La guerre de Troie n’aura pas lieu

Jean Giraudoux - 1935

Acte II - Scène 4 (extrait)

De "DEMOKOS - Puis-je enfin réclamer un peu de silence..." à "...c’est la devise des vrais généraux."




Plan de la fiche sur l'acte II, Scène 4 de La guerre de Troie n’aura pas lieu de Giraudoux :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

Présentation de l’auteur : Jean Giraudoux (1882 - 1944) va choisir une carrière diplomatique brillante. Après avoir publié plusieurs Romans, comme Siegfried et le Limousin, Suzanne et le Pacifique et Bella, il choisira d’écrire des pièces de théâtre dont La guerre de trois n’aura pas lieu et Électre.
Pacifiste convaincu, les grands thèmes qu’il aborde dans ses pièces sont la guerre, la monté du Fascisme. Il meurt quelques mois avant la libération en 1944.

Présentation du texte : c’est un extrait de la scène 4 de l'Acte II de la pièce La guerre de Troie n’aura pas lieu (1935). Giraudoux s’est inspiré de l’Iliade d’Homère, pour dénoncer la montée des périls nationalistes ainsi que ceux de la guerre.
La tragédie est essentiellement la lutte des hommes pour échapper à leur destin. Dans ce texte, l’auteur montre que malgré les tentatives d’Hector et Hécube pour éviter la guerre, celle-ci aura bien lieu.


Texte étudié

DEMOKOS
Puis-je enfin réclamer un peu de silence, Pâris ?... Abnéos, et toi, Géomètre, et vous, mes amis, si je vous ai convoqués ici avant l’heure, c’est pour tenir notre premier conseil. Et c’est de bon augure que ce premier conseil de guerre ne soit pas celui des généraux, mais celui des intellectuels? Car il ne suffit pas, à la guerre, de fourbir des armes à nos soldats. Il est indispensable de porter au comble leur enthousiasme. L’ivresse physique, que leurs chefs obtiendront à l’instant de l’assaut par un vin à la résine vigoureusement placé, restera vis-à-vis des Grecs inefficiente, si elle ne se double de l’ivresse morale que nous, les poètes, allons leur verser. Puisque l’âge nous éloigne du combat, servons du moins à le rendre sans merci. Je vois que tu as des idées là-dessus, Abnéos, et je te donne la parole.
ABNÉOS
Oui. Il nous faut un chant de guerre.
DEMOKOS
Très juste. La guerre exige un chant de guerre.
PÂRIS
Nous nous en sommes passé jusqu’ici.
HÉCUBE
Elle chante assez fort elle-même...
ABNÉOS
Nous nous en sommes passés, parce que nous n’avons jamis combattu que des barbares. C’était de la chasse. Le cor suffisait. Avec les Grecs, nous entrons dans un domaine de guerre autrement relevé.
DEMOKOS
Très exact, Abnéos. Ils ne se battent pas avec tout le monde.
PÂRIS
Nous avons déjà un chant national.
ABNÉOS
Oui. Mais c’est un chant de paix.
PÂRIS
Il suffit de chanter un chant de paix avec grimace et gesticulation pour qu’il devienne un chant de guerre... Quelles sont les paroles du nôtre ?
ABNÉOS
Tu le sais bien. Anodines. — C’est nous qui fauchons les moissons, qui pressons le sang de la vigne !
DEMOKOS
C’est tout au plus un chant de guerre contre les céréales. Vous n’effrayez pas les Spartiates en menaçant le blé noir.
PÂRIS
Chante-le avec un javelot à la main et un mort à tes pieds, et tu verras.
HÉCUBE
Il y a le mot sang, c’est toujours cela.
PÂRIS
Le mot moisson aussi. La guerre l’aime assez.
ABNÉOS
Pourquoi discuter, puisque Demokos peut nous en livrer un tout neuf dans les deux heures.
DEMOKOS
Deux heures, c’est un peu court.
HÉCUBE
N’aie aucune crainte, c’est plus qu’il ne te faut ! Et après le chant ce sera l’hymne, et après l’hymne la cantate. Dès que la guerre est déclarée, impossible de tenir les poètes. La rime, c’est encore le meilleur tambour.
DEMOKOS
Et le plus utile, Hécube, tu ne crois pas si bien dire. Je la connais la guerre. Tant qu’elle n’est pas là, tant que les portes sont fermées, libre à chacun de l’insulter et de la honnir. Elle dédaigne les affronts du temps de paix. Mais, dès qu’elle est présente, son orgueil est à vif, on ne gagne pas sa faveur, on ne la gagne, que si on la complimente et la caresse. C’est alors la mission de ceux qui savent parler et écrire, de louer la guerre, de l’aduler à chaque heure du jour, de la flatter sans arrêt aux places claires ou équivoques de son énorme corps, sinon on se l’aliène. Voyez les officiers : braves devant l’ennemi, lâches devant la guerre, c’est la devise des vrais généraux.

