Plan de la fiche sur
Le Mondain de Voltaire :
Introduction
Forme du texte :
Le Mondain de
Voltaire (1694-1778) est un poème formé de décasyllabes. La disposition des rimes est souvent
croisée (vers 15 à 20). Des vers 1 à 4 les rimes sont
embrassées et des vers 5 à 8, les
rimes sont
plates.
Contenu du texte :
Ce poème prend à contre-pied les croyances, les valeurs religieuses qui fondent l'idée du bonheur sur l'austérité et le sacrifice. Avec fantaisie, humour et même un certain désir de provocation, il trace
le portrait de son époque (âge de fer) qu'il représente comme l'âge des plaisirs et du luxe (positive).
Conséquence : les images de l'âge d'or sont dénigrées, dévalorisées car il célèbre son temps en s'attachant à ce qui fait son abondance et en représentant des satisfactions que ne renierait pas un bon vivant.
Ainsi
Le Mondain est un hymne à la vie et aux plaisirs.
Texte de Le Mondain
Télécharger cet extrait de Le mondain - de Voltaire en version audio (clic droit - "enregistrer sous...")
Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com
Le Mondain
Regrettera qui veut le bon vieux temps,
Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,
Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
Et le jardin de nos premiers parents ;
Moi, je rends grâce à la nature sage
Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
Tant décrié par nos tristes frondeurs :
Ce temps profane est tout fait pour mes moeurs.
J’aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements :
Tout honnête homme a de tels sentiments.
Il est bien doux pour mon coeur très immonde
De voir ici l’abondance à la ronde,
Mère des arts et des heureux travaux,
Nous apporter, de sa source féconde,
Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
L’or de la terre et les trésors de l’onde,
Leurs habitants et les peuples de l’air,
Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.
O le bon temps que ce siècle de fer !
Le superflu, chose très nécessaire,
A réuni l’un et l’autre hémisphère.
Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S’en vont chercher, par un heureux échange,
De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans,
Nos vins de France enivrent les sultans ?
Quand la nature était dans son enfance,
Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,
Ne connaissant ni le tien ni le mien.
Qu’auraient-ils pu connaître ? ils n’avaient rien,
Ils étaient nus ; et c’est chose très claire
Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.
Sobres étaient. Ah ! je le crois encor :
Martialo n’est point du siècle d’or.
D’un bon vin frais ou la mousse ou la sève
Ne gratta point le triste gosier d’Ève ;
La soie et l’or ne brillaient point chez eux,
Admirez-vous pour cela nos aïeux ?
Il leur manquait l’industrie et l’aisance :
Est-ce vertu ? c’était pure ignorance.
Voltaire, extrait de Le Mondain
Annonce des axes
I. L'apologie de l'âge de fer
1. La critique de l'âge d'or
2. L'éloge de l'âge de fer
II. Une nouvelle conception du bonheur
Commentaire littéraire
I. L'apologie de l'âge de fer
1. La critique de l'âge d'or
Voltaire commence par une évocation apparemment élogieuse de l'âge d'or. Des vers 1 à 4 il emploi des expressions positives sur cet âge, une anaphore de "et" et un effet de polysyndète (lorsqu'on a une multiplication des liens de coordination) ce qui crée un rythme vif, alerte, dynamique qui énumère les symboles de l'âge d'or. C'est une atmosphère euphorique.
Cependant, dès le 5ème vers, il accorde nettement sa préférence à "cet âge". Cette préférence est mise en relief par l'opposition entre "qui veut" (vers 1) et "moi, je" (vers 5) qui est une figure d'insistance sur la première personne car elle est en début de ce vers ce qui la met en valeur.
Les caractéristiques de l'âge d'or ne sont données que plus
loin (vers 30 à 43) et sur un ton de moquerie, de raillerie, de persiflage. Voltaire
parle d'état "d'ignorance" (vers 31) mais il l'associe à une sorte de puérilité car
l'expression "nos
bons aïeux" (vers 31) connote un ton protecteur et peut-être de l'ironie. Il renvoie
aussi à un état d'austérité et de dénuement mais Voltaire montre qu'il ne s'agissait
aucunement d'austérité ou de sacrifices voulus. On remarque le jeu de questions
réponses au vers 33. L'insistance sur les négations souligne des manques naturels
qui ne donne donc aucun mérite à l'abstinence.
Ex : absence de vin, de mets fins, de métaux précieux, d'étoffes.
