Les Liaisons dangereuses

Choderlos de Laclos

Lettre 47






Plan de la fiche sur la lettre 47 de Les Liaisons dangereuses de Laclos :
Introduction
Lecture de la lettre 47
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

 L'œuvre :
   Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos est un roman épistolaire entre un groupe d'aristocrates dont le Vicomte et la Marquise de Merteuil, des libertins et des anciens amants. Dans ce roman Laclos dénonce l'immortalité du libertinage, les jeux cyniques de séduction, les perversités du milieu privilégié se faisant un loisir de jouer avec les sentiments des autres.

 Situation du passage dans l'œuvre :
   La Marquise de Merteuil qui passe pour une vertueuse dévote a passé un marché avec son ancien amant : s'il parvient à séduire Mme de Tourvel, elle acceptera de se donner à nouveau à lui. Ces deux personnes cherchent toujours à rivaliser. La lettre 47 est écrite alors que le Vicomte tente par tous les moyens de vaincre les résistances de Mme Tourvel.

Les Liaisons dangereuses - Choderlos de Laclos



Lecture de la lettre 47

LETTRE XLVII
LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL

Je ne vous verrai pas encore aujourd'hui, ma belle amie, et voici mes raisons, que je vous prie de recevoir avec indulgence.

Au lieu de revenir hier directement, je me suis arrêté chez la Comtesse de ***, dont le château se trouvait presque sur ma route, et à qui j'ai demandé à dîner. Je ne suis arrivé à Paris que vers les sept heures, et je suis descendu à l'Opéra, où j'espérais que vous pouviez être.

L'Opéra fini, j'ai été revoir mes amies du foyer ; j'y ai retrouvé mon ancienne Emilie, entourée d'une cour nombreuse, tant en femmes qu'en hommes, à qui elle donnait le soir même à souper à P... Je ne fus pas plus tôt entré dans ce cercle, que je fus prié du souper, par acclamation. Je le fus aussi par une petite figure grosse et courte qui me baragouina une invitation en français de Hollande, et que je reconnus pour le véritable héros de la fête. J'acceptai.

J'appris, dans ma route, que la maison où nous allions était le prix convenu des bontés d'Emilie pour cette figure grotesque, et que ce souper était un véritable repas de noces. Le petit homme ne se possédait pas de joie, dans l'attente du bonheur dont il allait jouir ; il m'en parut si satisfait, qu'il me donna envie de le troubler ; ce que je fis en effet.

La seule difficulté que j'éprouvai fut de décider Emilie que la richesse du Bourgmestre rendait un peu scrupuleuse. Elle se prêta pourtant, après quelques façons, au projet que je donnai, de remplir de vin ce petit tonneau à bière, et de le mettre ainsi hors de combat pour toute la nuit.

L'idée sublime que nous nous étions formée d'un buveur Hollandais nous fit employer tous les moyens connus. Nous réussîmes si bien, qu'au dessert il n'avait déjà plus la force de tenir son verre : mais la secourable Emilie et moi l'entonnions à qui mieux mieux. Enfin, il tomba sous la table, dans une ivresse telle, qu'elle doit au moins durer huit jours. Nous nous décidâmes alors à le renvoyer à Paris ; et comme il n'avait pas gardé sa voiture, je le fis charger dans la mienne, et je restai à sa place. Je reçus ensuite les compliments de l'assemblée, qui se retira bientôt après, et me laissa maître du champ de bataille. Cette gaieté, et peut-être ma longue retraite, m'ont fait trouver Emilie si désirable, que je lui ai promis de rester avec elle jusqu'à la résurrection du Hollandais.

Cette complaisance de ma part est le prix de celle qu'elle vient d'avoir, de me servir de pupitre pour écrire à ma belle Dévote, à qui j'ai trouvé plaisant d'envoyer une Lettre écrite du lit et presque d'entre les bras d'une fille, interrompue même pour une infidélité complète, et dans laquelle je lui rends un compte exact de ma situation et de ma conduite. Emilie, qui a lu l'Epître, en a ri comme une folle, et j'espère que vous en rirez aussi.

Comme il faut que ma Lettre soit timbrée de Paris, je vous l'envoie ; je la laisse ouverte. Vous voudrez bien la lire, la cacheter, et la faire mettre à la Poste. Surtout n'allez pas vous servir de votre cachet, ni même d'aucun emblème amoureux ; une tête seulement. Adieu, ma belle amie.

P.S. : Je rouvre ma Lettre ; j'ai décidé Emilie à aller aux Italiens. Je profiterai de ce temps pour aller vous voir. Je serai chez vous à six heures au plus tard ; et si cela vous convient, nous irons ensemble sur les sept heures chez Madame de Volanges. Il sera décent que je ne diffère pas l'invitation que j'ai à lui faire de la part de Madame de Rosemonde ; de plus, je serai bien aise de voir la petite Volanges.

Adieu, la très belle dame. Je veux avoir tant de plaisir à vous embrasser que le Chevalier puisse en être jaloux.

