La Peste

Albert Camus

De "On pouvait cependant avoir d’autres sujets..." à "...dans des planètes différentes."









Présentation de l'auteur

     Albert Camus, est un écrivain et un philosophe. Né en Algérie en 1913, il a passé son enfance dans un quartier pauvre d’Alger. Il se rend à Paris en 1939 puis il publiera L’Étranger en 1942. Il sera un résistant très actif durant la seconde Guerre mondiale. Avec Sartre, il fut l’un des plus grands philosophe de l’après-guerre.


Introduction

     La Peste, de Albert Camus, est un roman comme une tragédie en cinq actes. L’histoire se passe à Oran, un mois d’avril des années 40, dans une ville laide sur laquelle la peste s’abat. L’extrait décrit le quotidien de la ville pendant l’épidémie.

La Peste - Camus



Lecture du texte

      On pouvait cependant avoir d’autres sujets d’inquiétude par suite des difficultés du ravitaillement qui croissaient avec le temps. La spéculation s’en était mêlée et on offrait à des prix fabuleux des denrées de première nécessité qui manquaient sur le marché ordinaire. Les familles pauvres se trouvaient ainsi dans une situation très pénible, tandis que les familles riches ne manquaient à peu près de rien. Alors que la peste, par l’impartialité efficace qu’elle apportait dans son ministère, aurait dû renforcer l’égalité chez nos concitoyens, par le jeu normal des égoïsmes, au contraire, elle rendait plus aigu dans le cœur de hommes le sentiment de l’injustice. Il restait, bien entendu, l’égalité irréprochable de la mort, mais de celle-là, personne ne voulait. Les pauvres qui soufraient ainsi de la faim, pensaient, avec plus de nostalgie encore, aux villes et aux campagnes voisines, où la vie était libre et où le pain n’était pas cher. Puisqu’on ne pouvait les nourrir suffisamment, ils avaient le sentiment, d’ailleurs peu raisonnable, qu’on aurait dû leur permettre de partir. Si bien qu’un mot d’ordre avait fini par courir qu’on lisait, parfois sur les murs, ou qui était crié, d’autres fois, sur le passage du préfet : « Du pain ou de l’air. » Cette formule ironique donnait le signal de certaines manifestations vite réprimées, mais dont le caractère de gravité n’échappait à personne.
      Les journaux, naturellement, obéissaient à la consigne d’optimisme à tout prix qu’ils avaient reçue. A les lire, ce qui caractérisait la situation, c’était « l’exemple émouvant de calme et de sang-froid » que donnait la population. Mais dans une ville refermée sur elle-même, où rien ne pouvait demeurer secret, personne ne se trompait sur « l’exemple » donné par la communauté. Et pour avoir une juste idée du calme et du sang-froid dont il était question, il suffisait d’entrer dans un lieu de quarantaine ou dans un des camps d’isolement qui avaient été organisés par l’administration. Il se trouve que le narrateur, appelé ailleurs, ne les a pas connus. Et c’est pourquoi il ne peut citer ici que le témoignage de Tarrou.
      Tarrou rapporte, en effet, dans ses carnets, le récit d’une visite qu’il fit avec Rambert au camp installé sur le stade municipal. Le stade est situé presque aux portes de la ville, et donne d’un côté sur la rue où passent les tramways, de l’autre sur des terrains vagues qui s’étendent jusqu’au bord du plateau où la ville est construite. Il est entouré ordinairement de hauts murs de ciment et il avait suffi de placer des sentinelles aux quatre portes d’entrée pour rendre l’évasion difficile. De même, les murs empêchaient les gens de l’extérieur d’importuner de leur curiosité les malheureux qui étaient placés en quarantaine. En revanche, ceux-ci, à longueur de journée, entendaient, sans les voir, les tramways qui passaient, et devinaient, à la rumeur plus grande que ces derniers traînaient avec eux, les heures de rentrée et de sortie des bureaux. Ils savaient ainsi que la vie dont ils étaient exclus continuait à quelques mètres d’eux, et que les murs de ciment séparaient deux univers plus étrangers l’un à l’autre que s’ils avaient été dans des planètes différentes.

Extrait de La Peste - Albert Camus




Annonce des axes

I. Un véritable état de guerre
1. Un quotidien difficile
2. Le contrôle de l’information
3. Statut particulier du narrateur

II. Une métaphore : l’occupation nazie pendant la Seconde Guerre Mondiale
1. La ségrégation
2. L’enfermement



Commentaire littéraire

I. Un véritable état de guerre

1. Un quotidien difficile

- Les difficultés de ravitaillement : opposition des familles pauvres aux familles riches (début de l'extrait), présence de la spéculation : hyperbole avec « prix fabuleux » et antithèse avec « le marché ordinaire ».
- Impression d’une situation interminable et insoluble : utilisation importante de l’imparfait (pour les actions longues).
- Individualisme exacerbé et rendu ordinaire : « jeu normal des égoïsmes ».


2. Le contrôle de l’information

- La censure des journaux : « consigne d’optimisme à tout prix », comme en temps de guerre.
- Propagande : « exemple émouvant de calme et de sang-froid » = forme d’ironie, car émotion absente de la description et plus de la résignation que du calme.
- Perte des repères normaux : « le sentiment, d’ailleurs peu raisonnable » (premier paragraphe).


3. Statut particulier du narrateur

- Distance étonnante du narrateur, qui parle de lui à la troisième personne : « Il se trouve que le narrateur, appelé ailleurs, ne les a pas connus. Et c’est pourquoi il ne peut citer ici que le témoignage de Tarrou. » => Stratégie littéraire qui consiste à s’appuyer sur un témoignage d’un personnage de l’histoire pour rendre les faits évoqués plus vrais.
- Présence d’ironie qui montre sa prise de position : modalisateurs d’opinion (« naturellement », « A les lire », « n’échappait à personne », « on pouvait avoir », « d’ailleurs peu raisonnable »…).


II. Une métaphore : l’occupation nazie pendant la Seconde Guerre Mondiale

1. La ségrégation

- La disparition de l’égalité : mot « égalité » répété (premier paragraphe), excepté devant la mort.
- Antithèse entre « l’impartialité efficace » et « le jeu normal des égoïsmes » => ambiguïté de la maladie qui a comme conséquence le contraire de ce à quoi on pourrait s’attendre.
- La répression de toute révolte : « Du pain ou de l’air » …= étouffement de toute contestation, vite réprimées.


2. L’enfermement

- Le ghetto : champ lexical de la prison = sentinelle, hauts murs de ciment, quarantaine, exclus, portes d’entrée, évasion difficile, refermée sur elle-même.
- Les rumeurs, comme celles pendant la guerre sur les camps de concentration, ici « camps d’isolement » = Idée que les prisonniers entendent ce qui se passe à l’extérieur, mais que eux ne sont pas entendus.
- La ville en quarantaine = métaphore du peuple juif persécuté par le régime nazi, coupé des réalités du monde extérieur, d’une information objective, victime de la propagande, de la terreur et de l’injustice.





Conclusion

     La Peste s’étend à la notion générale d’existence, à la terreur, à l’exil, à la souffrance, extérieure comme intérieure. De là, deux choix : se laisser abattre et croire à une punition ou se révolter et rester unis.

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Merci à Mathilde pour cette analyse sur un extrait de La Peste de Camus