Plan de la fiche sur la scène 9 de l'acte II de
Le Mariage de Figaro de Beaumarchais :
Introduction
Dans
Le Mariage de Figaro,
Beaumarchais reprend un personnage du
Barbier de Séville : Figaro.
Cette pièce du siècle des Lumières a été jouée pour la première fois en 1784 (mais écrite en 1778). Elle est l'occasion pour Beaumarchais de
réaliser une satire sociale, tout en divertissant son public.
Dans cette
scène 9 de l'acte 2, Suzanne a laissé Chérubin seul avec la comtesse, bien embarrassés tous les deux. Les rêveries menacent de se transformer en réalité ; on ne sait ce que la comtesse, plus réservée que quand elle se laisse aller à son imagination, pourrait bien laisser dire au jeune page, dans une scène qui est comme suspendue, tout entière placée sous le signe de l’attente.
Lecture de la scène
Acte II - Scène IX
CHÉRUBIN, à genoux ; LA COMTESSE, assise.
Chérubin, les yeux baissés.
Celui qui m’est ôté m’aurait guéri en moins de rien.
La Comtesse.
Par quelle vertu ? (Lui montrant le taffetas.) Ceci vaut mieux.
Chérubin, hésitant.
Quand un ruban… a serré la tête… ou touché la peau d’une personne…
La Comtesse, coupant la phrase.
… Étrangère, il devient bon pour les blessures ? J’ignorais cette propriété. Pour l’éprouver, je garde celui-ci qui vous a serré le bras. À la première égratignure… de mes femmes, j’en ferai l’essai.
Chérubin, pénétré.
Vous le gardez, et moi je pars !
La Comtesse.
Non pour toujours.
Chérubin.
Je suis si malheureux !
La Comtesse, émue.
Il pleure à présent ! C’est ce vilain Figaro avec son pronostic !
Chérubin, exalté.
Ah ! je voudrais toucher au terme qu’il m’a prédit ! Sûr de mourir à l’instant, peut-être ma bouche oserait…
La Comtesse l’interrompt, et lui essuie les yeux avec son mouchoir.
Taisez-vous, taisez-vous, enfant. Il n’y a pas un brin de raison dans tout ce que vous dites. (On frappe à la porte, elle élève la voix.) Qui frappe ainsi chez moi ?
Le Mariage de Figaro - Beaumarchais - Acte II scène 9
Annonce des axes
Sous les paroles
Le ruban symbolique
Les mots de l’amour
Commentaire littéraire
Sous les paroles
Cette scène d’aveu, incomplète sur le plan des paroles, se joue bien plus profondément encore dans les gestes, les attitudes. Chérubin, poussé par Suzanne, est à genoux, attitude classique de la déclaration d’amour.
Si la comtesse lui coupe d’abord la parole, refusant en quelque sorte la communication, on observera qu’une autre communication se fait, celle des corps. Un contact physique (la comtesse soignant le bras du page) est l’horizon de cette scène érotisée par le face-à-face, par le costume du page (à demi-dénudé), et surtout par la circulation de l’objet symbolique, taché de sang comme pour mieux incarner les corps qu’il a touché.
Le ruban symbolique
Le page a volé le ruban à la comtesse, elle veut le reprendre, non pas tant parce qu’elle tient à l’objet que parce qu’il a été en contact avec le corps de Chérubin. Par ailleurs, quand elle évoque une "égratignure... de mes femmes", on comprend bien, dans l’hésitation, que c’est de son propre corps qu’il s’agit.
Le ruban incarne ainsi un contact interdit, il permet l’aveu, à demi-mots, du désir.
Et la communication est parfaite, si l’on observe non plus les paroles, mais les didascalies et la gradation de l'intensité des émotions qu'elles décrivent : Chérubin a d’abord "
les yeux baissés", puis il est "
hésitant", puis "
pénétré", puis "
exalté".
A cette montée d’enthousiasme répond l’attitude de la comtesse, qui commence par lui couper la parole pour ensuite être "
émue", et oser enfin ce contact physique qui est l’enjeu même de la scène : lui essuyant les yeux avec son mouchoir, elle accomplit enfin le geste qu’ils attendaient tous les deux, ce geste qui incarne un partage de l’émotion, et par là du sentiment. Essuyer les larmes du page, ce n’est pas tant le prendre pour l’enfant qu’il est encore que donner un gage à l’amant qu’il est en voie de devenir.
Les mots de l’amour
Parler : voilà ce que Chérubin n’ose faire, ce qu’il tente pourtant, s’animant peu à peu.
La comtesse lui coupe d’abord la parole, et tente maladroitement de faire de l’esprit, en rompant le fil du discours amoureux : "une personne... / - Etrangère, il devient bon pour les blessures ?" Mais son ironie se transforme en mensonge, un mensonge avoué dans l’hésitation qui la saisit. De fait, elle se laisse peu à peu dire ce qu’elle refusait d’abord d’entendre, et l’émotion finit par gagner ses propres paroles, dans un discours de pure dénégation : "Taisez-vous, taisez-vous, enfant" ; on lui demande de se taire, on le réduit à l’enfant qu’il n’est déjà plus, mais on s’agite, on trahit son émotion par la répétition.
Conclusion
Dans cette scène 9 de l'acte II du
Mariage de Figaro, la parole rejoint ici ce qui s’était déjà avoué dans la chair : un désir partagé. S’étonnera-t-on dès lors s’il faut que revienne le souvenir du monde extérieur, pour que s’interrompe ce mouvement partagé, cette folie qui mène tout droit au lit de la comtesse ?