Plan de la fiche sur
La Lettre persane 29 (XXIX) de Montesquieu :
Avertissement
Le commentaire proposé ici n'est ni unique, ni parfait. Il a été envoyé par un visiteur du site. Il n'est proposé qu'à titre d'exemple pour vous aider. Ce n'est pas non plus une anti-sèche, mais plutôt une aide à la réflexion pour analyser le texte. Cela ne doit pas vous empêcher d'avoir votre propre réflexion ou d'avoir un avis critique envers le texte.
Introduction
Montesquieu, Charles de Secondat, baron de (1689-1755), homme de lettres
et philosophe français, qui fut notamment l'auteur de
Les Lettres persanes et
De l'esprit des lois.
Les Lettres Persanes est une uvre qui a été publiée
dans l'anonymat à Amsterdam, ceci en raison des risques dus au contenu
du texte. Ces lettres sont écrites par deux Persans, en visite en
Europe, pour un Perse resté au pays : IBBEN. Les Persans dans leur
pays vont leur répondre en disant les événements qui
se déroulent dans leur pays.
Il y a un côté romantique : exotique et un second aspect satirique : critique. Il va inciter ses concitoyens à se remettre en question
du fait des observations apportées par les Perses qui ont une vision
différente. Leurs discours sont une critique sociale, politique,
religieuse et morale.
Les années qui figurent à la fin des lettres sont fausses ceci
par précaution, pour ne pas être menacé. L'écriture
est naïve, légère. C'est un moyen de faire passer un message.
Toute la lettre 29 porte sur les problèmes religieux. Les Persans
vont parler de choses inconnues pour eux. En effet, ils étaient musulmans
et par conséquent surpris par le Pape, les évêques et
donc toute la hiérarchie catholique mais aussi des hérétiques,
condamnés par l'inquisition (tribunal ecclésiastique). Toute
la dernière partie de la lettre est consacrée à la justice
de l'église. Il est question dans le texte de l'intolérance et de l'église.
Texte de la lettre 29
RICA A IBBEN
A Smyrne.
Le pape est le chef des chrétiens. C'est une vielle idole qu'on encense par habitude. Il était autrefois redoutable aux princes mêmes, car il les déposait aussi facilement que nos magnifiques sultans déposent les rois d'Irimette et de Géorgie. Mais on ne le craint plus. Il se dit successeur d'un des premiers chrétiens, qu'on appelle saint Pierre: et c'est certainement une riche succession, car il a des trésors immenses et un grand pays sous sa domination.
Les évêques sont des gens de loi qui lui sont subordonnés, et ont sous son autorité deux fonctions bien différentes. Quand ils sont assemblés, ils font, comme lui, des articles de foi ; quand ils sont en particulier, ils n'ont guère d'autre fonction que de dispenser d'accomplir la loi. Car tu sauras que la religion chrétienne est chargée d'une infinité de pratiques très difficiles ; et, comme on a jugé qu'il est moins aisé de remplir ses devoirs que d'avoir des évêques qui en dispensent, on a pris ce dernier parti pour l'utilité publique : ainsi, si on ne veut pas faire de rahmazan, si on ne veut pas s'assujettir aux formalités des mariages, si on veut rompre ses voeux, si on veut se marier contre les défenses de la loi, quelquefois même si on veut revenir contre son serment, on va à l'évêque ou au pape, qui donne aussitôt la dispense.
Les évêques ne font pas des articles de foi de leur propre mouvement. Il y a un nombre infini de docteurs, la plupart dervis, qui soulèvent entre eux mille questions nouvelles sur la religion: on les laisse disputer longtemps, et la guerre dure jusqu'à ce qu'une décision vienne la terminer.
Aussi puis-je t'assurer qu'il n'y a jamais eu de royaume où il y ait eu tant de guerres civiles que dans celui du Christ.
Ceux qui mettent au jour quelque proposition nouvelle sont d'abord appelés hérétiques. Chaque hérésie a son nom, qui est, pour ceux qui y sont engagés, comme le mot de ralliement. Mais n'est hérétique qui ne veut: il n'y a qu'à partager le différend par la moitié, et donner une distinction à ceux qui accusent d'hérésie ; et, quelle que soit la distinction, intelligible ou non, elle rend un homme blanc comme de la neige, et il peut se faire appeler orthodoxe.
Ce que je te dis est bon pour la France et l'Allemagne : car j'ai ouï dire qu'en Espagne et en Portugal il y a de certains dervis qui n'entendent point raillerie, et qui font brûler un homme comme de la paille. Quand on tombe entre les mains de ces gens-là, heureux celui qui a toujours prié Dieu avec de petits grains de bois à la main, qui a porté sur lui deux morceaux de drap attachés à deux rubans, et qui a été quelquefois dans une province qu'on appelle la Galice ! Sans cela un pauvre diable est bien embarrassé. Quand il jurerait comme un païen qu'il est orthodoxe, on pourrait bien ne pas demeurer d'accord des qualités, et le brûler comme hérétique: il aurait beau donner sa distinction ; point de distinction ; il serait en cendres avant que l'on eût seulement pensé à l'écouter.
