Malgré leur culture commune, on remarquera des différences essentielles dans
leur personnalité.
La raison du départ d'Usbek en France est clairement énoncée. En effet, ayant combattu la corruption à sa cour, il s'est fait de nombreux ennemis et a décidé de partir en fuite, ses détracteurs complotant contre lui. Usbek est musulman, et en tant que sultan, il est propriétaire d'un sérail qui renferme les "plus belles femmes de Perse". Il entretient donc une correspondance régulière avec les eunuques chargés de les surveiller. C'est en fait un mari assez tyrannique qui usera de son pouvoir particulièrement dans la fin du roman où il se fera despotique ce qui entraînera sa chute. C'est ainsi que la dernière lettre de son séjour à Paris revêt des accents de pathétique.
Rica, d'origine plus modeste, est complètement différent d'Usbek. En partant
pour Paris, il n'a donc rien à perdre. Rica est dynamique; Usbek, dans la lettre
27 le confirmera d'ailleurs : "Rica jouit d'une santé parfaite: la force de sa
constitution, sa jeunesse et sa gaieté naturelle le mettent au-dessus de toute épreuve".
Son voyage à Paris est une sorte de voyage initiatique dont il sortira complètement
enjoué : "Il semble qu'il ait oublié sa patrie [...] ingratitude de la jeunesse
parvenue au terme de son initiation!" dira Usbek (cf. lettre 155).
Ibben est négociant à Smyrne, c'est un ami d'Usbek très curieux de connaître les mœurs des Français.
Rhédi est un jeune neveu d'Ibben. Il écrit de Venise et devient rapidement l'interlocuteur privilégié d'Usbek dès qu'il faut aborder de grandes questions philosophiques.
Mirza, Rustan ou encore Nessir sont des membres de la noblesse persane "éclairée".
Zachi et Zélis sont quelques-unes des femmes d'Usbek. Alors que Zachi se veut plutôt sensuelle, Zélis s'interroge sur la condition féminine. Roxanne pour sa part feint être vertueuse mais se révèle infidèle en cachant un jeune amant. Elle se suicidera à la fin du roman en clamant sa liberté.
Enfin, les eunuques, sont les gardiens noirs ou blancs des femmes du sérail et se révéleront despotiques sous les ordres d'Usbek en fin d'ouvrage.
La critique de la vie sociale est directement exprimée par Rica qui dira, s'étant rendu à la comédie française : "tout le peuple s'assemble sur la fin de l'après-midi et va jouer une espèce de scène". En fait, Montesquieu pense que la société française se donne en spectacle à elle-même et on peut supposer qu'il dénonce le ridicule de la vie mondaine.
Cette critique se retrouve jusque dans le milieu intellectuel et lettré avec par exemple l'allusion à la querelle des Anciens et des Modernes avec, il faut le noter, une fonction référentielle très poussée. De plus, la lettre 66, dénigre les auteurs de plagia lorsque Rica énonce : "De tous les auteurs, il n'y en a point que je méprise plus que les compilateurs, qui vont de tous les côtés chercher des lambeaux des ouvrages des autres qu'ils plaquent dans les leurs comme des pièces de gazon dans un parterre".
L'orgueil et la vanité sont également montrés du doigt toujours à travers les réflexions de Rica notamment en lettre 50 : "Je vois de tous côtés des gens qui parlent sans cesse d'eux-mêmes; leurs conversations sont un miroir qui présente toujours leur impertinente figure". On citera également, l'anecdote en lettre 52 où Rica raconte la médisance des quatre femmes de vingt, quarante, soixante et quatre-vingts ans tout en mettant en avant la coquetterie des femmes.
La principale source de critique politique est bien sûr le roi, c'est dire Louis XIV. Usbek trace un portrait de lui peu flatteur : à la fois avare et dépensier, lucide et aveugle mais surtout absolu, distribuant des récompenses ou blâmant de façon aléatoire. De plus Usbek refuse le despotisme et critique la monarchie de droit divin qui met en place un roi tel "un soleil qui porte partout la chaleur et la vie" en mettant Dieu au centre des affaires politiques.
