Chérubin ne compte plus que sur le pouvoir de sa "belle marraine", la Comtesse dont nous apprenons qu’il est le filleul. Elle seule peut apaiser le courroux du maître, ce que Chérubin énonce dans cette hypothèse : "Si Madame, ma belle marraine ne parvient pas à l’apaiser..."
Le page vient donc chercher de l’aide auprès de Suzanne qu’il souhaiterait voir intercéder en sa faveur et l’expression "Depuis deux heures, j’épie le moment de te trouver seule..." montre qu’il se cache.
2. Une scène encadrée par un même danger
Elle s’ouvre sur l’annonce d’une sanction "moi, je vais partir" et le récit d’un
affrontement "il s’est mis dans une fureur en me voyant".
Le page revit ces terribles moments et mime le Comte brutal et menaçant : "sortez..."
Certes le jeu va l’aider à surmonter sa peur mais le danger réapparaît en fin
de scène : "Chérubin voit le Comte entrer..."
3. L’arrivée du Comte
Nous voyons ainsi que le Comte glace les deux jeunes gens par sa seule présence en brisant leur univers ludique. Son irruption fait aussitôt disparaître le page épouvanté.
L’indication scénique "il se jette avec effroi" souligne la violence du geste et l’émotion.
La très brève réplique "Je suis perdu" a une connotation tragique et renforce ainsi l’imminence et la gravité du danger.
La construction de la scène souligne donc la situation de Chérubin à savoir celle d’un personnage menacé.
Pourtant, malgré l’ombre menaçante du Comte qui projette les personnages vers le drame, la scène est paradoxalement d’une irrésistible gaieté; ce qui nous amène à notre deuxième axe de lecture.
II. La gaieté
Pleine de rythme et d’humour, la scène se caractérise par son rythme étourdissant et l’originalité du jeu scénique.
1. Un univers ludique où les deux jeunes gens se séduisent et s’affrontent
De brèves répliques se font écho car Suzanne cherche à surprendre, à repousser les avances du page. En répétant les mêmes mots, elle souligne malicieusement les hardiesses de Chérubin.
- "mon cœur" / "son cœur"
- "amuser mon cœur" / "amuser votre cœur".
Suzanne s’amuse aussi à inverser l’effet de menace, toujours dans un effet de symétrie : "mille baisers"- "mille soufflets". Ces parallélismes créent un univers vif et gai puisque les personnages jouent sur les mots.
Le jeu est présent tout au long de la scène et cet échange met en valeur l’esprit des personnages et celui de Beaumarchais.
Tout vient donc souligner les railleries de la camériste qui feint de s’indigner et tient à distance Chérubin par sa malice et par son humour.
D’ailleurs les didascalies vont toutes dans ce sens "Suzanne le contrefait", "raillant", "Suzanne riant".
2. Distance avec laquelle Suzanne traite les élans de l’amoureux
Elle se moque et parodie : "Suzanne, raillant. Hélas !..."
En fait elle refuse de prendre Chérubin eu sérieux et répond à ses déclarations par des exclamations stupéfaites : "il devient fou".
Elle le gronde mais le protège. Chaque reproche est presque annulé par l’adjectif "petit" qui est un terme de tendresse :
- comme l’oxymore "vous serez le plus grand petit vaurien"
- "petit scélérat"
- "petit voleur"
L’accusation est bien réelle mais sans cesse l’humour et l’affection viennent la nuancer.
Suzanne sent bien l’audace de Chérubin, mais malgré son exaspération "et vous m’en contez à moi par-dessus le marché !", elle ne se met jamais en colère car elle excuse son très jeune âge : "si ce n’était pas un morveux sans conséquence..."
3. La gestuelle renforce la gaieté de cet échange
Le ruban de nuit de la Comtesse devient de cette manière l’enjeu d’un combat coquin.
De multiples indications animent les didascalies : "vivement", "tourne autour", "arrache la romance" qui sont renforcées par la poursuite effrénée.
On peut donc dire que la scène s’emporte.
Le fauteuil devient à son tour objet de jeu et le mouvement se suspend un instant pour permettre le marchandage de Chérubin, à savoir échanger la romance contre le ruban ?
La scène offre ainsi un jeu endiablé que viennent souligner ruptures, échos et changements de rythme. Elle dévoile d’autres traits du caractère de Suzanne qui montre sa capacité à s’adapter et à régir à l’audace du garçon mais elle révèle surtout toutes les facettes du personnage de Chérubin.
III. Chérubin amoureux
Chérubin s’affirme comme un petit polisson ainsi le montre l’air "piteux" qu’il prend, comme un enfant qui aurait fait une bêtise. Mais c’est aussi un adolescent passionné, ivre d’amour.
1. Le polisson : Dom Juan
On a une évocation fugitive de Fanchette qui est de l’âge de Chérubin et qui l’a accueilli chez elle. Quant à Suzanne, elle est franchement courtisée. Le jeune noble la tutoie, il s’autorise des hardiesses, essaie de la séduire et protégé par le jeu, il multiplie les avances.
Suzanne va révéler le donjuanisme de Chérubin en montrant que pour lui toutes les femmes sont désirables.
On peut en conclure que Chérubin est bien un Dom Juan enfant si l’on excepte la perversité du séducteur légendaire dont il est exempt.
Car cet amour reste avant tout enfant.
2. L’amour enfant
Chérubin n’ose pas tout à fait sortir de l’enfance comme le montrent ces répliques puériles :
"tu sais bien méchante...", "Fanchette est douce..."
Avec la Comtesse, l’amoureux est plus timide encore. Ses mots marquent le respect presque la crainte : "Qu’elle est noble..."
Le désir est ici comme interdit. C’est pourquoi Chérubin s’attarde avec volupté dans le rêve que provoque l’évocation des épingles et que souligne le conditionnel "je donnerais...". Comme le dira plus tard la Comtesse (acte IV - scène 8), "aux enfants, tout sert de hochet", le page audacieux s’empare ensuite du ruban de nuit, objet chaste mais porteur de rêves.
De même la romance souligne le caractère tendre et sentimental.
Les objets acquièrent ici une valeur sensuelle ce qui nous amène à analyse la découverte de la sensualité par Chérubin.
3. Chérubin amoureux de l’Amour : découverte de la sensualité
Chérubin s’étonne de sa métamorphose : "je ne sais plus qui je suis". Ses sens sont bouleversés comme l’indiquent les verbes "agiter", "palpiter", "tressaillir", "troubler".
Le désir est mis en relief par l’italique des termes "amour", "volupté", "je vous aime".
Dans ces lignes, le jeune homme dévoile don cœur à Suzanne. Sa tirade dépeint des désirs illimités, sans but et sans objet. "enfin le besoin... paroles perdues".
Chérubin apparaît comme un adolescent romantique ce qui se voit dans sa manière d’associer amour et nature.
Pourtant la comédie est toujours là comme le montre l’exemple de Marceline "hier, je rencontrai Marceline..." ce qui entraîne le rire de Suzanne car Marceline nous a été présentée comme une vieille duègne revêche.
Ainsi les différentes facettes de Chérubin se superposent sans cesse, il est à la fois polisson, Dom Juan enfant et sincère adorateur de l’Amour.