Les autres juges présument qu'un accusé est innocent : ceux-ci le présument toujours coupable. Dans le doute, ils tiennent pour règle de se déterminer du côté de la rigueur: apparemment parce qu'ils croient les hommes mauvais ; mais, d'un autre côté, ils en ont si bonne opinion, qu'ils ne les jugent jamais capables de mentir ; car ils reçoivent le témoignage des ennemis capitaux, des femmes de mauvaise vie, de ceux qui exercent une profession infâme. Ils font dans leur sentence un petit compliment à ceux qui sont revêtus d'une chemise de soufre, et leur disent qu'ils sont bien fâchés de les voir si mal habillés, qu'ils sont doux et qu'ils abhorrent le sang, et sont au désespoir de les avoir condamnés ; mais, pour se consoler, ils confisquent tous les biens de ces malheureux à leur profit.
Heureuse la terre qui est habitée par les enfants des prophètes ! Ces tristes spectacles y sont inconnus. La sainte religion que les anges y ont apportée se défend par sa vérité même ; elle n'a point besoin de ces moyens violents pour se maintenir.
A Paris, le 4 de la lune de Chalval, 1712.
Annonce des axes
I. Critique de l'inquisition
1. Tribunal ecclésiastique
2. Justice expéditive et arbitraire
3. Juges
II. Une lettre écrite par un étranger
1. Indices de lettres
2. Ecrite par un étranger
III. Tonalité
1. Termes en apparence inadaptés
2. Fausse logique
Commentaire littéraire
I. Critique de linquisition
Bien qu'elle ne soit pas nommément signalée, l'inquisition
est un symbole d'intolérance. Tandis qu'elle n'existait plus en France,
il l'évoque car l'intolérance existe toujours. Les Persans
emploient le terme "dervis" pour désigner leurs moines.
1. Tribunal ecclésiastique
Les moines sont des juges. On voit que l'on est dans le domaine de la justice
grâce au vocabulaire : "présumé, accusé,
innocent, juger, témoignage, sentence, condamner". On a tous les
éléments qui montrent que c'est un tribunal de justice religieux.
2. Justice expéditive et arbitraire
La justice est expéditive -> rythme
des phrases est rapide avec peu de subordonnées. "Brûler un
homme comme de la paille" fait allusion aux bûchers des
hérétiques et montre la rapidité du jugement et son aspect arbitraire. "Quand on tombe entre leurs mains" signifie qu'on ne peut
s'en échapper si ce n'est d'avoir un chapelet ou un scapulaire ou
encore le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Toutes
ces périphrases permettent de considérer que nous sommes ou
non hérétique. Mais en fait ces preuves matérielles
ne sont pas justes car on devrait croire ce que l'on dit. Ce ne sont pas
des preuves formelles.
3. Juges
Les juges sont sont critiqués à la fin du texte. Ces juges sont
dogmatiques car ils ont une présomption de culpabilité.
Montesquieu qui avait une formation juridique, reprochait aux juges de faire
la présomption de culpabilité alors qu'en général
on a la présomption d'innocence. Ils ont donc des préjugés.
Ils sont particulièrement stricts et rigoureux, hypocrites.
Tout ceci est rendu crédible du
fait de la naïveté de l'écriture car vu et écrit
par des étrangers.
II. Une lettre écrite par un étranger
1. Indices de lettres
Les premiers indices sont la date (calendrier musulman et européen).
L'origine de la lettre est mentionnée "De Paris". L'en-tête :
RICA A IBBEN A SMYRNE
(expéditeur) (destinataire) (ville destinatrice)
A l'intérieur, on emploie la 1ère ou 2ème personne du singulier.
2. Ecrite par un étranger
L'usage du calendrier persan, tout d'abord, mais aussi des références
à des termes non usités en France : "sultans, dervis,
prophètes". L'étranger qualifie le pape de "Chef des
Chrétiens". Il y a aussi un caractère approximatif des
connaissances : "j'ai ouï-dire". Il qualifie le chapelet de "petits
graines de bois à la main", le scapulaire de "deux morceaux de
draps
". L'emploi de périphrases montre aussi ses faibles
connaissances sur le christianisme.
III. Tonalité
1. Termes en apparence inadaptés
"n'entendent point raillerie" signifie quils ne comprennent
pas la plaisanterie ; "brûler un homme comme de la paille" apparaît comme quelque chose de très léger et qui n'est
qu'un fait un anodin alors que l'on tue un homme. On réagit à
ceci. Il joue sur le double sens des mots : "Diable", sur l'ambiguïté
du nom : "jurés" qui peut signifier juron ou jurer. Il emploie parfois
des termes inadéquats. Dans l'avant dernier paragraphe, il utilise
plutôt une apparence de logique.
2. Fausse logique
Les termes : "mais d'un autre côté" qui sont de liaison, "si
que" de conséquence, "car" de cause, montrent derrière leur
apparence, une incohérence. On a deux niveaux d'énonciation : un Persan qui décrit à sa manière ce qu'il voit. Le
second niveau est Montesquieu qui nous fait sentir que c'est un philosophe
qui s'adresse aux Français. En fait, il joue sur l'implicite, sur
les sous-entendus. Le dernier paragraphe conclut en donnant aux Français
un aspect de clémence et de paradis persan (alors qu'il n'en est pas
sûr) pour montrer l'absurdité de la justice française. Quand
il termine ainsi sur la violence, sur l'inquisition, ceci est une preuve
sur l'intolérance dans le domaine religieux, qui est visé et
dénoncé par ces Persans. "Leurs regards étonnés"
est utilisé de manière à devenir une critique. Ils ne
le sont pas en eux-mêmes, mais les Français le sont à
la lecture. Montesquieu utilise un regard étranger par ironie et pour se
protéger de la répression et de la censure.