Voltaire se moque de la pseudo-vertu de ceux qui étaient vertueux
sans pouvoir faire autrement. Cette vertu (frugalité et austérité) est pour lui
sans mérite puisque inévitable, aussi l'admiration de cet âge d'or est pour lui
déplacée (vers 41). Voltaire démythifie l'âge d'or avec ironie et dérision, il
détruit l'image idyllique ce ces ancêtres "vertueux".
De plus, à cela s'ajoute une célébration païenne de la nature
et du bonheur terrestre.
2. L'éloge de l'âge de fer
On l'observe à travers l'exclamation du vers 21. Ce vers par son
lyrisme admiratif annonce une ère de confort, de plaisir et de luxe.
L'évolution de l'énonciation : l'engagement de Voltaire se
traduit par l'emploi de nombreux adjectifs et pronoms de la 1ère personne (vers 5 à 13).
Le "Moi" est mis en relief ce qui montre que Voltaire parle pour lui.
De plus sa volonté de persuasion est telle que la 1ère personne est vite relayée
par le "nous" (vers 16) qui généralise et inclut les destinataires.
Ensuite les caractères de cette époque donnent lieu à plusieurs énumérations
qui créent un effet d'abondance et de diversité :
C'est une époque de luxe : le mot apparaît 2 fois aux
vers 9 et 20 et surtout il est renforcé par un champ lexical de l'abondance et
de la richesse et par l'emploi des termes au pluriel.
C'est aussi une époque de plaisirs : le mot est employé 3
fois aux vers 10, 17 et 27. Il est renforcé par un lexique qui mêle les plaisirs
des sens et les plaisirs esthétiques. Voltaire fait des allusions aux arts et
aux travaux.
C'est une époque de progrès d'échanges et de nouveautés : le 3ème trait de cette époque est son modernisme (répétition de l'adjectif "nouveaux" 2 fois aux vers 17 et 27). Les évocations de pays lointains, la référence aux
navires ainsi que l'énumération des ports suggèrent une ouverture du monde au commerce,
une intensification des échanges. Pour lui la diversité est toujours un facteur
positif.
L'éloge de cet âge de fer est enthousiaste : on observe de nombreux procédés d'insistance,
des exclamations. C'est un éloge provocateur car il dévalorise un âge mythique.
On note l'admiration de Voltaire pour les progrès de son époque et surtout il
affirme une philosophie de vie opposée à celle défendue par la religion.
II. Une nouvelle conception du bonheur
Ici Voltaire écrit un hymne aux plaisirs du monde terrestre,
ce qui à l'époque était un discours subversif (renverse le système de valeur
de l'époque). Dans ce texte, on voit donc apparaître une nouvelle idée du bonheur.
Le bonheur est tout d'abord exprimé par l'expression lyrique
du poème. La tonalité générale est celle de l'enthousiasme qui se traduit par
un rythme vif, dynamique :
Tout d'abord les décasyllabes forment une succession
de propositions brèves. De plus, ce rythme est très varié à l'intérieur des vers : vers 10 binaire, vers 11 ternaire, vers 12 plus neutre. Les coupes sont très variées (exemple : vers 5 1/9, vers 11 4/2/4).
Ensuite, on a des énumérations aux vers 10, 11,
17, 18 et 25 qui créent un phénomène d'accumulation.
Enfin, les exclamations des vers 21 et 36 semblent être
un véritable cri de ravissement et de satisfaction.
La modalité interrogative (vers 29, 33, 41 et 43)
participe aussi à la vivacité du texte. Le poète semble parler avec naturel.
La conception de ce bonheur : Le bonheur insiste sur
l'aspect matériel des plaisirs. C'est un libertinage modéré, vertueux. Voltaire
parle d'honnêteté (au 18ème : perfection). Voltaire associe en effet le
goût du luxe des plaisirs et une notion morale (honnêteté). Cet aspect est mis en
relief au vers 12 ("tout honnête"). Il généralise cette idée avec l'emploi de
l'adjectif indéfini "tout" et présente ainsi une humanité exemplaire, idéale.
Il ne prône pas la débauche, ni le relâchement des mœurs. Il propose un équilibre
entres les plaisirs et la vertu, son modèle serait un épicurisme modéré.
Conclusion
Voltaire situe l'homme dans la perspective de son épanouissement
ici-bas. Pour lui, ce qui est choquant à l'époque, la recherche du bonheur terrestre
l'emporte sur l'attente du Salut Eternel. Ce texte est provocateur, insolent,
libertin car il contredit la conception du bonheur propre à la religion. Il se
moque des dévots et de tous les nostalgiques d'un bonheur ancestral. Il invite à un
libertinage qui ne perd pas de vue la morale (à la différence de ce que propose Sade et Laclos).