Introduction
Mon rêve familier est un sonnet extrait de la première section (« Melancholia ») du recueil
Poèmes saturniens (1866) (-> Texte complet des
Poèmes saturniens) de
Verlaine.
Inspirations romantiques : femme idéalisée
Sonnet en alexandrin.
Dans
Mon rêve familier, Verlaine met en scène une femme aimée, à la fois familière et inconnue.
Verlaine
Texte du poème Mon rêve familier de Verlaine
Télécharger Mon rêve familier - Verlaine en version audio (clic
droit - "enregistrer sous...")
Lu par Gilles-Claude Thériault - source : litteratureaudio.com
Mon rêve familier
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon cœur transparent
Pour elle seule, hélas ! Cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Verlaine
Poèmes saturniens
Annonce des axes
I. Un contraste rêve-réalité
1. Confusion
2. Atemporalité du poème
II. La femme rêvée
1. La femme aimée
2. La femme mystérieuse
3. Mais cette femme n'existe pas
Commentaire littéraire
I. Un contraste rêve-réalité
1. Confusion
Le rêve accompagne la réalité de l’auteur : "je fais souvent ce rêve" -> présent d’habitude, en relation avec le déterminant démonstratif "ce rêve" qui indique que le rêve est déjà connu.
Le déterminant démonstratif "ce" met en valeur le mot "rêve", répété dans le titre et au vers 1 et placé juste avant ce qui peut être considéré comme la
césure du vers 1.
Le rêve est "familier" (titre du poème) mais également "étrange et pénétrant" (vers 1) -> confusion et contradiction car ce qui est familier n'est en général pas étrange : Verlaine rêve d’un monde différent ("étrange") mais dans lequel il se retrouve ("familier").
Les
allitérations en [r] et en [t] font sonner durement ce premier vers.
Rythme confus, flou : nombreux
enjambements (vers 1, vers 3, vers 5...), refus de la césure à l’
hémistiche (vers 9, 13-14..),
diérèses ("inflexion" à prononcer en 4 syllabes vers 14).
Le lieu et le temps ne sont pas définis. Beaucoup d'éléments ne sont pas définis (apparence physique vers 9, prénom de la femme vers 10). La femme est "lointaine" (vers 13).
=> Le rêve est confus : perte de la réalité.
Dans le premier quatrain, les sonorités se répètent :
assonance en [an] dans le premier vers,
anaphores de "et que / qui" et de "et" => cela crée un effet de bercement, propice à la rêverie.
2. Atemporalité du poème
- Les temps verbaux
C'est le présent qui domine "et que j’aime et qui m’aime" (vers 2) : présent de vérité générale.
Ruptures aux vers 11 et 14 avec l'emploi du passé : caractère insaisissable de la femme, présente et absente (vie/mort).
- Le poème semble hors du temps.
"souvent" : présent qui englobe passé, présent et futur. Aucune indication de quand se passe le rêve.
"statues" (vers 12) : atemporalité, éternité et immobilité comme source de bonheur.
II. La femme rêvée
1. La femme aimée
Seule certitude : l'amour est réciproque "et que j’aime, et qui m’aime" (vers 2), "et m'aime et me comprend" (vers 4). C'est l'amour parfait : amour et compréhension.
L’insistance forte sur le verbe aimer est montrée par l’homophonie des vers 2-3-4 ("la même" pronom indéfini et "m’aime" du verbe aimer).
Allitération douce en [m] au vers 2 pour illustrer la douceur de l'amour.
Cohésion rythmique des vers 2 et 3 : 6/3/3/3/3/6
Anaphore de "elle seule" -> amour unique
Elle seule est capable de comprendre et consoler le poète ("et les moiteurs de mon front blême, / Elle seule les sait rafraîchir" vers 7-8)
"cœur transparent" (vers 5) : la femme comprend les émotions du narrateur.
Le prénom et l'apparence de la femme ne sont pas importants -> amour profond
"regard des statues" (vers 12) -> idée de la beauté intemporelle de la statue.
2. La femme mystérieuse
La femme est "inconnue" (vers 2) mais pourtant aimée.
Le femme n'est pas définie : "ni tout à fait la même / Ni tout à fait une autre" (vers 3-4).
Son prénom et son apparence physique sont confus (vers 9-10).
La femme est "lointaine" (vers 13).
=> Femme singulière et mystérieuse.
3. Mais cette femme n'existe pas
"hélas !" (vers 6) interjection lyrique (exprime la douleur). Mise en valeur par la présence devant la césure -> exprime le regret que la femme ne soit qu'en rêve mais n'existe pas dans la réalité.
"Je me souviens qu'il est doux et sonore, / Comme ceux des aimés que la Vie exila." (vers 10-11) "la Vie exila" = qui sont morts (
périphrase et
euphémisme). Signifie que les êtres aimés par le poète dans la réalité sont morts.
=> Mélancolie
Le passé simple tranche très fortement avec le présent dominant dans le sonnet => différence rêve (présent) / réalité (passé).
"sa voix, lointaine, et calme, et grave" (vers 13) -> adjectifs connotés à l'idée de mort.
"qui se sont tues" vers 14 : généralisation par le pluriel (cf. vers 11 "des aimés") + périphrase ("qui se sont tues"= "que la Vie exila"). Parallélisme entre les deux vers qui sont tous deux en dernière position dans le tercet.
Le mot "tues" termine le sonnet -> sonne comme un couperet, obligeant presque à relire le sonnet autrement.
Conclusion
Mon rêve familier est l'occasion pour Verlaine d'évoquer la dure condition de poète meurtri par son hyper sensibilité et de sa capacité à s'échapper momentanément de la réalité grâce au rêve. Verlaine se réfugie dans la femme qui lui apparaît dans son "rêve familier" pour se consoler de la perte des êtres aimés dans la dure réalité de la vie.