Plan de la fiche sur
les Lettres persanes 11 et 12 de Montesquieu :
Introduction
Les lettres persanes publiées en 1721 se présentent
comme un roman épistolaire. Au début du 18
ème siècle,
le roman est un genre mal considéré.
Montesquieu choisit
la fiction du roman épistolaire pour donner une prétendue authenticité au
récit et aux critiques qu’il présente dans cet ouvrage et échapper à la
condamnation d’un genre bas. L’exotisme est à la mode, Montesquieu peut
espérer un succès auprès du public. Le roman épistolaire
permet de multiplier les points de vues et amener le lecteur à adopter
le regard de l’étranger.
L’histoire des Troglodytes se trouve dans un groupe de
lettres appartenant à la 1
ère partie qui relève
des récits de voyage (lettres 1 à 23). L’apologue dont nous allons étudier
la conclusion (lettres 11 à 14) et qui constitue la réponse du
sage Usbeck à son ami Mirza rester en Perse qui lui demandait d’expliciter
sa pensée quand il affirmait " [que] les hommes sont nés
pour être
vertueux, et [que] la justice est une qualité propre à l’existence ".
Mirza et Usbeck réfléchissaient alors à un sujet très
débattu en cherchant à déterminer " si les hommes étaient
heureux par les plaisirs et la satisfaction des sens ou par la pratique de la
vertu ".
Montesquieu prête ici à Usbeck une parabole
pseudo historique pour exposer son point de vue sur le bonheur et la vertu.
Or Montesquieu traite de thèmes essentiels à ses yeux puisque
les analyses des différentes formes de pouvoir seront longuement développées
dans l’œuvre de toute sa vie (De
l’Esprit des lois) mais sans changer les conceptions qu’il présente ici sous la
forme de mythe afin de mieux frapper ses contemporains.
Texte des lettres 11 et 12
Texte de la lettre persane 11 (XI)
Texte de la lettre persane 12 (XII)
Annonce des axes
I. Le jeu d'emboîtement dans le roman épistolaire
1. Une lettre fictive comme moyen de persuasion
2. Recours à l'apologue à l'intérieur de la lettre fictive
3. Le discours
II. La fragilité du régime politique
1. L'extrême instabilité des régimes politiques expérimentée par les méchants Troglodytes
2. La stabilité relative de l'organisation des bons Troglodytes
3. Conséquences de la comparaison de ces deux systèmes politiques
III. La leçon de philosophie politique donnée par l'apologue
1. Efficacité du recours au mythe et à l'histoire
2. La leçon du texte : difficulté de gérer l'attention entre intérêt général et intérêt particulier dans une société
Commentaire littéraire
I. Le jeu d’emboîtement dans le roman épistolaire
1. Une lettre fictive comme moyen de persuasion
- Il y a un destinataire, et un lieu
- Utilisation du calendrier arabe
- Pas de formule de politesse car → réponse à Mirza
- Dépaysement du lecteur, par les lieux, les dates, d’autant plus que
l’apologue et la parabole sont des procédés courants en Arabie.
2. Recours à l’apologue à l’intérieur de la lettre fictive
- Début de la lettre 11 : récit rapide
- " Il y avait en Arabie " rappel les contes et les mythes.
- Les imparfaits descriptifs : récit au passé
- " petit peuple " ; " bêtes " ; " homme " → vocabulaire neutre, des mots d’une grande généralité pour garder une universalité à sa réflexion
- Caractérisation des personnages très sommaire " méchant et féroces " ; " petit royaume " ; " peuple qui se rassemble " → référence à la démocratie athénienne
- " les peuples grandissaient de jours en jours "→ cela tient du mythe
- " le coup étant fait " ; " exterminèrent "→ opinion
du narrateur par l’insistance.
3. Le discours
- Effet d’authenticité, de rythme à la lettre.
- Ce discours met en évidence l’égoïsme des Troglodytes, leur
individualisme : " je " ; " me " ; " moi " et verbes pronominaux donnent beaucoup de relief à l’individualisme et
à l’égoïsme
- Négation " je ne me soucie point " reprise
de négation = indifférence par rapport aux autres.
Antithèse avec
le " je " et le groupe " je ne me soucie…les
autres Troglodytes soient miséreux "
- Questions rhétoriques qui soulignent le caractère odieux de ces affirmations → cynisme et méchanceté
- Abondance des pronoms personnels qui alourdissent la phrase l.20 à 23 → souligne
l’égoïsme et l’inconscience du personnage
- Dans la lettre 12 : utilisation de termes englobant tous les Troglodytes.
