Plan de la fiche sur
Les Fourberies de Scapin - Acte III scène 2 de Molière :
Introduction
La comédie
Les Fourberies de Scapin a été écrite en
1671 par
Molière, comédien et dramaturge appartenant au classicisme.
Dans cette pièce de théâtre, les histoires amoureuses se mêlent aux fourberies du valet Scapin. Scapin va, grâce à son intelligence d'esprit, aider Octave et Léandre qui ont appris que leurs pères (Argante et Géronte) veulent les marier de force à des inconnues alors que ceux-ci ont d'autres projets amoureux.
Dans
la scène 2 de l'acte 3 des
Fourberies de Scapin, Scapin fait croire à son maître Géronte qu'on vient pour le tuer, et il l'a persuadé de se cacher dans un sac.
Cet extrait se décompose en 3 mouvements : une installation de la mise en scène par Scapin, un dialogue imaginaire, et enfin un dialogue entre maître et valet qui donne l'illusion d'un retour à la normale.
Nous pouvons observer plusieurs enjeux notamment une opposition maître valet menant à une inversion des rôles et la présence d'une mise en abîme créant un effet comique.
Molière
Texte étudié
[…]
SCAPIN.- Cachez-vous. Voici un spadassin qui vous cherche. (En contrefaisant sa voix.) "Quoi ? Jé n'aurai pas l'abantage dé tuer cé Geronte, et quelqu'un par charité né m'enseignera pas où il est ?" (À Géronte avec sa voix ordinaire.) Ne branlez pas. (Reprenant son ton contrefait.) "Cadédis, jé lé trouberai, sé cachât-il au centre dé la terre." (A Géronte avec son ton naturel.) Ne vous montrez pas. (Tout le langage gascon est supposé de celui qu'il contrefait, et le reste de lui.) "Oh, l'homme au sac !" Monsieur. "Jé té vaille un louis, et m'enseigne où put être Géronte." Vous cherchez le seigneur Géronte ? "Oui, mordi ! Jé lé cherche." Et pour quelle affaire, Monsieur ? "Pour quelle affaire ?" Oui. "Jé beux, cadédis, lé faire mourir sous les coups de vaton." Oh ! Monsieur, les coups de bâton ne se donnent point à des gens comme lui, et ce n'est pas un homme à être traité de la sorte. "Qui, cé fat dé Geronte, cé maraut, cé velître ?" Le seigneur Géronte, Monsieur, n'est ni fat, ni maraud, ni belître, et vous devriez, s'il vous plaît, parler d'autre façon. "Comment, tu mé traites, à moi, avec cette hautur ?" Je défends, comme je dois, un homme d'honneur qu'on offense. "Est-ce que tu es des amis dé cé Geronte ?" Oui, Monsieur, j'en suis. "Ah ! Cadédis, tu es de ses amis, à la vonne hure." (Il donne plusieurs coups de bâton sur le sac.) "Tiens. Boilà cé que jé té vaille pour lui." Ah, ah, ah ! Ah, Monsieur ! Ah, ah, Monsieur ! Tout beau. Ah, doucement, ah, ah, ah ! "Va, porte-lui cela de ma part. Adiusias." Ah ! diable soit le Gascon ! Ah !
En se plaignant et remuant le dos, comme s'il avait reçu les coups de bâton.
GÉRONTE, mettant la tête hors du sac. - Ah, Scapin, je n'en puis plus.
SCAPIN.- Ah, Monsieur, je suis tout moulu, et les épaules me font un mal épouvantable.
GÉRONTE.- Comment, c'est sur les miennes qu'il a frappé.
SCAPIN.- Nenni, Monsieur, c'était sur mon dos qu'il frappait.
GÉRONTE.- Que veux-tu dire ? J'ai bien senti les coups, et les sens bien encore.
SCAPIN.- Non, vous dis-je, ce n'est que le bout du bâton qui a été jusque sur vos épaules.
GÉRONTE.- Tu devais donc te retirer un peu plus loin, pour m'épargner...
SCAPIN lui remettant la tête dans le sac. […]
Les Fourberies de Scapin - Molière - Extrait de l'Acte 3 scène 2
Plan du texte pour l'analyse linéaire
I. Une installation de la mise en scène par Scapin
De "SCAPIN.- Cachez-vous" à "Ne vous montrez pas."
II. Un dialogue imaginaire montrant le clou du spectacle
De "Tout le langage gascon est supposé" à "Ah ! diable soit le Gascon ! Ah !"
III. Un dialogue entre maître et valet qui donne l'illusion d'un retour à la normale
De "En se plaignant et remuant le dos" à la fin de l'extrait.
Analyse linéaire
I. Une installation de la mise en scène par Scapin
De "SCAPIN.- Cachez-vous" à "Ne vous montrez pas."
Dès le début de l'extrait, l'
utilisation de l'impératif par le valet Scapin pour donner des ordres à son maître Géronte montre
une inversion des rôles ("Cachez-vous", "Ne branlez pas", "Ne vous montrez pas").
Scapin utilise des phrases courtes enchaînées -> Scapin montre ici une urgence, c'est lui qui distribue les rôles.
"Voici un spadassin qui vous cherche" (spadassin = assassin à gages) ->
Scapin veut faire peur à Géronte, et Géronte entre dans le jeu.
La didascalie "En contrefaisant sa voix" montre que Scapin joue un rôle,
c'est du théâtre dans le théâtre -> c'est une mise en abîme.
On a une
double énonciation avec les deux rôles joués par Scapin.
En imitant le faux spadassin, l'inversion des rôles continue : c'est le valet qui fait peur au maître.
L'inversion des rôles crée un comique de situation.