La guerre de Troie n’aura pas lieu - Jean Giraudoux - Acte II - Scène 4 (extrait)




Annonce des axes

I. Les arguments de Demokos dans ses tirades tragiques
II. La dimension comique du dialogue



Commentaire littéraire

I. Les arguments de Demokos dans ses tirades tragiques

Les deux tirades de Demokos encadrent l'extrait avec une construction de phrase typiquement tragique. « L’ivresse physique, que leurs chef obtiendront à l’instant de l’assaut par un vin à la résine vigoureusement placé, restera vis-à-vis des grecs insignifiante, si elle ne se double pas de l’ivresse morale que nous, les poètes, allons leur verser. »
Il use du style emphatique, avec une exagération de termes visant à convaincre l’assemblée de la nécessité d’apporter une caution morale à la guerre. « porter au comble leur enthousiasme », « L’ivresse morale ».
« Et c’est de bon augure que ce premier conseil de guerre ne soit pas celui des généraux, mais celui des intellectuels » Giraudoux veux souligner que le débat se situe d’un point de vue moral et intellectuel, et non pas de celui des militaires. Ce qui correspond au style noble de la tragédie.
Dans la tirade de fin, Demokos conserve son style noble et emphatique pour appuyer l’idée selon laquelle « C’est alors la mission de ceux qui savent parler et écrire, de louer la guerre, de l’aduler à chaque heure du jour, de la flatter sans arrêt aux places claires ou équivoques de son énorme corps, sinon on se l’aliène. »
La guerre est personnifiée « Elle dédaigne les affronts du temps de paix… », cela appuie le style emphatique.
À travers les tirades de Demokos l’auteur veut dénoncer l’exaltation de la nation pour le peuple (le parti Nazi d’Hitler)


II. La dimension comique du dialogue

Encadré par les deux tirades, le dialogue comique se tient entre Abnéos, Demokos, Pâris et Hécube, à propos du choix d’un hymne qui fait partie des motivations morales qui peuvent exalter le sentiment national.
Il y a deux thèses qui s’affrontent, l’une belliciste (pour la guerre) soutenue par Abnéos et Demokos et l’autre pacifiste tenue par Pâris et Hécube.
L’arme rhétorique des pacifistes est l’ironie, elle vise à ridiculiser la position sérieuse des partisanes la guerre. « elle chante assez fort elle-même… » « Il suffit de chanter un chant de paix avec grimace et gesticulation pour qu’il devienne un chant de guerre… » « Chante-le avec un javelot à la main et un mort à tes pieds, et tu verras. »
L’ironie l’emporte dans le dialogue sur le sérieux « C’est tout au plus un chant de guerre contre les céréales. Vous n’effraierez pas les Spartiates en menaçant le blé noir. »
Ce passage montre le caractère subversif (qui renverse) de l’ironie.





Conclusion

    L’alternance entre les registres comiques et tragique se poursuivra tout au long de l’œuvre et constituera le ressort stylistique qui permet à Giraudoux de critiquer violemment le nationalisme et la guerre.

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Merci à Camille pour cette analyse de La guerre de Troie n’aura pas lieu de Giraudoux