Le XVIIème siècle a consacré la gloire de Molière, et fixé, avec Racine, les règles immuables de la tragédie. Le XVIIIème siècle est marqué par l’activité philosophique et le théâtre suit ce changement de mentalité. Il s’offre comme une peinture sociale. La société est progressivement modifiée par des réalités économiques nouvelles.
Dans Le Mariage de Figaro, Beaumarchais reprend un personnage du Barbier de Séville : Figaro.
Cette pièce du siècle des Lumières a été jouée pour la première fois en 1784 (mais écrite en 1778).
Dans cette scène 16 de l'Acte II, Beaumarchais défend la cause des femmes.
Lecture de la scène 16 de l'acte III
Le Mariage de Figaro - Beaumarchais
ACTE III - Scène 16 (extrait)
[...]
BARTHOLO.
Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable. MARCELINE, s'échauffant par degrés.
Oui, déplorable, et plus qu'on ne croit ! Je
n'entends pas nier mes fautes ; ce jour les a trop bien prouvées ! mais qu'il est dur de
les expier après trente ans d'une vie modeste ! J'étais née, moi, pour être sage, et je la
suis devenue sitôt qu'on m'a permis d'user de ma raison. Mais dans l'âge des
illusions, de l'inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent pendant
que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d'ennemis
rassemblés ? Tel nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées ! FIGARO.
Les plus coupables sont les moins généreux ; c'est la règle. MARCELINE, vivement.
Hommes plus qu'ingrats, qui flétrissez par le mépris les
jouets de vos passions, vos victimes ! C'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre
jeunesse ; vous et vos magistrats, si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent
enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul
état pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des
femmes : on y laisse former mille ouvriers de l'autre sexe. FIGARO, en colère.
Ils font broder jusqu'aux soldats ! MARCELINE, exaltée.
Dans les rangs même plus élevés, les femmes n'obtiennent de
vous qu'une considération dérisoire ; leurrées de respects apparents, dans une
servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos
fautes ! Ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié ! FIGARO.
Elle a raison ! LE COMTE, à part.
Que trop raison ! BRID'OISON.
Elle a, mon-on Dieu, raison ! MARCELINE.
Mais que nous font, mon fils, les refus d'un homme injuste ? Ne
regarde pas d'où tu viens, vois où tu vas : cela seul importe à chacun. Dans quelques
mois ta fiancée ne dépendra plus que d'elle-même ; elle t'acceptera, j'en réponds. Vis
entre une épouse, une mère tendre qui te chériront à qui mieux mieux. Sois indulgent
pour elles, heureux pour toi, mon fils ; gai, libre et bon pour tout le monde ; il ne
manquera rien à ta mère.
[...]
Vidéo de la scène 16 de l'acte III
Annonce des axes
I. Une critique de départ qui fait évoluer une situation
1. Une défense qui vire à l’attaque
2. La réaction des hommes
3. Un retour au calme
II. Les procédés de l’argumentation
1. Opposition homme/ femme
2. Une expression forte
3. Des antithèses, parallélismes qui révèlent la condition injuste des femmes
III. Une comédie inspirée du drame
1. Le mélange des genres
2. La prose
3. Mise en scène réaliste
Commentaire littéraire
I. Une critique de départ qui fait évoluer une situation
1. Une défense qui vire à l’attaque
Marceline se défend en accusant dans un discours compact et vif. Elle dénonce :
La responsabilité des hommes ("les séducteurs nous assiègent pendant que la misère nous poignarde", "Tel nous juge ici sévèrement", "Hommes plus qu'ingrats", "les femmes n'obtiennent de vous qu'une considération dérisoire"...).
La condition sociale difficile de bien des femmes ("que peut opposer une enfant à tant d'ennemis rassemblés", "une considération dérisoire", "une servitude réelle"...).
Leur manque d’éducation.
La condition juridique des femmes ("traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes") : la gestion des biens confiée aux hommes.
L’hypocrisie des hommes, ils sont juges de leurs victimes ("Tel nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées !", "vos victimes").
=> Tout cela discrédite le jugement des hommes.
2. La réaction des hommes
Ils appuient les dires de Marceline avec une forme amplificative "ils font broder jusqu’aux soldats".
Ils s’exclament, se répètent entre eux => efficacité du discours de Marceline.
Ils laissent parler Marceline : elle domine sur le plan de la parole. Les hommes l’écoutent.
3. Un retour au calme
Alors qu’au début, le rythme monte avec l’indignation, le dernier dialogue de Marceline s’adoucit. Exclamations et apostrophes aux hommes font place aux déclaratives et impératives. Le vocabulaire fort est remplacé par un vocabulaire plus doux "tendres", "chérirons", "indulgent", "libre". Une fois qu’elle a convaincu, Marceline propose une solution pour le bonheur "il ne manquera rien à ta pauvre mère".
II. Les procédés de l’argumentation
1. Opposition homme/ femme
Utilisation d'un vocabulaire péjoratif pour les hommes : "ingrats", "mépris", "vains", "horreur ou pitié"… celui des victimes pour les femmes "jouets", "victimes", "infortunées".
Les verbes : ce sont les hommes qui agissent sur les femmes : "m’a permis d’user", "nous assiègent", "nous poignarde", "nous juge", "flétrissez".
2. Une expression forte
Exclamatives, interrogatives, apostrophes aux hommes, hyperboles : "tant d’ennemis rassemblés ?", "Hommes plus qu'ingrats", "c’est vous qu’il faut punir", "sous tous les aspects", "Ah !", "si vains", "est-il un seul", "mille ouvriers"...
Marceline utilise le champ lexical de la justice pour donner du sens à ses propos : "juge", "victime", "punir", "magistrats", "coupable"...
3. Des antithèses, parallélismes qui révèlent la condition injuste des femmes
Marceline fait preuve d'éloquence, par exemple :
- "leurrées de respects apparents dans une servitude réelle", "les rangs les plus élevés / considérations dérisoires"
- la construction parrallèle de la phrase "traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes"
=> montrent bien les injustices que subissent les femmes.
Le sérieux dans le comique, défense de la cause des femmes.
2. La prose
Beaumarchais donne à la parole une fonction performative. Un langage action qui permet la défense et l’attaque.
3. Mise en scène réaliste
Image fidèle de la condition des femmes, victimes des inégalités.
Conclusion
Beaumarchais profite du genre et dénonce l'inégalité homme / femme à travers un texte véhément, faisant parler une femme. Mais c’est une comédie, tout doit rentrer dans l’ordre à la fin.