- Passage au discours direct donne plus de vie
- Lettre 12 : pas de discours car on ne peut pas les individualiser
- " tu as vu, mon cher Mirza " Montesquieu parle au lecteur " qui
pourrait …Troglodytes. "
- La construction en diptyque (en 2 volets symétriques et opposés)
permet de souligner l’opposition et la symétrie de 2 périodes
de l’histoire de ce peuple. " les peuples des montagnes et celui des
plaines " ; une opposition : 1 année de sécheresse
1 année d’inondation pour un même résultat
- Lettre 11 " si féroces… justice "
Lettre 12 " ils avaient de l’humanité… vertu ", le
civisme et la vertu apportent le bonheur aux hommes. Forme visant à séduire
et à persuader (rigueur de l’argumentation mais déguisée par une
fable orientale parce qu’elle vise un public mondain qu’il faut séduire et intéresser
pour convaincre).
II. La fragilité du régime politique
La lettre 12 montre la fragilité de la démocratie.
1. L’extrême instabilité des régimes politiques expérimentée par les méchants Troglodytes
- L’histoire → résumé de l’histoire des vieux Troglodytes
comme celle des Romains
- Comparaison à des animaux → absence d’organisation sociale
- Comparaison implicite aux serpents " ils ne sifflaient point "
- Sorte de royauté, " Ils avaient un roi [...] les traitait sévèrement " → retour
au despotisme des 1
er rois romains
- " d’origine étrangère " → les romains
n’ont pas supporté d’avoir des rois étrangers (Tarquin le Superbe : étrusque) → celui-ci
remplacé par des consuls
→ retour aux magistrats de Rome (2 consuls)
- " le coup étant fait " → terme péjoratif → ne
rien attendre de l’évolution qui va suivre. Pas de surprise de savoir
que les magistrats les agacent. Ce peuple ne supporte aucune contrainte
même quand c’est lui qui les fixe.
→ Anarchisme (pouvoir du plus fort) → période de guerre civile à Rome (après les consuls : affaiblissement).
En l’absence de pouvoir formel, l’égoïsme conduit à l’affaiblissement du peuple → disparition.
2. La stabilité relative de l’organisation des bons Troglodytes
Deux troglodytes à l’origine des bons Troglodytes : deux hommes singuliers qui vivent à l’écart
(pour éviter la violence des autres).
- Leur lieu de vie est vu comme une sorte d’Eden → récit
mythique
Deux hommes début de communauté → organisés pour vivre
en autarcie (fermés sur eux-mêmes)
- " ils aimaient leur femme…chéri " opposition
avec les mauvais Troglodytes.
- Ils se soucient de l’intérêt commun.
- Montesquieu présente l’image idyllique d’une vie communautaire, où règne
l’abnégation (oubli de soi) au profit de l’intérêt général.
Ils sont altruistes. Evolution inverse de la société des méchants
Troglodytes.
- " vertu bien loin de… multitude " → accroissement
biblique de la population.
- " jeune peuple " pas de sommaire, pour montrer la vertu.
- L’entre-aide et la vertu permettent au peuple de bien vivre " intérêt
commun " lettre 12 " ils travaillaient…commun…naître ".
- Le souci de l’autre est le fondement de la cohésion de ce peuple.
- " ils connaissent… "
- Répétition de " ils " → intérêt commun
- " toute leur attention… à la vertu " importance
de l’éducation → transmission des valeurs pour le maintien de la
société.
- La vertu et l’éducation → sont les facteurs de la cohésion
- " ils leurs représentaient sans cesse " ils
leurs montrent ce qu’il ne faut pas faire. Le besoin d’un repoussoir, Montesquieu
connaît
les faiblesses des hommes (Esprit des lois). Il sait que la Démocratie
est fragile car la vertu est difficile est atteindre.
3. Conséquences de la comparaison de ces deux systèmes politiques
- Ce diptyque nous offre les deux exemples et contre-exemples :
* Égoïsme → anarchie qui développe un grand individualisme qui fait passer de l’indifférence à la cruauté
* Stabilité du système des bons Troglodytes, complétée par d’autres exemples dans les Lettres persanes.
Le parallélisme est acceptable car c’est un
apologue.
- Beaucoup d’éléments vraisemblables → les caractéristiques " sécheresse " ; " arrosés "
Des hommes dépendants de la nature qui peuvent pâtir de la nature (les excès : eau, sécheresse) → épidémie, mort du peuple.
Les hommes doivent s’unir pour survivre, mais comme l’intérêt particulier
l’emporte sur l’intérêt commun cela entraîne la disparition
de l’homme.
- La lettre 12 montre que la vertu, la solidarité, l’altruisme, assurent la prospérité du
peuple. lettre 12 : " justice pour autrui " ; " charité pour
tous ".
