.
En réaction contre un lyrisme romantique jugé excessif, les poètes du Parnasse posent l'idéal d'une poésie impersonnelle et maîtrisée. La recherche de la beauté suffit à elle-même, en dehors de toute considération intime ou politique.
Le sonnet, depuis longtemps démodé, retrouve alors une nouvelle faveur car sa difficulté plaît aux partisans de l'art pour l'art. Heredia réalise même un véritable tour de force poétique en choisissant cette forme contraignante et concise pour présenter un raccourci de l'histoire de l'humanité. "La dogaresse" appartient à la section intitulée "Le Moyen Age et la Renaissance".
José-Maria de Heredia en 1896
Texte de La dogaresse
La dogaresse
Le palais est de marbre où, le long des portiques,
Conversent des seigneurs que peignit Titien,
Et les colliers massifs au poids du marc ancien
Rehaussent la splendeur des rouges dalmatiques.
Ils regardent au fond des lagunes antiques,
De leurs yeux où reluit l'orgueil patricien,
Sous le pavillon clair du ciel vénitien
Étinceler l'azur des mers Adriatiques.
Et tandis que l'essaim brillant des Cavaliers
Traîne la pourpre et l'or par les blancs escaliers
Joyeusement baignés d'une lumière bleue,
Indolente et superbe, une Dame, à l'écart,
Se tournant à demi dans un flot de brocart,
Sourit au négrillon qui lui porte la queue.
José-Maria de Heredia, Les Trophées, 1893
Vocabulaire pour comprendre le poème :
dogaresse : épouse du doge, chef de la république de Venise.
Titien : grand peintre vénitien (1477-1576).
marc : ancienne unité de poids.
dalmatiques : riches tuniques.
brocart : riche tissu de soie rehaussé d'or ou d'argent.
queue : la traîne de sa robe
Annonce des axes
I. Un portrait tel un tableau de peintre
1. Un cadre architectural précis et son décor
2. Un traitement pictural
II. L'esthétique parnassienne
1. Le refus du lyrisme et le choix de la distance
2. Une attention portée à la forme
Commentaire littéraire
I. Un portrait tel un tableau de peintre
1. Un cadre architectural précis et son décor
Les détails (architecturaux, vestimentaires) ancrent la scène dans une réalité historique et sociale précise : l'aristocratie vénitienne à son apogée (Un palais de marbre, des portiques, des escaliers, en fond des lagunes.
La "Dame" apparaît dans la dernière strophe, au premier plan, alors que le décor a été posé.
2. Un traitement pictural
- La référence au Titien (grand peintre vénitien).
- Nombreux adjectifs (souvent en position accentuée).
- De nombreuses indications de couleurs ("rouges dalmatiques, azur, pourpre, or, blancs, lumière bleue"), de lumières ("splendeur, reluit, clair, étinceler, brillant, joyeusement baignés d'une lumière") et de matières ("marbre, brocart") font ressembler ce poème à un tableau, lui donne un aspect visuel précis
- Les nombreux compléments circonstanciels de lieu permettent la situation dans l'espace et la visualisation de la scène. L'emploi du temps présent immobilise la scène.
II. L'esthétique parnassienne
Le Parnasse est un mouvement poétique apparu dans la seconde moitié du XIXème siècle en France visant à valoriser l’art poétique par la retenue, l'impersonnalité et le rejet de l'engagement social et politique de l'artiste. (Source wikipédia)
1. Le refus du lyrisme et le choix de la distance
Il n'y a aucune marque d'énonciation, ce qui rend le poème impersonnel.
Une marque de distance dans le poème entre le décor et son personnage : elle n'est mentionnée que dans les tercets après une longue description du décor ; la scène, aussi somptueuse qu'irréelle, est mise à distance par son traitement pictural, et peut être lue comme une allégorie de la beauté sereine et de l'idéal esthétique du Parnasse.
Distance temporelle : aristocratie vénitienne.
2. Une attention portée à la forme
- "La Dogaresse" est un sonnet de forme régulière, forme qui n'est plus à la mode à l'époque où Heredia écrit ce poème.
- Une maîtrise de l'enjambement : des
enjambements lient les vers 3 et 4, 9 et 10 mais aussi la plupart des vers. Ces enjambements créent un effet de continuité qui peut faire penser à une fresque.
- Un lexique recherché : Heredia emprunte à un vocabulaire ancien des mots précieux et rares : "la dogaresse", le "marc ancien", les "rouges dalmatiques". Il recourt aussi à un vocabulaire et à des constructions spécifiquement poétiques ("pavillon, azur, essaim", syntaxe du vers 1, la séparation du verbe "regardent" au vers 5 et de son complément au vers 8). La chute du sonnet contient même un effet de virtuosité lexicale : Heredia substitue au terme moderne attendu, "traîne" (utilisé depuis le milieu du XIXème siècle), mais qui est rendu inutilisable par le vers 10, le mot ancien "queue".
Conclusion