De P. . , ce 30 août 17**

Les Liaisons dangereuses - Laclos



Liaisons dangereurses - Lettre 47
"j'ai trouvé plaisant d'envoyer une Lettre écrite du lit et presque d'entre les bras d'une fille"
Illustration de Lingée



Annonce des axes

I. Un libertin en action
1. L'art du libertin de se mettre en scène
2. La psychologie et les plaisirs du libertin

II. Une peinture sociale
1. Les relations sociales
2. L'omniprésence des lieux de spectacle
3. Une société corrompue



Commentaire littéraire

I. Un libertin en action

1. L'art du libertin de se mettre en scène

    Dans cette lettre, le Vicomte raconte à la Marquise les circonstances qui l'ont empêché de la voir, il prend le prétexte de ce retard pour raconter son histoire.
    Les paragraphes donnent au récit un caractère morcelé même si la narration qui suit la chronologie des faits mais surtout à travers ce récit un double plaisir, celui de raconter un plaisir savoureux et celui de faire état de ses talents de libertin. Il raconte ses prouesses et surtout il explique comment il a berné son hôte en le privant des plaisirs qu'il a achetés fort cher.
    Les marques du récit sont omniprésentes :
        Les indices chronologiques (adverbes et compléments de temps) sont nombreux.
        Valmont emploie les temps du récit : le passé simple et le passé composé.
     Remarque : le présent n'apparaît que rarement dans la lettre.
Cependant le Vicomte ne fait pas un récit neutre, il se délecte de ce qu'il raconte.
    Il met en valeur son ancienne maîtresse Emilie. Elle est nommée plusieurs fois. Ce personnage est mis en valeur car elle est complice du tour joué au hollandais et à Mme de Tourvel. Les adjectifs insistent sur le charme et l'habilité du personnage.
    Il dévalorise et montre en revanche du mépris pour son hôte. Il est simplement nommé par son rang administratif ("bourgmestre"). Sa description est peu élogieuse : emploi d'adjectifs dépréciatifs. Ce personnage est présenté de façon de plus en plus laide.

Conclusion : Tous ces éléments (jugements de valeurs : modalisations) indique que Valmont éprouve un véritable plaisir à faire ce récit à la Marquise. Il fait le récit de son triomphe en se mettant au centre de la scène.


2. La psychologie et les plaisirs du libertin

    Le libertinage dans cette lettre s'affirme sur deux plans, il se joue du bourgmestre, prend sa place, se réserve ses satisfactions et comme si cela ne suffisait pas, il fait preuve de perversion du cynisme à l'égard de Mme de Tourvel.
  La volonté de troubler : Le libertin est toujours avide d'affirmer sa force, son habilité et surtout il agit selon un plan, froidement, méthodiquement. Tout d'abord il s'allie avec Emilie ("La seule difficulté que j'éprouvai fut de décider Emilie..."), il arrive à ses fins par l'ivresse et finalement obtient les faveurs d'Emilie, profitant ainsi du prix qu'a payé son hôte. Son désir est tout de suite de "troubler" l'ordre des choses. Il veut détruire et mettre le désordre dans ce qui était organisé. Il est aussi soucieux de saccager un plaisir dont il est jaloux. Le vocabulaire qui décrit les sentiments du Hollandais ("ne se possédait pas de joie", "il m'en parut si satisfait") est révélateur de son mépris et de son sentiment de supériorité. De plus sa satisfaction est accrue par le fait de savoir que cela se passe chez son hôte ("et je restai à sa place").
    Le plaisir de l'hypocrisie amoureuse : La lettre est l'autre exploit libertin de Valmont. Il se délecte de sa propre perversité, du plaisir de la trahison et du mensonge.
    Il utilise Emilie comme pupitre (comme un objet) ("de me servir de pupitre pour écrire à ma belle Dévote")pour écrire sa lettre d'amour, la rédaction en est interrompue par "une infidélité complète" (euphémisme qui indique qu'ils ont eu une relation pendant l'écriture de la lettre). Il la fait lire ensuite à son amante. Il utilise ensuite des termes hyperboliques laisse penser que cette lettre est un chef d'œuvre d'hypocrisie et de langage a double sens. De plus, au sommet du libertinage il ne résiste pas de faire lire cette lettre à la Marquise. La trahison est double.

CONCLUSION : Le libertin apparaît comme égocentrique, narcissique, il aime mettre en scène ses exploits. Il se montre comme quelqu'un de jaloux du bonheur des autres, c'est un hypocrite pervers, un individualiste…
Cependant il a besoin du regard des autres pour que ces exploits soient reconnus.




II. Une peinture sociale

    Cette lettre est également révélatrice des mœurs de l'époque et surtout elle a l'air de présenter une avancée du libertinage dans la société.

1. Les relations sociales

Ces relations se caractérisent par l'aisance, la familiarité, la facilité. La seule préoccupation de cette société est de se retrouver et de se distraire : bien boire, bien manger, donner des soupers fastueux ("un véritable repas de noces"), vivre dans le luxe ("richesse").

2. L'omniprésence des lieux de spectacle

Ici se sont surtout des lieux où l'on se montre et qui favorisent les rencontres.
Remarque : D'ailleurs Valmont ne parle aucunement de ce qu'il y a vu.

3. Une société corrompue

Cette lettre met en relief le caractère immoral de ceux que fréquentent le Vicomte, leur absence de scrupules.
  Le Hollandais est un riche qui veut s'offrir les faveurs d'une courtisane.
  Emilie est une femme qui se vend ("Emilie que la richesse du Bourgmestre rendait un peu scrupuleuse") et qui va trahir son "acheteur".
  Les membres de l'assemblée ont, semble-t-il, les mêmes façons de voir et de penser que le Vicomte ("Je reçus ensuite les compliments de l'assemblée").





Conclusion

    Un libertin sans scrupules dans une société peu recommandable qui s'adonne aux plaisirs, aux luxes.
Laclos dénonce le libertinage et aussi la société aristocratique qu'il considère comme une société inutile qui s'ennuie, qui ne fait rien. Il noircit la psychologie et le caractère des aristocrates.


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Merci à Margot pour cette analyse de la lettre 47 de Les Liaisons dangereuses de Laclos