Montesquieu dénonce aussi l'esclavage. C'est dans la lettre 118 par Usbek que cette critique se fait la plus acerbe : "Quant aux côtes de Guinée, elles doivent être sérieusement dégarnies depuis deux cents ans que les petits rois [...] vendent leurs sujets aux princes de l'Europe" en ajoutant : "Il n'y a rien se si extravagant que de faire périr un nombre innombrable d'hommes pour tirer du fond de la terre l'or et l'argent".
La principale critique faite à la religion est son obscurantisme comme en témoigne le dialogue entre Usbek et un dervis : "Ne voyez-vous pas que le Saint Esprit nous éclaire? Cela est heureux car de la manière dont vous en avez parlé je reconnais que vous avez un grand besoin d'être éclairé".
En outre, Montesquieu se veut démographe en dénonçant le célibat des prêtres et en finissant, en lettre 117 par les qualifier de "gens avares qui prennent toujours et ne rendent jamais".
Mais surtout, Montesquieu condamne l'intolérance religieuse dont il regrette les conséquences violentes. Aussi, il le fera comprendre, par l'intermédiaire d'Usbek dès la lettre 85 : "Ce n'est point la multiplicité des religions qui a produit les guerres, c'est l'esprit d'intolérance de celle qui se croyait la dominante".
D'une part, Montesquieu a préféré publier son roman à Amsterdam sans nom d'auteur.
D'autre part, on remarque la suppression des noms et leur remplacement par des périphrases du type : "le chef des chrétiens" pour désigner le pape ou encore "le prince" pour désigner Louis XIV.
Le fait que deux persans voyageant en France portent un jugement sur la société française participe de la fausse naïveté du roman avec le pittoresque de l'Orient.
Voltaire reprendra le même procédé vingt ans plus tard avec Zadig ou Candide.
Chaque épistolier possède son ton, sa personnalité permettant alors au lecteur de choisir quel regard il préfère, les deux personnages se partageant la critique.
1. L'éloge des valeurs morales
Dans les Lettres persanes, l'éloge de la liberté est incarné par un seul personnage, Roxanne, une des femmes d'Usbek qui en révolte contre le despotisme de son maître et contre le statut de "femme-objet" préférera se donner la mort.
La raison est une composante essentielle de la philosophie de Montesquieu. Dans la lettre 97, Montesquieu explique que grâce à elle : "les hommes ont débrouillé le chaos et ont expliqué par une mécanique simple l'ordre de l'architecture divine". De plus, toujours dans la même lettre, "la raison a permis la découverte de cinq ou six vérités".
La question est posée par Mirza dans la lettre 10 : "Hier on mit en question si les hommes étaient heureux par les plaisirs et les satisfactions des sens, ou par la pratique de la vertu".
C'est la fable des Troglodytes qui continue sur le sujet. Le Troglodytes se réjouissent du travail productif, de l'amitié et de la famille, ils vivent en harmonie avec la nature et les dieux : "ils travaillaient avec une sollicitude commune pour l'intérêt commun; ils n'avaient de différends que ceux qu'une douce et tendre amitié faisaient naître [...] ils menaient une vie heureuse et tranquille".
Au cours du roman, Montesquieu passe en revue différents types de pouvoirs.
La monarchie est selon Usbek "un état violent qui dégénère toujours en despotisme". (cf. lettre 131)
Montesquieu parlementaire prône une séparation des pouvoirs et le type de régime qui s'en rapproche le plus semble être la monarchie parlementaire des Anglais d'autant plus que Montesquieu avait passé plus d'un an et demi en Angleterre à comparer les lois, les institutions à celles de France.
L'idéal de justice pour Montesquieu est une justice indépendante qui ne serait pas divine : "Quand il n'y aurait pas de Dieu nous devrions toujours aimer la justice". Selon Montesquieu, la justice est "éternelle et ne dépend point des conventions humaines" (cf. lettre 83).