- De la pratique de la vertu → naît spontanément une religion
naturelle : protection des Dieux qui vient confirmer le peuple troglodyte
dans ses choix. Le pluriel de " Dieux " → renvoie à un
cadre mythologique mais aussi de la conception déiste de certains philosophes
des lumières…
- La vertu, la religion adoucissent les mœurs → instance morale, perfectionnement
de l’homme. Montesquieu pense que les hommes peuvent être améliorés par
l’éducation et la religion.
III. La leçon de philosophie politique donnée par l’apologue
1. Efficacité du recours au mythe et à l’histoire
- Montesquieu invente un mythe fondateur pour ce peuple imaginaire.
- Le 18
ème siècle, comme le 17
ème siècle,
s’intéresse à l’utopie (cadre imaginaire, qui est un miroir),
elle déporte les critiques de la société dans un monde imaginaire → réflexion
du lecteur dans un autre cadre.
- Il conjugue le réel à l’utopie (l’histoire latine et la vie des
Troglodytes).
- La spéculation développée par Montesquieu s’inscrit dans
toutes une série de réflexion sur les systèmes politiques
et leur fondement, très courant au 18
ème siècle
(Condorcet, Montesquieu).
- L’aura mythique donnée aux acteurs (Troglodytes) permet de déjouer
la censure tout en offrant des raccourcis pour marquer les esprits de façon à ce
que Montesquieu montre et impose son idée essentielle : le bonheur lié à la
vertu, les peuples heureux sont ceux qui font passer l’intérêt général
avant le particulier.
2. La leçon du texte : difficulté de gérer l’attention entre intérêt général et intérêt particulier dans une société
- Montesquieu montre par divers exemples que l’injustice, la loi du plus fort, l’égoïsme entraînent nécessairement le malheur de l’individu et du peuple. La mise en relief des discours égoïstes, souligne leur sottise.
- Les interrogations des premières lignes et les affirmations finales démenties
par les anecdotes qui suivent.
- Dans la lettre 11, l’individualisme entraînant l’aveuglement de l’intérêt
commun et le refus d’obéissance aux lois est souligné par l’abondance
des pronoms personnels de la 1
ère personne, répétition
du pronom indéfini " chacun ". Tout ce qui concerne
l’individu et l’intérêt particulier → connotation positive ;
intérêt commun → connotation négative, dans la lettre 12 c’est
l’inverse. Montesquieu associe l’altruisme, l’intérêt commun à des
termes valorisant " tendrement chérie ". Système de balancier dans les deux textes et déséquilibre.
- Les facteurs de la perpétuation de la démocratie → par
l’éducation des enfants grâce à des exemples et contre-exemples (" multitude fortifiée par un grand nombre
d’exemples ").
- La morale de la religion n’apparaît qu’à la fin, pas de sauvetage
possible pour un homme seul, être social, la pratique de la vertu est
le ciment de toute société qui recherche le bonheur.
- Montesquieu renonce à représenter le bonheur des Troglodytes. La lettre
suivante va montrer que ce bonheur ne vas pas durer, équilibre fragile.
Les hommes ont besoin d’aide pour arriver à maintenir l’équilibre.
Montesquieu réfléchit par rapport à l’histoire.
Conclusion
Puisque Montesquieu s’adresse à un public mondain
un peu frivole et qu’il doit s’efforcer d’attirer leur attention sur un sujet
grave, il est adroit de répartir en 4 lettres la réponse complexe
du sage Usbeck à la question de son jeune ami Mirza et de recourir au
genre plaisant de l’apologue. Le genre renvoie aussi bien à la tradition
littéraire orientale qu’aux écrits des fabulistes antiques (Esope,
Phèdre) et tradition de la morale chrétienne. En effet, Montesquieu
insère adroitement un apologue mêlant récit et discours
dans son roman épistolaire. Il répartit sur des lettres différentes
(4) les épisodes les plus marquants d’une sorte de récit mythique
lui permettant d’illustrer par des exemples mi-imaginaires mi-historiques les
difficultés du choix et la préservation d’un régime politique
conforme à l’intérêt général. Il veut également
amener le lecteur à conclure avec lui qu’il n’y a
pas de bonheur égoïste
et qu’une organisation sociale équilibrée suppose que chacun renonce
quelque peu à son intérêt particulier au profit de l’intérêt
général.
En dépit de son apparence simpliste puisqu’il oppose
de façon parallèle
les bons aux mauvais Troglodytes, Montesquieu envisage les facteurs de corruption
et de décadence qui menace tous les régimes et plus particulièrement
le plus fragile de tous à son avis : la démocratie. Cela
est mis en évidence par les deux lettres suivantes consacrées
aux Troglodytes et est également développé dans
L’Esprit des lois.