Scapin utilise une hyperbole "Sé cachât-il au centre de la Terre" -> Construction du personnage du spadassin comme quelqu'un ayant une grande haine envers Géronte ce qui va augmenter sa peur, permettant à Scapin de mieux le dominer.
L'accent gascon que prend Scapin montre également
l'aspect comique de la scène, il fait rire le spectateur.
Nous avons donc une inversion des rôles qui crée un effet comique dans cette scène, effet comique qui est à son apogée dans le second mouvement.
II. Un dialogue imaginaire montrant le clou du spectacle
De "Tout le langage gascon est supposé" à "Ah ! diable soit le Gascon ! Ah !"
L'interjection "Oh" dans "Oh, l'homme au sac !" marque le début du dialogue imaginaire.
Le faux dialogue entre Scapin et le spadassin crée un effet comique.
Grâce à l'accumulation d'insultes à l'égard de Géronte (avec une gradation avec un rythme ternaire : "fat, maraut, velître" -> chaque mot a une syllabe de plus que le précédent, montrant la gradation dans l'insulte), on a un comique de mot, ici
Scapin transgresse les codes.
Scapin en prenant faussement la défense de son maître renforce son aspect de bon valet aux yeux de Géronte ("Le seigneur Géronte, Monsieur, n'est ni fat, ni maraud, ni belître, et vous devriez, s'il vous plaît, parler d'autre façon").
En réalité, le fait de reprendre les insultes une à une renforce encore la force de ces insultes. Scapin valorise Géronte ("le seigneur Géronte", "des gens comme lui", "pas un homme à être traité de la sorte", "homme d'honneur", etc.) quand il est dans son rôle de Scapin, pour mieux l'insulter dans son rôle de spadassin.
L'interrogative à tournure exclamative ("Comment, tu mé traites, à moi, avec cette hautur ?") montre un sentiment de colère, avec une montée crescendo de la tension pour aboutir au clou du spectacle.
Scapin, avec la tournure "comme je dois" ("Je défends, comme je dois, un homme d'honneur qu'on offense"), montre sa subtilité : le "je dois" peut renvoyer au devoir (le valet qui défend son maître) ou à l'obligation (obligation de défendre son maître) -> dans ce dernier cas, c'est donc fait à contre-cœur.
On a une confrontation qui atteint son comble avec les coups de bâtons indiqués par la didascalie "Il donne plusieurs coups de bâton sur le sac",
la scène est drôle avec un comique de gestes très fort et marqué, d'autant plus que le spadassin n'est pas censé savoir que Géronte se cache dans le sac, donc ne devrait pas donner de coups de bâton.
La répétition des interjections "Ah" combinée à la double énonciation renforcent l'aspect comique.
A travers ces coups de bâtons,
Scapin va incarner ce valet fourbe issu tout droit de la comedia dell'arte, il va abuser de son maître tout en se présentant comme un valet exemplaire ce qui donne lieu à
une scène qui est fortement comique car le maître est dupe.
La tension dans la pièce est à son apogée, puis elle va redescendre ce qui va permettre à Scapin de se montrer comme un valet voulant protéger son maître, mais cette chute de la tension dans la pièce n'est qu'illusoire.
III. Un dialogue entre maître et valet qui donne l'illusion d'un retour à la normale
De "En se plaignant et remuant le dos" à la fin de l'extrait.
La didascalie "En se plaignant et remuant le dos, comme s'il avait reçu les coups de bâton" montre que
Scapin ajoute maintenant les gestes à son jeu, puisque Géronte peut maintenant le voir,
augmentant ainsi l'effet comique. La fourberie continue, car Scapin n'a en réalité pas reçu de coups de bâton.
La didascalie "mettant la tête hors du sac" montre aussi le comique de la situation : un sac avec juste la tête de Géronte qui en dépasse.
Scapin est dans l'exagération, dans l'hyperbole "je suis tout moulu, et les épaules me font un mal épouvantable".
Dans le parallélisme de construction "GÉRONTE.- Comment, c'est sur les miennes qu'il a frappé. / SCAPIN.- Nenni, Monsieur, c'était sur mon dos qu'il frappait.", on a l'utilisation du passé composé pour Géronte ("il a frappé"), montrant une action antérieure, qui est finie, et l'utilisation de l'imparfait pour Scapin ("il frappait"), comme si l'action durait plus longtemps ce qui met en avant un aspect comique dû à l'exagération, encore une fois.
Même lors d'un retour à la normale Scapin s'oppose à son maître : "Nenni, Monsieur", "Non, vous dis-je". C'est impertinent de la part de Scapin.
La construction en chiasme insiste sur la douleur de Géronte : "J'ai bien senti les coups, et les sens bien encore" ([bien sentir][les coups] <=> [les][sentir bien]).
Géronte va tenter de retrouver sa supériorité, sa fonction de maître, avec une injonction au passé : "Tu devais donc te retirer…"
Mais c'est ce moment que Scapin choisit pour lui remettre de force la tête dans le sac (didascalie "Lui remettant la tête dans le sac") ! =>
lorsqu'il tente de montrer son rôle de maître, Géronte est coupé, Scapin l'empêche de le surpasser.
Scapin transgresse une fois de plus la relation maître/valet, alors que l'on avait l'illusion d'un retour à la normale, Scapin va recommencer ses ruses.
Conclusion
Cette scène 2 de l'Acte III des
Fourberies de Scapin est donc particulièrement jubilatoire car il s'y manifeste toutes les formes de comique : le comique de situation, de caractère, de gestes et de mots. Elle s'inscrit dans une double tradition : carnavalesque et farcesque. Le plaisir du spectateur est en outre redoublé par le double spectacle auquel il assiste et la complicité qui le lie successivement à chacun des personnages.
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